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MODES D'EXERCICE

Soins infirmiers au Togo : l’autonomie d’abord

Publié le 18/03/2013

Romuald est infirmier bénévole dans l’Unité de Soins périphériques (dispensaire) d’un village situé au sud du Togo. Après l’Inde du Sud (un mois), le Népal (trois mois et demi), c’est maintenant au Togo qu'il cherche à avoir une idée plus objective des soins infirmiers.

Ce village togolais compte 1.796 habitants en tout et l'aire sanitaire comprend 11.378 personnes. Le dispensaire du canton prend soin de 12 villages se situant dans un rayon de 10 km (9 villages sont à plus de 5 km). Le centre hospitalier primaire le plus proche se trouve à 20 minutes en véhicule. Le dispensaire permet de prodiguer des soins de santé primaires en se conformant à l'initiative de Bamako (politique permettant d'amenuiser les coûts dans les formations sanitaires afin que les médicaments et les soins soient disponibles à prix réduit) mise en place en 1991 au Togo.

Moyens d’accès au dispensaire : à pieds, en moto, taxi-moto, voiture.

L’équipe en présence constante dans le dispensaire

  • un infirmier diplômé d’état qui fait office de cadre. Il gère l’organisation et fait aussi les soins ;
  • une accoucheuse (pour les accouchements eutociques uniquement) ;
  • une stagiaire accoucheuse de 2e année âgée de 20 ans ;
  • un gérant de pharmacie pour délivrer les médicaments.

Les études de ces professionnels de santé durent trois ans et, contrairement à ce qui se fait dans les hôpitaux, ils prescrivent. Ils ont un mois de congés par an que l’infirmier est obligé de découper (15 jours/15 jours par exemple).

Collaboration avec

  • des agents de la santé communautaires : directement dans les villages, ils surveillent l’état sanitaire des populations mais ne font pas d’injections (traitements par voie orale, oui). Ils nous réfèrent les cas compliqués et organisent les campagnes de vaccination et de sensibilisation ;
  • le comité de gestion (COGES). Il est l'intermédiaire entre la communauté et le corps médical, et participe au développement de la population. Il peut aider certains patients dans le financement des soins ;
  • le chef du village chez qui je vis est le juge en cas de dégâts corporels causés par autrui. C’est lui qui dis au coupable qu’il a des soins à rembourser à la victime. Il participe aussi à l’organisation de la santé communautaire avec le Comité Villageois de Développement et demande au messager de faire passer les informations d’ordre sanitaire ou non ;
  • des ambulanciers sont appelés si le cas est grave ou si le fœtus se présente autrement qu’en céphalique ;
  • le Directeur Préfectoral de la Santé qui est docteur en santé publique. Il effectue des visites inopinées dans les dispensaires une fois par mois environ afin de contrôler les objectifs infirmiers. Une fois par mois, l’infirmier fait le bilan des activités et des dépenses sanitaires pour en informer cette hiérarchie.
  • des ONG : Bornefonden rembourse les traitements des enfants parrainés.

« Les personnes soignées ont le sentiment d’être guéries quand on leur fait des injections intraveineuses ou intra musculaires »

Horaires d'ouverture du dispensaire

  • Du lundi au vendredi :
    • 7h – 7h30 : entretien ;
    • 7h45 – 12h : soins ;
    • 12h - 14h30 : pause ;
    • 14h30 – 17h30 : soins.
  • Samedi et dimanche : permanence de 7h30 à 10h30, l’après-midi étant réservé aux urgences. L’infirmier et l’accoucheuse alternent un week-end sur deux.
  • Les nuits : en cas d’urgence et d’accouchement uniquement.

Population

Dans le dispensaire on parle de « communauté » et de « villageois ». On rencontre différentes ethnies africaines (Ewe, Kabiyé, Aja, Moba…) qui sont souvent de religion chrétienne. Il est courant qu’une famille se compose de 4 à 8 enfants. Les hommes sont cultivateurs, maçons, chauffeurs de taxi ou moto, gendarmes ou parfois enseignants. La plupart du temps, les femmes n'exercent pas d'activité mais il arrive qu'elles fassent les marchés. L'accès de la population à l’eau se fait via des forages et des citernes. L'école primaire et le collège sont payants. .

Pathologies et soins infirmiers

Comme c’est le cas dans de nombreux services de soin en France, la prise en charge est dite « globale ». Mais en réalité, on peut dire que le soin est complexe1.

Pathologies rencontrées

Accès de paludisme simple ou grave (au plasmodium falciparum), V.I.H., IST, infection respiratoire, tuberculose, accident de la voie publique, morsure de chien, troubles digestifs (douleurs, diarrhée, vomissement), roundworms (vers), myalgie, syndrome grippal (toux, fièvre), parasitose, asthénie, plaies infectées, traumatismes liés à la bagarre, otites, syndrome confusionnel…

« Il arrive que lors d’une consultation, une mère cache l’abcès de son nourrisson par honte »

Soins infirmiers

Traitements préventifs et curatifs de ces maladies, prescriptions, petites chirurgies (sutures), vaccinations (Diphtérie, Ténanos, Poliomyélite, BCG, varicelle, rougeole, fièvre jaune, coqueluche, hépatite A, Haemophilus), supplément en vitamine A, planifications familiales (contraceptifs, préservatifs, petites chirurgies - norplant), consultations prénatales, accouchement eutocique, Prise en Charge Intégrée des Maladies de l'Enfant (PCIME), « causeries éducatives » (soins de nature préventives sur le SIDA, IST…), visite à domicile et sensibilisations/vaccinations dans les villages en s’y rendant à moto, intra-musculaires, intra-veineuses directes, sous-cutanées, pose de perfusions, désinfection à la javelle, comptabilité (factures de soins, dépenses mensuelles et annuelles, données épidémiologiques). Pas de bilan sanguin car pas de laboratoire (il faut aller en ville).

Le processus d’auto-soins

L'Autonomie : viser ce qui est primordial

Il est évident que l’autonomie de la personne soignée dépend de critères culturels. Que ce soient les polyhandicapés indiens, les enfants des rues népalais ou les bébés togolais du village, la surveillance et la nécessité de soins ne vont pas être aussi présentes qu’en France, tout simplement parce que les notions de danger, d’inconfort ou d’hygiène ne sont pas les mêmes. Par conséquent, lorsqu’un bébé togolais mange avec sa main et qu’il en met à coté, en se salissant, il n’y a pas besoin de l’aider à être plus habile ou plus propre. L’essentiel est qu’il puisse se nourrir. La fréquence de soins est moindre que chez nous parce que la perception de soigner concerne ce qui est primordial.

La perception de l’état de santé

Les représentations de l’état de santé et du traitement sont très différentes entre les villageois et les gens de la ville. Si le temps de travail chez une femme enceinte est long et pénible, il est probable que ce soit à cause d’une querelle entre elle et son mari. Les connaissances/compétences aussi sont souvent insuffisantes dans le village par manque d’éducation. Être une personne en surpoids est bien vu car cela signifie qu’elle mange à sa faim, qu’elle n’est pas malade (SIDA, maladies hypercataboliques…) et qu’elle n’est pas pauvre. Il y aussi les raisons économiques et/ou liées à l’éloignement géographique qui freinent le processus d’auto-soins. On adapte les thérapies aux ressources financières de chacun. Lorsque l’infirmier ou l’accoucheuse veut transférer d’urgence des personnes au Centre Hospitalier Préfectoral, il est difficile de convaincre les villageois car ils savent qu’ils vont payer plus cher.

Au dispensaire, en cas de honte ou de sentiment d’avoir commis une faute, il devient alors important de se faire soigner. Cependant, il arrive que lors d’une consultation, une mère cache l’abcès de son nourrisson, par honte justement. S’il ne s’agit pas d’une entrée brutale dans la maladie (douleur abdominale dans la nuit, par exemple), il y a une attente entre trois et quatre jours, voire une semaine, avant de venir se soigner. Souvent, la population attend que ça aille mieux ou a recours aux « baraques » où l’on vend des médicaments sans prescription (auto-médication). Le Paracétamol est très connu et considéré comme un médicament miracle (même en cas de diarrhée ou de fatigue on le prend).

Les personnes soignées ont le sentiment d’être guéries quand on leur fait des injections intraveineuses ou intra musculaires. Ces soins sont donc réguliers. Le traitement par voie orale n’est pas correctement suivi car elles ne perçoivent pas l’indication ou ne saisissent pas le mécanisme d’action des comprimés. Certains vont jusqu’à revendre des médicaments prescrits… Les villageois craignent les effets indésirables ou certains vomissent les traitements car ils ne savent pas comment les prendre. Le professionnel de santé doit préparer les produits devant les villageois pour éviter qu’ils ne pensent qu’on les a échangés à la place d’autres.

Il existe aussi des guérisseurs, dont les patients nous parlent peu, mais dont les traces sont visibles (petites entailles au niveau de la peau). Ce qui est sûr, c’est que l’influence de la communauté sur l’origine du mal est très importante. Une patiente de 35 ans ayant un contraceptif (Norplant) depuis deux ans est venue pour douleur de la hanche et de la cuisse droite. Elle désirait enlever ce contraceptif car des villageois lui ont dit que c’était l’origine de son mal. Or, il n’existe pas de lien de cause à effet entre le contraceptif et ses douleurs. En France, il n’est pas rare de trouver ce genre d’interprétations liées à la santé. Sauf que le Français se fie à des sources apparemment plus fiables (sites internet de renommée sur telle maladie) et en déduit le nom de sa souffrance et le traitement à prescrire. Il détient individuellement la vérité alors qu’il n’est pas professionnel de santé et ne dispose pas de l’analyse suffisante en vue d’améliorer sa santé.

« Comme il y a peu de moyens d’investigation, les soignants prescrivent des traitements au cas où il s’agirait de telle ou telle pathologie »

Matériel à disposition

Pauvres. Pas d’électricité, faible débit d’eau au robinet (avec un système de recueil de pluie). Un toit endommagé. Un bureau pour l'infirmier, un bureau pour l'accoucheuse, une salle d’accouchement et de suite d’accouchement, une salle de pharmacie, une salle de pansements et d’injection, trois lits, deux tensiomètres, deux stéthoscopes, une balance et tout ce qui est antiseptique, compresses, bandes. Nous sommes livrés par une pharmacie catholique quand nous en avons besoin. Fiches de recueils de données, carnets de santé et divers documents de traçabilité (pour les passages, les vaccins, l’épidémiologie, les finances).

Économie de santé

Faible taux de fréquentation du dispensaire car la population a de faibles revenus. Il existe une sécurité sociale togolaise semblable à celle de France réservée aux fonctionnaires de l’État et non aux cultivateurs qui sont pourtant nombreux. Elle prend en charge la population à 90. La plupart des villageois que je soigne n’en ont pas donc ils paient. Mais c’est aussi dans ce cas qu’ils demandent de l’argent à la famille (familles nombreuses : 4 à 8 enfants). Ils peuvent aussi demander des « dettes » au comité de gestion du village s'ils veulent impérativement se faire soigner au dispensaire. L’ONG Bornefonden propose de rembourser les traitements des enfants qu’elles parrainent. Lors d'une consultation, un carnet de santé est remis au patient (prix : 200 CFA sans compter les soins et les traitements ; 980 CFA = 1,50 euro environ). Ces frais restent tout de même moins chers qu’au centre hospitalier le plus proche. En plus, le trajet pour la ville est long et coûteux. Comme il y a peu de moyens d’investigation, les soignants prescrivent des traitements au cas où il s’agirait de telle ou telle pathologie. Neuf fois sur dix nous prescrivons un antibiotique pour prévenir les infections liées aux conditions d’hygiène insuffisantes.

Romuald ANDRE
Infirmier bénévole au sein de l'association Afrique Positive
http://www.afriquepositive.org/
romuandre@gmail.com


Source : infirmiers.com