En Syrie, le séisme en plus de la guerre
En Syrie, le séisme a mis à rude épreuve les hôpitaux des zones rebelles, déjà cruellement éprouvés par le manque criant de personnel, de matériel et de médicaments. L'ONG française de solidarité internationale Mehad* s'est donné pour mission de soutenir les personnels soignants là où ils en ont besoin, ainsi que les infrastructures de santé. «Nous avons des bureaux à Gaziantep, en Turquie, où nous ne déployons pas d'équipes car beaucoup d'ONG se trouvent déjà sur place», explique Francisco Guevara, cadre infirmier formateur, spécialiste de la simulation en santé à la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon à Montreuil, membre de l'ONG Mehad depuis 2014 et ancien humanitaire durant la guerre en Bosnie. L'action de Mehad se concentre donc sur la Syrie, car elle est «l'unique ONG présente dans les zones rebelles. C'est vraiment notre plus-value, d'autant que nous avons un réseau très étendu de professionnels de santé déjà structurés et qui ont l'habitude de travailler auprès des populations civiles», assure Francisco Guevara. Mehad, autrefois appelée l'UOSSM** France, est née de la volonté de médecins syriens durant la guerre de soutenir le système de santé extrêmement fragilisé par le conflit. Aujourd'hui, le séisme est venu frapper un pays déjà exsangue. La situation politique dans cette zone rend impossible l'envoi de personnel.
Soutenir les soignants et les structures de santé sur place
«Notre travail consiste dans l'immédiat à soutenir les soignants qui se trouvent sur place (dans nos équipes, nous comptons des médecins, des infirmiers, des sages-femmes, des logisticiens, des ambulanciers...) justement là où les populations sont difficiles à atteindre. Aujourd'hui, la problématique est d'augmenter les volumes de soignants dans ces zones où les besoins déjà immenses (du fait de la guerre), ont triplé, voire quadruplé», résume le cadre infirmier formateur.
A Idleb (ou Idlib) en Syrie, la population est déjà très éprouvée par des années de guerre. «De très nombreuses personnes, déplacées dans leur propre pays, vivaient sous des tentes ou dans des structures en dur, faites de bric et de broc, de parpaing, lorsque le séisme a eu lieu. Ce sont ces habitations qui se sont effondrées en premier». Pour ne rien arranger, «il fait très froid sur place et, aux épidémies classiques de l'hiver s'ajoutent la crainte d'une épidémie de choléra. Les gens étaient déjà dans le dénuement et le séisme est venu encore aggraver les choses».
Equipes mobiles et kits d'urgence
«Nous travaillons donc sur deux axes», détaille Francisco Guevara : «renforcer les équipes mobiles de soignants pour qu'ils puissent aller au plus près des personnes dans les camps de réfugiés. Les personnes blessées qui sortent de l'hôpital d'Idleb vont avoir besoin de soins, mais il faut aussi prendre en charge tous les autres soins dans un contexte de catastrophe. Autrement dit, il faut penser tout à la fois à court, moyen et long termes. Par ailleurs, nous mettons à disposition des kits d'urgence aux réfugiés victimes du séisme, qui comprennent des couvertures, de la nourriture, du chauffage et des tentes pour compléter le travail des casques blancs sur place (qui s'occupent surtout du transport et de l'évacuation des blessés)». Pour l'heure, il n'existe qu'un point de passage pour l'aide humanitaire entre la Turquie et Idleb, une zone particulièrement inaccessible et de fait, très isolée.
Les actions de formation concernent des points précis et sont aussi modulées en fonction de la pertinence : les attaques chimiques, les traumatismes de guerre, l'accouchement inopiné, les victimes de séisme...
La simulation, un outil précieux de formation
Depuis des années, les équipes de l'ONG procèdent à la formation des soignants en Syrie (et ailleurs). Les casques blancs par exemple, chargés de porter secours aux civils, ont justement été formés aux soins d'urgence pendant la guerre, ce qui leur a permis d'être opérationnels juste après le séisme et de sauver des rescapés sous les décombres. «Le séisme a eu lieu dans le Nord Ouest de la Syrie mais notre ONG est également très implantée dans le Nord Est du pays, dans la zone de Raqqa et un peu plus au nord. Sur place, nous soutenons les dispensaires, les structures mobiles, et nous avons aussi déployé des centres de formation dans ces zones». En fonction de la pertinence et de l'actualité, l'ONG module ses actions de formation, qui concernent des points précis : les attaques chimiques, les traumatismes de guerre, l'accouchement inopiné, les victimes de séisme etc. «Selon les besoins qui apparaissent, nous mettons en place les moyens en lien avec nos partenaires, ajoute Francisco Guevara. «Nous travaillons vraiment main dans la main avec les soignants syriens sur place».
Le principe de la simulation est de placer les soignants en situation réelle, tout en apportant un apport théorique avec les recommandations de bonnes pratiques sur une thématique donnée. «On est très loin de la situation de l'hôpital classique. Les soignants en Syrie doivent apprendre à agir dans un contexte de catastrophe. Nous avons ainsi équipé ces centres de formation avec du matériel de simulation, à la fois ce qu'on appelle des "tasks trainers", c'est à dire des mannequins de simulations procéduraux, pour apprendre des procédures : intubation, massage cardiaque, prise de sang, pose de voie veineuse, accouchements, ainsi que des mannequins simulateurs, encore plus sophistiqués, qui permettent une mise en situation quasi réelle. Les chirurgiens, les soignants sont déjà formés aux blessures provoquées par le séisme puisqu'ils avaient reçu des formations pour faire face aux afflux de blessés de guerre, qui étaient parfois ensevelis sous les décombres des bombardements. C'est ce savoir qu'ils peuvent réutiliser aujourd'hui pour venir en aide aux victimes qui souffrent de blessures spécifiques : notamment des syndromes d'écrasement, des victimes qu'il faut hélas parfois amputer».
Au-delà des dons qui permettent aux associations d'apporter leur aide là où c'est nécessaire, Mehad a aujourd'hui besoin de compétences en simulation, ou au-delà, sur des thématiques de formations spécifiques, souligne Francisco Guevara : «par exemple, un médecin est en ce moment-même avec Raphaël Pitti (médecin-anesthésiste réanimateur, formateur en médecine d'urgence et responsable formation auprès de Mehad) en Ukraine pour apporter une formation aux soignants sur place sur le thème de l'échographie de guerre. Toutes les compétences qui sont dans des domaines particuliers qui pourraient être utiles, on les prend. On a fait récemment des formations sur le soutien psychologique des populations affectées par la guerre, traumatisées».
L'urgence du moment est plutôt d'arriver à gérer la réponse de masse. Les patients vont quitter l'hôpital pour libérer de la place et il va falloir réaliser un suivi de ces patients qui seront encore blessés d'un point de vue somatique, physique, mais aussi sur le plan psychologique.
Réponse de masse et soins psychologiques
«L'urgence du moment est vraiment d'arriver à gérer la réponse de masse», explique Francisco Guevara, «c'est à dire que les patients vont quitter l'hôpital pour libérer de la place et il va falloir réaliser leur suivi alors qu'ils seront encore blessés d'un point de vue somatique, physique, mais aussi sur le plan psychologique. Ce dernier point constitue aussi un gros volet du travail de notre association : nous assurons un accompagnement psychologique des victimes, de longue haleine. Il y avait déjà le traumatisme de la guerre, aujourd'hui il y a le traumatisme du tremblement de terre. Les gens ont la terreur que ça se reproduise».
«Aider nos collègues»
«Je voulais m'engager auprès de Mehad parce que c'est une ONG qui agit auprès des soignants, tout type de soignants, dans un travail vraiment pluriprofessionnel», explique le cadre infirmier formateur qui s'apprête à se rendre en Ukraine pour une mission de simulation auprès de soignants. «C'est une association engagée d'un point de vue éthique et humanitaire au plus près des besoins des professionnels de santé, qui eux-mêmes vont au plus près des populations. En Syrie comme ailleurs, cette mission a un sens très fort, d'autant qu'il n'y a pas grand monde qui les aide. Rappelons que depuis le début de la guerre, les infrastructures qui sont le plus bombardés ce sont les hôpitaux et les structures de soins, de manière systématique, le but étant de faire fuir les populations. Des centaines de soignants sont morts dans ces bombardements et malgré tout, les rescapés continuent de soigner les gens, avec abnégation. Il a fallu reformer des gens sur place, dans des conditions extrêmes : la formation d'un infirmier sur place doit se faire en une semaine ! C'est donc extrêmement dense en termes d'informations. Il faut être très efficace.»
«On se donne une raison et une motivation pour mener à bien ce type de mission», confie Francisco Guevara. «On pense aux populations civiles sur place. On veut être utile, même si on ne revient pas indemne. C'est dur de se réhabituer à une vie normale, mais on se dit : allez, on n'est pas les plus malheureux et l'idée est de s'accrocher en essayant de réaliser des actions utiles pour les soignants et les populations. C'est ce qui me motive aussi dans le projet que nous montons en ce moment : je vais partir en Ukraine former des collègues sur place. C'est vrai qu'il y a des bombardements, c'est risqué, mais on part avec la motivation d'aider nos collègues».
«A Idleb en Syrie, les hôpitaux n'ont pratiquement pas de services de réanimation»
«Les priorités restent celles que l'on peut retrouver dans ce type de catastrophes» résume Raphaël Pitti, médecin anesthésiste réanimateur, formateur en médecine d'urgence et responsable formation auprès de Mehad. «On est dans une situation de catastrophe naturelle liée à un tremblement de terre de très grande ampleur. Il y a eu bien évidemment, dans un premier temps, la recherche des personnes qui se trouvent sous les décombres, il y a aussi, depuis le début, la prise en charge des victimes et les hôpitaux sont eux-mêmes impactés et surchargés par le nombre de patients. Notons aussi que nous sommes face à une traumatologie très spécifique : les très nombreux syndromes d'écrasement des membres pour lesquels il y a besoin de réanimation mais aussi de dialyse. Dans la zone d'Idleb, en Syrie, malheureusement les hôpitaux n'ont pratiquement pas de services de réanimation. Il y a 70 lits qui sont plutôt dédiés aux soins intensifs qu'à la réanimation, très peu de moyens d'oxygénothérapie et pour finir, très peu de moyens de dialyse, et les rares disponibles sont essentiellement dédiés à la dialyse chronique mais pas aigüe. Autre point très préoccupant : les hôpitaux surchargés ne peuvent pas évacuer leurs patients vers la Turquie car les points de passage ne filtrent que le matériel pour l'heure, notamment car les Turcs sont eux-mêmes débordés par le nombre de leurs ressortissants victimes. Enfin, l'hiver est très rigoureux et il faut aussi mettre les très nombreux rescapés à l'abri, distribuer des tentes en urgence, du chauffage, des couvertures, de l'éclairage, de la nourriture...»
Approvisionnement des hôpitaux
«Nous apportons donc autant que possible de l'aide matériel : il y a d'énormes besoins d'approvisionnement des hôpitaux. Il y a un gros besoin de solutés et surtout de sérum physiologique, il y a d'immenses besoins du côté de la chirurgie, de la chirurgie orthopédique, de la fasciotomie... Enfin, il faut absolument mettre en place des suivis psychologiques pour les patients psychotraumatisés.
C'est pourquoi nous avons demandé l'ouverture de couloirs humanitaires sur décision des Nations unies et sous le contrôle de la communauté internationale pour que soit garanti l'acheminement de cette aide cruciale au plus vite aux populations du Nord-Ouest syrien. Pour l'heure, nous déplorons la lenteur d'une décision qui aurait dû se faire dès le lendemain du séisme. Nous avons également demandé le déploiement d'un hôpital de campagne très orienté dialyse à la frontière syro-turque pour prendre en charge les victimes syriennes». Les besoins son immenses. Pour parer à l'urgence, le responsable des formation au sein de l'ONG Mehad est en lien permanent avec les soignants en Syrie. «Lorsqu'ils ont des questions, ils savent qu'ils peuvent me demander de leur envoyer les nouveaux protocoles de prise en charge. Je reçois aussi des photos de patients avec des questions techniques».
* Mehad est une ONG française de santé et de solidarité internationale. Elle s’engage et alerte sur l’urgence de bâtir, avec les acteurs locaux, des systèmes de santé durables, garants de développement pérenne en faveur des populations. Mehad assure des missions vitales auprès des populations, en s’appuyant sur un réseau de plus de 1000 professionnels de santé, mobilisés depuis la France et partout dans le monde.
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