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PUERICULTRICE

Séisme du 12 janvier 2010 en Haïti : retour d’expérience des infirmières puéricultrices

Publié le 24/05/2011

Une équipe d’infirmières puéricultrices a organisé la création d’un nouveau déchoquage pédiatrique afin de faire face à l’afflux d’enfants blessés lors du séisme du 12 janvier 2010 à Haïti.

Cet article a d’abord été publié dans un numéro spécial (mai 2010) de la Revue des SAMU. Nous remercions son éditeur d’avoir autorisé sa publication sur Infirmiers.com.


Au lendemain du terrible séisme qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010, les premiers blessés commencent à arriver au CHU de Fort-de-France, grâce à une équipe de sauveteurs martiniquais présente sur les lieux du drame. La création d’un nouveau déchoquage pédiatrique s’est avérée nécessaire afin de faire face à l’afflux d’enfants.

Leur prise en charge a nécessité la mise en place d’une organisation spécifique au sein du service des urgences pédiatriques où les soignants ont dû faire face à des détresses, traumatismes, pathologies et situations sociales inhabituels.

Approche organisationnelle

Deux infirmières puéricultrices du service des urgences pédiatriques sont détachées pour aller mettre en place une nouvelle salle de déchoquage pédiatrique au sein de l’hôpital adulte, près de la zone d’arrivée et de tri des blessés, afin de faciliter la prise en charge immédiate des enfants instables, et de les rapprocher du service d’imagerie médicale.

Cette pièce est une ancienne salle de soins intensifs désaffectée, il faut donc réinstaller entièrement trois postes de soins de réanimation, comprenant chacun un moniteur de surveillance cardiaque et un respirateur, matériels empruntés dans divers services de la MFME (Maison de la Femme, de la Mère et de l’Enfant). Puis il faut se fournir en matériel (intubation, perfusion…) ainsi qu’en médicaments (sédatifs, antalgiques, antibiotiques…).

Nous sommes aidées dans notre tâche par des infirmières anesthésistes du bloc pédiatrique, ainsi que par des médecins urgentistes et réanimateurs qui nous guident dans la mise en place et l’organisation de la salle.

Une certaine tension règne car de nombreuses informations différentes circulent sur le nombre encore inconnu de blessés qui doit arriver. Mais une forte motivation est présente et permet de rester concentré afin d’être le plus efficace possible.

Après plusieurs heures de travail et d’attente, le premier avion atterrit et les équipes de transport nous amènent les premiers blessés, qui passent dans un premier temps par l’accueil des urgences où se trouvent des médecins affectés au tri, puis qui sont amenés dans ce déchoquage pédiatrique pour les plus graves. Les enfants ne nécessitant pas de soins de réanimation sont orientés vers les urgences pédiatriques habituelles.

Chaque enfant possède un bracelet d’identification et quelques indications sur les circonstances de son sauvetage, parfois les coordonnées des parents restés sur place.

Approche technique

A l’arrivée dans le déchoquage pédiatrique, la prise en charge de ces enfants se base sur une procédure systématisée :

  • installation et monitorage immédiat avec prise des constantes vitales : température, tension artérielle, fréquence cardiaque et respiratoire, saturation en oxygène
  • pose d’une voie veineuse périphérique ou centrale et remplissage vasculaire
  • intubation, sédation et ventilation assistée pour les enfants les plus algiques et instables
  • prélèvement d’un bilan sanguin complet et systématique : numération formule sanguine, ionogramme, bilan hépatique, CRP, glycémie, bilan cardiaque (importance majeure de connaître le taux de CPK dans les crush syndromes), hémocultures, lactates, groupe sanguin et RAI, gazométrie (avec demande d’une kaliémie en urgence)
  • mesure rapide de la glycémie capillaire (dextro), du taux d’hémoglobine (hémocue) et du statut vaccinal tétanique (tétanos quick test)
  • évaluation de la douleur et administration d’antalgiques en intraveineux (Paracétamol, Morphine)
  • transfert en imagerie médicale afin de finaliser le bilan traumatologique avant l’orientation au bloc opératoire ou en service de soins
  • Retranscription des données dans le dossier médical édité spécialement pour les blessés d’Haïti

Approche clinique

La majorité des enfants blessés dans ce séisme présente un tableau clinique plus ou moins identique : crush syndrome (nécrose musculaire d’origine ischémique liée à un écrasement prolongé d’une masse musculaire et qui se complique d’une atteinte rénale plus ou moins sévère), fractures ouvertes ou fermées des membres, plaies profondes et infectées, traumatismes crâniens, troubles hémodynamiques, déshydratation, hypoglycémie, anémie et hypo ou hyperthermie. Ces enfants sont très affaiblis et instables, les soins doivent donc être effectués avec rapidité et dextérité, rigueur et asepsie.

Approche relationnelle

Une fois l’urgence levée, l’enfant stabilisé et les bilans faits, il est de notre compétence de veiller au bien-être et au confort de l’enfant, en collaboration avec les auxiliaires de puériculture et les brancardiers. Les associations nous ayant donné de nombreux vêtements nous pouvons laver et habiller ces enfants démunis de tout, les hydrater et les alimenter pour ceux ne nécessitant pas d’une intervention chirurgicale dans l’immédiat.

Le réconfort et le soutien moral sont également primordiaux pour ces enfants se retrouvant seuls dans un hôpital et un pays complètement inconnus, pour la plupart orphelins ou n’ayant pas de nouvelles de leurs proches. Nous nous occupons ensuite de leurs transferts dans les services d’hospitalisation adaptés où nos collègues prennent le relais.

Approche pratique

Nous avons ainsi reçu trente-deux enfants nécessitant des soins urgents et avons participé à la prise en charge des enfants en instance d’adoption lors des rapatriements sanitaires vers la métropole. Nous avons donc dû mettre en place durant une période de trois semaines des plannings d’astreinte afin de renforcer les équipes de soins au moment des arrivées d’avions (celles-ci n’étant jamais fixées avec certitude longtemps à l’avance).

Conclusion

Cette expérience fût très enrichissante et épanouissante professionnellement bien que difficile émotionnellement. Mais nous sommes heureux aujourd’hui de pouvoir dire que nous avons sauvé et soigné tous ces enfants, qui sont désormais en convalescence et très bien entourés par de nombreuses personnes bénévoles qui se relaient à leurs chevets. Leur avenir est encore incertain (famille d’adoption provisoire/définitive, retour au pays) mais leur force et leur courage les aideront dans leur combat pour une vie meilleure.

Elsa Barrault
Puéricultrice
service des Urgences Pédiatriques de la Maison de la Femme
de la Mère et de l’Enfant, CHU de Fort-de-France (Martinique)


Source : infirmiers.com