Les traitements anticancéreux ont un lourd impact sur la vie quotidienne et l’image des malades qui les reçoivent. Tous les patients sont concernés, mais les femmes en particulier vivent souvent moins bien que les hommes les transformations physiques induites par les chimiothérapies : perte des cheveux, des cils et des sourcils, altération de la peau… Pour redonner à ces femmes une perception positive d’elles-mêmes, une infirmière a imaginé une manière de leur venir aide en leur proposant de recommencer à prendre soin d’elles.
Mère de trois enfants et ancienne aide-soignante devenue infirmière, Sandrine Coulibaly est une quadragénaire parisienne occupée. Mais au contact de patientes atteintes de cancer dans le cadre de son métier, elle a pris le temps d’observer le traumatisme provoqué par le retentissement physique des traitements. Elle a mis sur pied ElleCare, un "instant beauté" destiné à celles qui ressentent le besoin d’oublier un instant la maladie et retrouver leur féminité.
Comment est née l’idée de venir en aide aux femmes atteintes de cancer en complément de votre métier d’infirmière ?
Dans mes premières années d’exercice en tant qu’aide-soignante, j’ai côtoyé de nombreux patients. Lorsque je suis devenue infirmière il y a une dizaine d’années, j’ai pris en soin directement des malades du cancer et j’ai dû administrer des chimiothérapies. Au plus près d’eux dans le traitement, j’ai vu les choses différemment et j’ai pris le temps de l’observation. Face à la maladie, j’ai rencontré des femmes sans élan, tristes, éteintes. Au-delà des lourds effets internes provoqués par les molécules administrées, les transformations extérieures (notamment la perte de cheveux et des poils) sont considérables ; les traits du visage sont comme "effacés". Ce constat m’a touchée et je me suis demandé comment changer cela. Au départ, je ne savais pas précisément de quelle manière ; mais je sentais que je pourrais utiliser ma passion personnelle pour la mode, le maquillage et la coiffure (en relation directe avec l’image que l’on renvoie) et la faire coïncider avec mon métier initial. Mon projet a ensuite cheminé pendant plusieurs années ; il a évolué, s’est affiné, et j’ai trouvé comment préciser les contours de mon action en fondant ElleCare.
Vous définissez votre approche comme un "instant beauté qui soigne". Que proposez-vous précisément aux femmes qui viennent vous voir ?
Pour moi, l’objectif est avant tout que les femmes puissent quitter la solitude et la bulle de la maladie pendant une après-midi en venant se ressourcer dans un endroit chaleureux où l’on échange autour d’une tasse de café ; c’est la raison pour laquelle j’ai opté pour des locaux en ville, une sorte de point de repère hors de l’hôpital, que j’ouvrirai dès que possible. Là, elles pourront renouer avec elles-mêmes et avec leur féminité. Grâce à trois ateliers, entièrement centrés sur le visage, elles redeviendront actrices de leur image : non seulement elles auront accès à des produits de maquillage, de soin du visage et aux éléments de coiffure, mais elles découvriront comment le faire et elles construiront elles-mêmes ce dont elles ont envie et besoin. Grâce à des professionnels du maquillage, elles apprendront comme se mettre en valeur naturellement, comment choisir les produits les moins chimiques pour ne pas brusquer leur peau fragilisée par les traitements, et elles confectionneront leur propre perruque grâce à des matières premières de grande qualité et aux conseils d’un perruquier de métier. A partir de l’adolescence, toutes les femmes sans restriction sont les bienvenues, y compris celles qui sont sorties de la maladie : la reconstruction de l’image corporelle et le retour complet "à la normale" prennent du temps, et puis c’est une manière de laisser les expériences se partager entre toutes, quel que soit le stade de leur parcours.
En quoi votre métier d’infirmière alimente-t-elle votre activité auprès des femmes que vous accueillez ?
Être infirmière, c’est connaître l’environnement de l’hôpital, les angoisses, les traitements, les effets indésirables... C’est aussi observer les gens avec attention et bienveillance, et surtout savoir quelle posture adopter face à une personne confrontée à la maladie. Pour moi qui suis spontanément attentive à eux et formée à tout cela par ailleurs, c’est une sorte de conjonction entre ma nature, mon métier et ma passion. Bien sûr, comme toute visite chez le coiffeur ou chez l’esthéticienne, ces "soins" sont payants. Mais ils relèvent de la santé psychologique et sont pour ainsi dire une action d’utilité publique. C’est d’ailleurs pour cela que j’envisage d’obtenir un agrément auprès de l’Assurance Maladie ; je souhaiterais que les activités liées à la confection de perruques soient (au moins en partie) prises en charge. Car chez une personne atteinte d’une maladie grave, conserver une bonne santé psychologique est essentiel pour continuer à supporter les traitements et se donner les chances de guérison les plus solides. Mon souhait, c’est de dire aux femmes qu’ici, elles vivront un moment bourré de vie dans un cocon où la pitié n’a pas sa place.
Propos recueillis par Anne Perette-Ficaja
Directrice de la rédaction
anne.perette-ficaja@gpsante.fr
@aperette
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