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Risques suicidaires masculins : un angle mort ?

Publié le 29/11/2021
Risques suicidaires masculins

Risques suicidaires masculins

Comment mieux dépister la souffrance chez les hommes pour mieux prévenir leur geste suicidaire ? A l’occasion de Movember, un mois consacré à la santé masculine, nous avons interrogé plusieurs acteurs engagés sur le front de cette question de santé publique.

L'incidence du suicide enregistré est de 29 pour 100 000 hommes et de 10 pour 100 000 femmes (chiffres Drees / Observatoire du suicide, 2016).

Les hommes se suicident plus que les femmes. Rares sont les constats qui présentent une telle régularité en sociologie. La sursuicidité masculine est un fait établi depuis les premières études parues au XIXe siècle et s’observe quasiment dans tous les pays, notent Anne-Sophie Cousteaux et Jean-Louis Pan Ké Shon dans un article publié en 2008 Le mal être a-t-il un genre ?

Des méthodes plus radicales

Les hommes sont, encore plus que les femmes, exposés au risque de suicide. D’après le dernier rapport national de l’Observatoire National du Suicide, établi en 2016, il est majoritairement masculin avec 8 100 suicides d’hommes contre 3 040 suicides de femmes sur l’année 2012, soit 3,8 % de l'ensemble des décès masculins et 1,2 % de l'ensemble des décès féminins. L'incidence du suicide enregistré est ainsi de 29 pour 100 000 hommes contre 10 pour 100 000 femmes. Moyens plus létaux, impulsivité, difficulté à parler de soi-même et de ses problèmes, les acteurs de la lutte contre le suicide sont relativement unanimes sur les raisons de ces passages à l’acte parmi la gent masculine. Liova Yon, chef de service PsyLine (VigilanS 75) confirme. La population que l’on voit nous, psychiatres, est celle des personnes ayant fait un geste suicidaire et en l’occurrence ce sont plutôt des femmes. Quant aux suicidés, c’est-à-dire les personnes passées à l’acte et décédées, ce sont en grande majorité des hommes. Les chiffres sont issus des enquêtes épidémiologiques que l’on obtient par les dispositifs de recueil des données établis. C’est une réalité très bien décrite aujourd’hui. Comment dès lors expliquer cette différence hommes femmes, puisque en gros, les hommes décèdent plus et les femmes tentent plus de se suicider que les hommes, résume Liova Yon.

Ce qui ressort pour les patients masculins, c’est notamment le choix de méthode de suicide plus létales (donc de méthodes plus radicales), laissant à penser une détermination suicidaire plus élevée. Il s’agit là d’une partie seulement de l’explication, selon Liova Yon, qui cite aussi une différence notable entre hommes et femmes dans l’accès aux soins.

Une population plus difficile à soigner

L’une des explications est sans doute à rechercher dans le discours même des hommes que leur geste mène dans le bureau des psychiatres. Très clairement, la difficulté à s’orienter vers les soins vient tout au départ. Les hommes représentent (majoritairement) une population plus difficile à atteindre. De manière générale, ils demandent moins spontanément de l’aide. Les hommes auraient ainsi plus de mal que les femmes à faire la démarche de consulter un médecin, et même ceux qui finissent par consulter représentent une partie de la population qu’il est difficile de soigner, assure Liova Yon, parce que (globalement là-encore) les hommes ont davantage de mal à parler d’eux (encore plus lorsqu’ils ont besoin de soins psychologiques), plus de mal également à l’élaboration psychique de manière générale. On comprend dès lors pourquoi les hommes sont moins bien dépistés d’une manière générale. Les troubles psychiques n’échappent pas à cette réalité-là. Enfin, dernier aspect invoqué par le psychiatre : le recours aux addictions, qui grève le pronostic suicidaire et là encore les hommes sont en majorité plus addicts que les femmes. Cela aggrave le risque suicidaire et cela aggrave aussi la mauvaise adhésion aux soins. Quant aux raisons plus profondes qui induiraient cet état de fait : elles sont sans doute multiples, aspects sociologiques se mêlant aux aspects éducatifs, et sans doute à une part de conditionnement, bien qu’il faille rester prudent sur ces aspects.

Sensibiliser les professionnels de santé au fait qu’il existe une différence non pas dans la manière dont les gens ressentent les choses mais les expriment et sont susceptibles de pouvoir demander de l’aide, et donc sur l’utilité d’être un peu plus attentifs aux formes masquées de la dépression masculine - Liova Yon

Du concret pour évoquer la souffrance

S’il fallait tracer les grandes lignes de ce que les hommes expriment en consultation, la plupart du temps, ils évoquent les répercussions sur leur état physique (c’est-à-dire la capacité à fonctionner comme ils fonctionnaient auparavant). Le sommeil est une plainte régulière, la difficulté à travailler également, l’appétit ou encore La libido, explique Liova Yon. Souvent, ce n’est pas donc pas tellement en les faisant parler de leur ressenti que l’on parvient à accéder à quelque chose, mais en les faisant parler de conséquences fonctionnelles (c’est-à-dire : je ne peux plus faire de sport, je ne peux plus aller chercher mon petit-fils, je n’arrive plus à regarder le foot avec ma fille, avec ma femme on ne fait plus l’amour). Les hommes ont souvent besoin de quelque chose de tangible pour parler de leur souffrance. De la même façon, les hommes sont moins enclins que les femmes à suivre les prescriptions médicales, remarque-t-il, statistiquement, ils ont une plus grosse difficulté que les femmes à adhérer aux soins.

Pascale, présidente et écoutante de Suicide écoute* entend des hommes dans des moments d’extrême angoisse, isolés, la plupart du temps sans travail, en grande souffrance. La plupart des appels reçus par l’association proviennent de personnes âgées de 45 à 65 ans, souffrant souvent de troubles bi-polaires, d’agoraphobie, de dépression ou encore de schizophrénie diagnostiqués, plus régulièrement des femmes (60% environ), même si les hommes osent appeler (40% des appels), assure Pascale. Au bout du fil, protégés par l’anonymat, il n’est pas rare qu’ils pleurent, confiant leur profond sentiment d’échec (professionnel, amical, familial), évoquant leur vie comme un fiasco, leur culpabilité aussi, devant leurs situations d’échec.

Moyens plus létaux, impulsivité, difficulté à parler de soi-même et de ses problèmes, les acteurs de la lutte contre le suicide sont relativement unanimes sur les raisons de ces passages à l’acte parmi la gent masculine.

Un conditionnement de longue date

Comment favoriser le dépistage des hommes et leur prise en charge ? De manière générale, l'accès aux soins en psychiatrie est problématique. C’est un des axes fondamentaux sur lesquels il faut travailler, ce qui passe par la communication (cf notre encadré ci-dessous), des campagnes d’information, par une déstigmatisation du soin psychiatrique et peut être en limitant les différences de genre au niveau des représentations : il n’y a pas des hommes forts et des femmes faibles, rappelle Liova Yon, évoquant par là un conditionnement ancré de longue date. Un axe pour la population soignante : il ne serait pas inutile de sensibiliser les professionnels de santé au fait qu’il existe une différence non pas dans la manière dont les gens ressentent les choses mais les expriment et sont susceptibles de pouvoir demander de l’aide, et donc sur l’utilité d’être un peu plus attentifs aux formes masquées de la souffrance psychique masculine, notamment de la dépression par exemple, tout comme on prête une attention particulière aux sujets âgés.

Il faut enfin être très sensibles aux antécédents de maltraitance dans l’enfance, notamment des maltraitances sexuelles, car même si elles frappent davantage les femmes, elles ont des conséquences extrêmement dommageables chez les hommes. Les antécédents de maltraitance infantile apparaissent même au rang des risques de suicides les plus importants, selon Liova Yon. Quand on est dans un service hospitalier de patients graves psychiatriques, si on cherche les antécédents de maltraitance infantile, on peut aller jusqu’à un patient sur trois ou un patient sur deux. On sait aujourd’hui que ce sont des informations capitales qu’il faut chercher avec douceur, tact, et sans doute de manière répétée. Or les hommes représentent (aussi) une population d’une grande vulnérabilité de ce côté-là.

Enfin, et au-delà du genre, la maladie psychiatrique (et la plupart du temps la dépression bien sûr) est un des facteurs de risques du suicide que l’on retrouve dans 90% des cas. C’est pourquoi traiter la maladie psychiatrique est l’un des premiers axes de la prévention du suicide conclut Liova Yon.

3 questions à Yann Massart, infirmier aux urgences psychiatriques du Mans depuis une dizaine d’années et délégué général de #DitesJeSuisLa.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer l’association #JeSuisLà ?

Je suis infirmier au urgences psychiatriques, je fais donc ma part dans la prise en charge des personnes en crise suicidaire et j’étais extrêmement étonné qu’en France, on n’ait pas de dispositif comme il en existe à l’étranger, notamment dans les pays anglo-saxons qui sont bien plus avancés (l’Australie depuis plus de 10 ans, le Québec depuis plusieurs années). J’ai eu la chance de rencontrer des psychiatres, des psychologues, des partenaires qui ont eu cette même envie que moi de développer ce message de prévention. On va avoir un an dans un mois. L’année dernière, dans le paysage de la prévention en santé mentale et la prévention du suicide, vous n’aviez quasi rien qui était fait pour communiquer de manière positive sur les possibilités de chacun à prévenir le suicide. Dans les études la plupart des gens, plus de 90% des jeunes par exemple, se disent tout à fait prêts à aider leurs proches en crise suicidaire. Le problème, c’est qu’ils ne savent pas quoi dire, ils ont peur de mal faire, ne savent pas non plus vers qui orienter. Nous ne sommes donc pas là pour prendre en charge les personnes suicidaires mais pour mettre à disposition les premiers éléments de sensibilisation, des outils et mettre en avant les dispositifs existants (avec des campagnes de communication ciblées) : Comment identifier les signes d’alerte, comment se positionner, que dire ?

Comment, justement, aider un proche qui a du mal à parler de son mal-être ?

La première chose à faire est de montrer de l’intérêt pour la personne, c’est-à-dire être présent pour elle, être près d’elle un moment, au bon moment et l’écouter sans juger. On encourage à exprimer le mal-être et on montre son intérêt, parce que dans le cheminement de la crise suicidaire, la personne a l’impression qu’il n’y a pas d’autre recours que le suicide. Dire « Je suis là », c’est une autre porte qui s’ouvre que celle du suicide. 80% des gens qui nous suivent sont des femmes, ce qui montre l’intérêt de cette population à faire attention à sa santé mentale, à apprécier le fait de faire attention à l’autre et une facilité à communiquer. Ce qui veut dire qu’il y a sans doute un tabou chez les hommes qui ne doivent pas pleurer, ne pas montrer leurs émotions.

Que visez-vous et qui visez-vous à travers vos campagnes ?

On sait qu’il est important de cibler des populations en particulier dans les campagnes de communication, donc on a ciblé les jeunes, et bientôt le public LGBT, les agriculteurs et effectivement, les hommes pourraient être l’une de nos prochaines cibles. On réfléchit au message à faire passer et à qui. Nous travaillons, en partenariat avec certains ministères, à la création de messages sur les publics cibles et à leur diffusion auprès du plus grand nombre. Le numéro national de prévention du suicide, géré par le CHU de Lille et soutenu par le ministère de la santé, le 31 14, est sorti le 1er octobre dernier, mais nous sommes la seule instance indépendante nationale de communication sur la prévention du suicide. En un an, c’est incroyable, on a réussi à être reconnus d’intérêt général, on a fait une première campagne nationale auprès des jeunes qui a touché 500 000 personnes sur internet, qui a été diffusée sur 50 campus en France. Pour les messages, on n’invente rien, on suit les recommandations internationales, mais on les met en forme, avec de la vidéo, des affiches qui sortent de la communication institutionnelle, avec du podcast, très prochainement, pour toucher le plus grand nombre. C’est vraiment une marque qu’on essaye d’imprégner.

Notes :

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com