Marine, aide-soignante, a choisi d’effectuer une mission loin de chez elle, au mois de décembre, dans le cadre de la réserve sanitaire, ces soignants mobilisables rapidement pour prêter main forte dans des établissements débordés par l’épidémie de Covid 19. Lors d’un premier récit , elle nous a raconté son arrivée dans un hôpital de l’Est de la France où elle a été affectée. Elle nous plonge à présent au cœur de sa mission délicate, entre sentiment de solitude et nécessaire réactivité dans les moments difficiles.
Je décide de me lancer. Après quelques brèves transmissions orales à propos d’un patient que je vais rencontrer, je pénètre pour la première fois dans l’une des chambres. Comme toutes les fois suivantes, mon arrivée est un souffle nouveau également pour les patients : l’occasion de modifier un peu leur quotidien, de leur parler de la région d’où je viens, de les écouter me faire découvrir la leur... J’échange avec cet homme tout en commençant les soins, jusqu’au moment où le patient (le premier que je rencontre pour une aide à la toilette), déjà sous 6l d’oxygène, se met instantanément en situation de décompensation. Que faire ? Formée aux gestes d’urgences, je cherche mes repères habituels. Dans la chambre, je ne vois aucun matériel pour assurer la prise des paramètres vitaux.
Arrivée depuis une heure dans ce service, je suis un peu perdue. Je ne peux ni rentrer ni sortir de la chambre à ma guise à cause du covid. Je sonne en urgence. Les secondes me paraissent de longues minutes…
Ruptures fréquentes du protocole
Je prends alors quelques initiatives, dont la responsabilité d’ouvrir cette porte de chambre identifiée Covid pour passer la tête dans le couloir. J’aperçois une jeune femme, (les tenues de travail ne sont pas identifiées dans cet établissement) je lui demande de l’aide : elle me dit qu’elle est agent de service. Je lui demande alors si elle peut trouver une infirmière dans une chambre pour m’aider… Je profite d’être à peine sortie pour attraper au passage un appareil juste à côté de la porte qui va me permettre de prendre les constantes.
Les patients se trouvent ici dans un service de médecine ou de chirurgie ‘Covid’ mais sont malheureusement très instables et les soignants paradoxalement très peu nombreux ! Une fois en soin avec un patient il est vraiment difficile de se rendre immédiatement disponible pour un autre… Je me rendrai compte par la suite que les situations de solitudes des soignants et de rupture du protocole sont malheureusement fréquentes.
Mon patient finit par se stabiliser sous 12l d’oxygène au masque à haute concentration. Soulagement. Au vu de ses antécédents pourtant, il n’aura pas accès à un service de réanimation ou de soins continus. C’est malheureusement cela aussi la réalité du terrain dans certains hôpitaux lors des phases aiguës de cette crise sanitaire.
Le travail en équipe est plutôt basé sur la confiance que l’on porte à son binôme, mais lorsque nous sommes deux pour quinze patients opérés en chambre d’isolement Covid, nous nous croisons de maigres minutes en quelques heures...
Improvisation perpétuelle
Une fois cet épisode stressant derrière moi, je fais le point. A peine arrivée en poste, je me suis sentie particulièrement déstabilisée par la situation qui s’est présentée. Malgré tout, la gestion de l’adrénaline que procurent des situations d’urgences vitales font parties de ma pratique courante et après quelques instants de fragilité, je suis finalement parvenue à me concentrer pour faire au mieux avec ce que j’avais.
Au fil des jours, je prends mes marques, au point vraiment de me sentir intégrée parmi mes nouveaux collègues. Cependant, le manque criant de matériel et les difficultés d’organisation demandent une improvisation perpétuelle, qui accroît selon moi la fatigue et le sentiment d’insécurité que les soignants de cet hôpital peuvent éprouver au quotidien. Le plus possible, je tente humblement de transmettre quelques astuces tirées de ma pratique quotidienne à mes nouveaux collègues pour enrichir la leur. Pris dans l’engrenage de conditions de travail pénibles depuis des semaines, il est évidemment plus difficile pour eux de prendre le recul nécessaire pour innover, trouver des idées…
Je me permets aussi d’échanger avec l’unité d’hygiène de cet hôpital ainsi qu’avec la cadre de santé, pour tenter de récupérer du matériel, devant le manque quasi permanent rencontré ici. Les moyens humains sont également très insuffisants. Le travail en équipe est plutôt basé sur la confiance que l’on porte à son binôme, mais lorsque nous sommes deux pour quinze patients opérés en chambre d’isolement Covid, nous nous croisons de maigres minutes en quelques heures... Comment travailler correctement dans ces conditions ? Nous faisons tous de notre mieux mais le constat est là : une réalité de terrain très compliquée pour les équipes et autant de potentielle perte de chance pour les patients pris en charge.
Marine L.
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