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êtes-vous infirmier ?

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ETHIQUE

Réaction soignante à « L’hôpital blessant »

Publié le 15/02/2010

Il y a quelques jours, j’ai reçu dans ma messagerie électronique, une information, traitant de « l’hôpital blessant ». Les deux liens sont les suivants :

L'hôpital blessant, Libération.fr
« Des réveils en pleine nuit, la porte toujours ouverte… » Libération.fr

Atterré par le titre, j’ai cliqué sur les liens et j’ai compris qu’il s’agissait d’une étude rassemblant des témoignages, et se penchant sur la maltraitance « ordinaire » dans les établissements de santé.
Loin de moi l’intention de nier ou de minimiser le phénomène, d’autant que l’étude est réalisée « par deux personnalités du monde des associations de malades – Claire Compagnon et Véronique Ghadi » et que « ce travail est le résultat d’une commande de la Haute autorité de santé qui voulait évaluer l’importance de ce phénomène ». Le résultat a été rendu public le 27 janvier 2010.

Ma première réaction à la lecture des deux articles précités a été : « Ils ont osé »… « Ils ont osé compiler les plaintes des patients ». Comment réagir, nous, professionnels de santé à ce déversoir de reproches, dont nous sommes la cible. J’ai fini par me dire que face à cette compilation de plaintes, il faudrait, un jour ou l’autre, comptabiliser « le positif » que nous renvoie les patients et qui nous fait tenir. Comment tenir au lit du malade ? Comment perdurer dans la profession ? Sujet développé dans mon article précédent « Vers la onzième compétence ».

J’ai donc décidé de réagir, par l’écriture d’un article. Mais avant l’écriture, il me fallait aller à la source, l’étude elle-même : La maltraitance « ordinaire » dans les établissements de santé. Etude sur la base de témoignages. Claire Compagnon et Véronique Ghadi. 2009.

J’ai lu 87 pages, hors annexes, d’un travail extrêmement bien construit, et j’en suis ressorti de nouveau atterré, mais différemment. Il faut aller lire cette étude. Tout résumé la dénature, en l’appauvrissant. Cette étude présente des montagnes d’enseignements.

Cependant la structuration de cette étude me questionne :
On y découvre que le groupe de travail d’élaboration du manuel de certification V2010, comprend 20 personnes : des directeurs, des chargés de mission, des médecins… mais une seule et unique infirmière, cadre de santé… Il est vrai que nous ne sommes que 480 à 500 000 infirmier(e)s !

De même dans les 16 entretiens menés auprès de professionnels et de « référents » sur la thématique, il y a 4 cadres de santé, dont un cadre supérieur, des directeurs, des chargés de missions, des formateurs sur le thème… Mais là non plus, pas d’infirmières d’unité de soins, ni d’aides-soignantes.

Enfin, dernières remarques : La page 71, à elle seule, est un trésor d’informations :
« Vu le contexte à l’hôpital, il y a peu d’effectif, un fort taux d’absentéisme, des personnels épuisés. Avec les restrictions budgétaires, on évite de remplacer les personnels qui s’en vont. Les personnels vont au plus pressé, on n’a pas le temps de se poser, on éprouve beaucoup de frustration. Il y a un problème dans la relation d’aide, on doit prendre le temps d’une écoute active, or on n’a plus le temps » (Cadre de santé)

« Une organisation est maltraitante quand il y a une aide-soignante qui gère 20 malades dont 12 très dépendants. C’est un contexte qui favorise la maltraitance : la tension sur les effectifs, le turn-over important, le manque de qualification, le manque d’encadrement, produit de la maltraitance… » (Cadre de santé)

« Il y a 20 ans, il y avait 7 aides-soignants le matin, alors que maintenant il n’y en a que 2 ou 3 pour des patients plus lourds qu’avant… » (Cadre de santé)

« C’est toujours pareil, on nous en demande plus avec toujours moins de moyens et de personnes » (Pédiatre)…
Comme la page 75 : « Tout ne repose pas sur la question des effectifs, mais si en plus on rajoute le fait qu’il va y avoir des vacataires, cela devient impossible » (Cadre de santé)

« On ne peut pas parler de maltraitance sans évoquer les problèmes à régler : il est nécessaire d’avoir plus de personnel, plus de temps. Il est aussi nécessaire de former les personnels, mais là aussi il faut du temps et du personnel » (Médecin réanimateur)

Ce qui me choque, c’est qu’aucun des propos traitant du sous-effectif des soignants ne soit retenu dans la conclusion (pages 86 et 87). On ne peut pas tout citer, mais nous savons tous que pour un document aussi volumineux, après l’introduction, c’est la conclusion qui sera lue, photocopiée, diffusée. C’est la conclusion qui sera reprise en article…

En résumé, nous sommes donc d’accord, il y a de la maltraitance, dirigée à la fois vers le malade et le soignant. J’espère que l’Ordre des infirmiers se penchera bientôt sur tout cela et qu’il pèsera de ses 500 000 voix pour assurer une diffusion totale et cohérente de ce type d’étude. J’espère qu’il validera aussi, très bientôt, par un code de déontologie digne du XXIème siècle, le droit des professionnels à réagir et à se positionner dans des débats comme celui dont nous traitons.

Après mon indignation primaire passée « Ils ont osé compiler les plaintes des patients », ma colère s’est apaisée par une lecture fine de l’ensemble du document, l’équité s’est rétablie par l’énoncé du manque criant d’effectif soignant. Une réaction saine peut donc être envisagée.

Après de longues années passées à accompagner le soigné, je m’investis aussi, en tant que cadre supérieur, dans l’accompagnement du soignant. En réaction à l’utilisation compilée de plaintes de patients, j’invite toutes les équipes de soins, dans chaque unité, à ouvrir si ce n’est déjà fait, un Livre d’Or, pour compiler la satisfaction des usagers, qui bien que malades, souvent même gravement malades nous expriment leur gratitude. Parce qu’au-delà des questionnaires de satisfaction, il nous faut leur offrir le droit de témoigner de leurs plaintes, tout comme de l’excellence de leur prise en charge.

Dans ma fonction de cadre, je participe à répondre aux plaintes des personnes soignées et j’essaie de mettre en œuvre des mesures correctives quand elles s’avèrent possibles.
Et au même titre que l’on m’adresse les copies des plaintes, on me transmet aussi les lettres de remerciements adressées au Directeur pour les équipes. Quand elles concernent le service où j’exerce, je reçois bien évidemment l’original de la lettre.

J’ai donc décidé aujourd’hui, moi aussi d’oser, et de rendre publique, de façon anonyme bien sûr –confidentialité oblige-, une lettre de remerciements d’une patiente prise en charge dans notre service et adressée à la Direction :

« Madame,   

Je désire vous informer des faits suivants :
N’étant pas bien avec des nausées et des douleurs dans la poitrine, dans le dos et le bras gauche, j’ai fait appel à SOS Médecins…, qui m’a fait une ordonnance pour aller aux urgences dans un hôpital. Je ne désirais pas aller à…, et le médecin m’a dit de partir par mes propres moyens pour aller dans un autre hôpital. C’est donc mon fils qui m’a emmené à…
Cela se passait le…, à mon arrivée vers 14h30, jusqu’à 22h10, heure de mon départ de l’hôpital.
Je suis une dame de 79 ans, qui a été éduquée avec le cœur et des valeurs morales.
Je tiens à vous dire Madame, combien le Personnel des urgences a été gentil pour moi, souriant, efficace et calme. J’étais très anxieuse, et un sourire, un mot gentil, comme cela me faisait du bien. J’avais été dirigée dans le service…
Je tenais à vous dire tout cela Madame, car j’ai entendu une femme insulter ce Personnel, une autre sans cesse l’interpeller.
Je leur disais, comment faites-vous ? Pour tenir toute une journée comme cela.
L’on me répondait, nous ne savons pas, c’est notre métier, nous l’aimons et nous aimons les autres.
J’ai eu divers examens, électrocardiogramme, prise de sang, radio des poumons, scanner. J’ai eu plusieurs personnes autour de moi, aussi aimables et rassurantes les unes que les autres.
Je tenais à vous exprimer tout cela Madame…
Je vous prie de croire Madame, en mes meilleurs sentiments.  
Signature
PS : Je n’ai aucune connaissance de personnes aux urgences, et j’écris de mon propre chef.
Signature (de nouveau) »

A mon tour, Madame, en tant que responsable paramédical de ce service, je vous remercie très chaleureusement.

 

L'auteur

Etre infirmier aujourd’hui, D’une ONG au monde hospitalier, Un parcours sans frontières, Editions Ellébore, Mars 2006
Quand les soignants témoignent, Du droit individuel à l’ « oubli » au devoir collectif de mémoire, Editions Masson, Octobre 2009


Philippe Gaurier
Membre du comité de rédaction
Infirmier.philippe@wanadoo.fr
www.etre-infirmier-aujourdhui.com


Source : infirmiers.com