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LEGISLATION

Quels critères pour retenir l’irresponsabilité pénale ? L’affaire Cocaign

Publié le 13/09/2010

La Cour d'assises de la Seine-Maritime a condamné à une peine de trente ans de réclusion criminelle, assortie d'une peine de sûreté de vingt ans, Nicolas Cocaign, accusé d'avoir tué et mangé un morceau de poumon d'un codétenu. Une partie du procès portait sur la question d’évaluer sa « capacité de discernement » (abolie, intacte ou altérée ?) au moment de ses actes, afin de savoir s’il devait ou non en être déclaré responsable pénalement.

En droit pénal, lorsqu’une infraction a été commise, la responsabilité pénale s’analyse autour des principes suivants :

  • la qualification de l’acte,
  • la culpabilité de l’auteur,
  • l’imputabilité de l’acte, c'est-à-dire la vérification que l’auteur a la capacité nécessaire pour répondre pénalement des conséquences de son comportement.

C’est donc au travers de l’intentionnalité du crime et du délit qu’est étudiée en droit pénal français l’irresponsabilité pénale.1

Les principes de l’irresponsabilité pénale

Ils sont définis à l’article 122-1 du code pénal : la non imputabilité des faits est retenue dès lors qu’il est démontré que la personne a perdu son libre arbitre au moment des faits (abolition totale de sa capacité de discernement) et cela quelle que soit la nature du trouble mental qui en est à l’origine.
« L’expertise psychiatrique de responsabilité a ainsi pour but de déterminer si, au moment des faits, le sujet présentait ou non une pathologie psychiatrique et si, en conséquence, la juridiction saisie peut prononcer ou non une peine et éventuellement la moduler. Comme le souligne J. Pradel, la démarche de l’expertise psychiatrique pénale est diagnostique et justifie qu’elle soit réalisée par un psychiatre qui a compétence pour rédiger le certificat d’hospitalisation d’office (HO) éventuelle. » 2

L’étude de la responsabilité s’opère sur deux niveaux en fonction des signes présentés lors des faits : abolition du discernement ou altération de celui-ci sans que le code pénal ne donne, dans le cas d’altération du discernement, de précision sur la peine, ni d’indication de durée en cas d’incarcération.

A la lecture du rapport d’audition de l’HAS « Expertise psychiatrique pénale », les conclusions tendent à démontrer que lorsqu’une personne est déclarée responsable du fait qu’il y ait eu altération et non abolititon du discernement, une atténuation des peines est rarement retenue.

D’ailleurs parmi leurs recommandations, on peut lire : « La réécriture du code pénal en 1994, introduisant deux niveaux dans l’analyse du discernement, l’abolition et l’altération, l’altération du discernement ne conduisant plus systématiquement à une atténuation de la peine. De ce fait, il a été signalé, notamment par les rapports d’inspection générale, que les malades mentaux considérés par les experts comme ayant un discernement altéré étaient souvent condamnés à des peines plus longues que celles qu’ils auraient pu encourir s’ils n’étaient pas malades mentaux.

Bien qu’il ne soit pas possible de le confirmer par des données statistiques, la commission d’audition se fait ici l’écho des avis d’experts et des échanges nombreux au cours de l’audition.

Dans le respect des missions qui incombent au législateur, la commission d’audition suggère une réécriture de l’alinéa 2 de l’article 122-133 du code pénal. Cette nouvelle rédaction devrait permettre à la personne atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes de bénéficier d’une atténuation réelle de responsabilité avec minoration de peine, par exemple sous la forme d’une excuse atténuante de responsabilité partielle. La peine privative de liberté prévue ne pourrait être supérieure à la moitié de la peine encourue, la durée restante donnant lieu à une obligation de soins fixée et réévaluée en fonction de l’état clinique.

Les personnes condamnées au titre du 122-1 alinéa 2 et présentant des pathologies psychiatriques avérées connaissent peu d’aménagement de peine du fait d’une difficulté d’accès à la libération conditionnelle, en général soumise par le juge d’application des peines à l’engagement du secteur de soins psychiatriques dans une prise en charge adaptée. La commission d’audition recommande une meilleure coordination entre les acteurs sanitaires, sociaux, pénitentiaires et judiciaires permettant à ces malades de ne pas être exclus des aménagements de peine prévus par le Code de procédure pénale)»3

En l’occurrence, dans l’affaire Cocaign, les jurés de la Cour d’Assise ont suivi le réquisitoire de l’avocate générale qui ne sollicitait pas la réclusion perpétuelle mais trente ans dont 20 ans de sûreté. Il a donc été retenu une altération des facultés (troubles psychotiques) et donc une responsabilité de ses actes. Le principe de l’irresponsabilité pénale a donc été écarté et la Cour a prononcé une peine « clémente » en ne retenant pas la peine maximale.

Abolition ou altération ?

Sur cette question, le rapport de la commission d’audition recommande :

« L’expertise psychiatrique, à travers l’identification de l’abolition du discernement, a pour objet de donner des soins à la personne malade plutôt que de l’exposer à la sanction pénale prévue par la loi.

L’abolition du discernement concerne toutes les situations cliniques et médicolégales dans lesquelles l’expert peut mettre en évidence un lien direct et exclusif entre une pathologie psychiatrique aliénante au moment des faits et l’infraction commise.

Le champ de l’abolition du discernement garde toute sa pertinence et n’est en rien amputé par celui de l’altération du discernement.

Dans aucun pays il n’a été possible de lister tous les états pathologiques conduisant a priori à une proposition d’abolition du discernement et donc à une irresponsabilité pénale, même si entrent dans ce cadre, pour la plupart des experts, les psychoses schizophréniques, les psychoses paranoïaques chroniques, les bouffées délirantes, les épisodes aigus des troubles bipolaires et les troubles dépressifs sévères ou les troubles confusionnels. Dans tous les cas, il s’agit d’étudier l’incidence de la pathologie diagnostiquée sur le passage à l’acte au moment des faits.

Dans l’hypothèse d’une récidive contemporaine d’une rechute liée à un arrêt de traitement, la discussion médico-légale doit prendre ce facteur en compte, sans que l’on impute au malade son inobservance, qui est fréquente dans les premières années d’évolution des psychoses schizophréniques quand l’alliance thérapeutique avec l’équipe de soins n’est pas encore solide. »4

Enfin, les experts insistent sur le fait qu’il convient de ne pas confondre dangerosité et maladie mentale :

« En première analyse, il convient toujours, en l’état des connaissances actuelles, de distinguer :

  • la dangerosité psychiatrique : manifestation symptomatique liée à l’expression directe de la maladie mentale ;
  • la dangerosité criminologique : prenant en compte l’ensemble des facteurs environnementaux et situationnels susceptibles de favoriser l’émergence du passage à l’acte.

L’évaluation de la dangerosité doit veiller à ne pas stigmatiser le « malade mental ».
Elle doit différencier plusieurs points : la situation dangereuse, les facteurs de risque, le niveau de risque, les dommages causés. Il s’agit d’une démarche qui applique au sujet non seulement la recherche de facteurs cliniques (psychoses, troubles de la personnalité, etc.), mais aussi de facteurs biographiques et de facteurs contextuels, en sachant que ces derniers peuvent être soit favorisants, soit avoir une valeur de protection.

La notion de dangerosité est une notion très subjective qui ne se réduit pas à une analyse psychiatrique et qui nécessite une perspective pluridisciplinaire : en ce sens on peut parler de psychocriminologie.

Des instruments d’évaluation ont été proposés. La commission d’audition recommande la prudence quant à leur utilisation, qui doit toujours être réservée à des professionnels de santé confrontant les résultats de l’échelle utilisée à l’examen clinique.

Des travaux de recherche sont indispensables pour créer des échelles ou adapter les échelles anglo-saxonnes actuellement disponibles au contexte français. »5

L’enjeu majeur est de déterminer s’il existe ou non une abolition des capacités de discernement, auquel cas le prévenu est déclaré irresponsable et placé en Hospitalisation d’office. Actuellement, les experts font part de leurs difficulté et de la lourdeur de leur mission : «, I.1.2. L’équilibre entre justice et santé, donc entre prison et hôpital, à l’aune de la démographie expertale : les experts psychiatres et psychologues sont particulièrement critiques sur la nature de leurs missions comme sur les conditions dans lesquelles elles sont réalisées. De moins en moins nombreux à solliciter leur inscription sur les listes auprès des Cours d'appel, ils soulignent la multiplication des missions, la difficulté de leur pratique, notamment en milieu pénitentiaire, la lourdeur de leur prise de responsabilité, la surcharge de travail et de disponibilité imposée par l'appel d'assises… »6

Dans le présent cas, l'avocate générale estimait que Nicolas Cocaign souffrait de troubles psychotiques, mais restait partiellement responsable de ses actes. "Un homme qui bascule dans l'horreur n'est pas nécessairement atteint de folie", avait-elle affirmée.

Quels ont été les impacts de la réforme de 2008 au cours du dit procès ?

La deuxième partie de la loi7 porte sur le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement. Antérieurement à la loi, lorsque l’auteur d’une infraction était déclaré pénalement irresponsable, le juge d’instruction rendait une “ordonnance de non-lieu” qui clôturait l’instruction et mettait fin aux poursuites judiciaires. Désormais, une procédure est prévue et la notion de non lieu a disparu. En lieu et place est utilisée la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Tout un débat se pose également sur la « psychiatrisation de la justice ».

Dans la présente affaire, comme il n’a pas été retenu une abolition de ses capacités de discernement, il a donc été jugé et condamné par la Cour d’Assise à une peine de trente ans assortie d’une peine de sûreté de vingt ans (c'est-à-dire qu’il ne pourra pas faire moins de vingt ans de prison). La Cour a en outre ordonné un suivi judiciaire avec injonction de soins pendant huit ans à partir de sa libération. Au cas où il ne respecterait pas cette obligation, il encourrait quatre ans de prison.

Un décret du 24 juin 20108 modifie l’article D. 47-29 du code de procédure pénale et insère huit nouveaux articles. Il fixe les modalités selon lesquelles sont prononcées par les juridictions judiciaires les mesures de sûreté qui sont applicables aux personnes qui font l’objet d'une décision d'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble mental.

Cette hospitalisation est immédiatement exécutoire, y compris en cas d'appel. Il précise que, lorsqu’une juridiction d’instruction ou de jugement décide de l’hospitalisation d’office d’une personne, celle-ci rend une ordonnance motivée aussitôt après avoir rendu le jugement ou l’arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (devant la cour d’assises, l’ordonnance est prise par la cour sans l’assistance du jury).

Une copie de l’ordonnance est immédiatement adressée par le parquet au représentant de l’État dans le département (à Paris, au Préfet) qui procède sans délai à l’hospitalisation, après les formalités éventuelles de levée d’écrou.

L’expertise médicale est en principe celle réalisée au cours de l’instruction, mais un complément peut être ordonné afin d’actualiser les informations ; la délivrance d’un certificat médical décrivant l’état actuel de la personne peut également être requise.

Les articles suivants prévoient que l’ordonnance aux fins d’hospitalisation d’office est immédiatement exécutoire et ne peut être contestée que par le biais de la décision de déclaration d’irresponsabilité pénale elle-même (appel et pourvois n’étant pas suspensifs).

Il ne peut être mis fin aux hospitalisations d'office prononcées par le juge  que sur les décisions conformes de deux psychiatres n'appartenant pas à l'établissement et choisis par le représentant de l'Etat dans le département sur une liste établie par le procureur de la République, après avis du directeur général de l'Agence régionale de santé de la région dans laquelle est situé l'établissement.

Ces deux décisions résultant de deux examens séparés et concordants doivent établir que l'intéressé n'est plus dangereux ni pour lui-même ni pour autrui (c’est le régime applicable à l’ensemble des hospitalisations d’office).

Quant aux autres mesures de sûreté, le décret précise qu’elles ne peuvent être prononcée que lorsqu’elles sont « nécessaires pour prévenir le renouvellement des actes commis par la personne déclarée pénalement irresponsable, pour protéger cette personne, la victime ou la famille de la victime, ou pour mettre fin au trouble à l’ordre public ».

Depuis la publication du dit décret, le recours à la visioconférence pour l'audition des témoins et des experts lors des audiences d'irresponsabilité pénale devant la chambre de l'instruction est possible.

Conclusion

Il est fondamental qu’un véritable travail soit effectué en transversalité justice - médecine ; dans de telles affaires, on ne peut pas les dissocier. Mais encore faut-il doter les établissements appelés à s’occuper des personnes placées en hospitalisation d’office suite à une déclaration d’irresponsabilité des moyens humains et de les former. Il ne suffit pas de les changer de lieux sans aménagement de ces structures sinon on déplace le problème sans le résoudre pour autant  : le débat repartira de plus belle lors d’un prochain drame.

Notes

1 HAS, Expertise psychiatrique pénale, Rapport de la commission d’audition ; 25 et 26 janvier 2007.
2 HAS, Expertise psychiatrique pénale, Rapport de la commission d’audition ; 25 et 26 janvier 2007.
3 Rapport cité note 1 ; p23 du rapport
4 P31 du dit rapport
5 P35 du dit rapport
6 P13 du dit rapport
7Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental
8Décret n° 2010-692 du 24 juin 2010 précisant les dispositions du code de procédure pénale relatives à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

Webographie

Nathalie LELIEVRE
Juriste droit de la santé
Chargé de conférence et formation continue
Rédaction Infirmiers.com
nathalie.lelievre@infirmiers.com


Source : infirmiers.com