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Quand les NBNNNP rencontrent les Economistes Attérés...

Publié le 03/02/2014
Les NBNNNP rencontrent les économistes Attérés

Les NBNNNP rencontrent les économistes Attérés

Les économistes attérés

Les économistes attérés

logo NiBonnes Ninnones Nipigeonnes

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économie tirelire stéthoscope

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Depuis sa création il y a deux ans, le mouvement NBNNNP multiplie les manifestations spectaculaires destinées à alerter le public et les autorités de santé sur la dégradation des conditions de travail des soignants, facteur majeur de celle de la qualité des soins. Sa dernière initiative témoigne de sa volonté d’approfondir sa réflexion. Le 23 janvier dernier, deux de ses représentantes participaient à une des réunions mensuelles des Économistes Atterrés, avec pour thème l’évolution du système de santé.

L'impact des politiques économiques de santé sur la réalité du fonctionnement des hôpitaux et de ses acteurs de soin...

L’économiste Jean-Paul Domin, Maître de conférences à l'Université de Reims, a rappelé en préambule que la situation actuelle est l’aboutissement d’une politique hospitalière conduite depuis une trentaine d’années. Le point de départ se situe au début des années 80, quand les dépenses de santé commencent à augmenter plus vite que le revenu national. Les pouvoirs publics croient alors qu’il est possible de freiner la tendance, voire de la stopper. Pour cela, ils donnent la priorité à la baisse des dépenses hospitalières, qui se sont accrues jusqu’à dépasser la moitié du budget total de la santé. Leur politique va alors articuler trois axes d’action.

Il s’agit d’abord de renforcer les liens entre les hôpitaux et leur tutelle. Les ARH (Agences régionales de l’hospitalisation) sont créées en 1996. Elles fusionnent des administrations qui n’avaient jusque là aucun lien entre elles : DRASS et DDASS (Directions régionales et départementales de l’action sanitaire et sociale), CRAM (Caisses régionales de l’Assurance maladie). Elles ont quatre fonctions : attribuer les budgets hospitaliers, organiser les soins sur un territoire (création des SROS : schémas régionaux d’organisation des soins), inciter les établissements à contractualiser sur des objectifs et des moyens (tel moyen en échange de tel objectif), développer l’accréditation. L’étape suivante est la création des ARS (Agences régionales de santé)  par la loi HPST (Hôpital Patients Santé Territoires) en 2009.

Le deuxième axe est la réforme de l’organisation des hôpitaux. Elle s’effectue en trois temps. Dans les années 80, après l’échec des départements hospitaliers destinés à « responsabiliser » les praticiens, sont créées les commissions médicales consultatives, puis d’établissements, qui sont les lieux de la négociation entre médecins et directions. La loi Évin de 1991, soit trois ans après les grandes manifestations infirmières, a pour but de faire travailler ensemble des catégories de professionnels réputées antagonistes : médecins, infirmières, directeurs. Enfin l’ordonnance de mai 2005, puis la loi HPST de 2009, qui créé les pôles hospitaliers, institutionnalisent la gestion par contrats, dont l’objectif est la diminution du nombre de lits hospitaliers.

Enfin, les pouvoirs publics s’attellent à la tarification. Le coup d’envoi est lancé en 1982 avec la création du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d’information) dont le but est d’instaurer une comptabilité analytique (avec des indicateurs d’activité pour chaque hôpital) par la codification des actes. L’étape suivante est la mise en place des GHM (groupes homogènes de malades), qui rassemblent des malades par types de pathologies et de traitements. La complexité des situations pathologiques amène leur nombre à 2 500 aujourd’hui et ça ne s’arrêtera sans doute pas là. Au moyen d’un échantillon national, un coût moyen est calculé pour chaque GHM. C’est lui qui détermine l’allocation correspondante pour chaque hôpital, qu’il dépense effectivement plus ou moins. C’est la fameuse T2A (tarification à l’activité), instaurée en 2003. Son but est d’inciter les établissements à améliorer leur gestion en se comparant aux autres, c’est-à-dire à augmenter leur productivité. Le modèle est celui de la concurrence : il s’agit d’être « compétitifs ».

Mais le système comporte d’importants effets pervers : sélection des patients dont le coût moyen est inférieur à la dotation de leur GHM, diminution de la durée de séjour (ce qui explique aussi l’engouement pour la chirurgie ambulatoire), surcotation, sélection des spécialités rentables (par exemple, la chirurgie orthopédique plutôt que la médecine interne et la gériatrie).

En résumé, pour Jean-Paul Domin, il y a bel et bien une politique de santé, en particulier hospitalière, même si ses mesures semblent disparates, et largement indépendante du gouvernement en place.

Les pôles hospitaliers, créés en 2009, institutionnalisent la gestion par contrats, dont l’objectif est la diminution du nombre de lits hospitaliers

Une soirée-débat qui croise questions économiques et politiques de santé... avec des infirmières réactives

Des recherches de productivité contre-productives

Sociologue, chargé de recherches au CNRS, Nicolas Belorgey est l’auteur d’un livre important (L’hôpital sous pression, La Découverte, 2010), dans lequel il décrit comment est mise en œuvre cette politique dans les hôpitaux. Il a d’abord fallu tenter de convaincre les acteurs hospitaliers de son bien-fondé. Pour cela, a été mise en place une Agence nationale (aujourd’hui l’ANAP – Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux).

Ses agents, chargés de propager la bonne parole dans les hôpitaux sont pour la plupart des contractuels recrutés hors Fonction publique, ce qui les rend particulièrement disciplinés : pas question de faire remonter leurs observations de terrain pouvant invalider la politique choisie. Leur mission est de convaincre les équipes et agences hospitalières de changer leurs pratiques, quitte à passer par un long travail de persuasion (3 ans en moyenne). Celui-ci promeut des objectifs a priori consensuels, comme la réduction du temps d’attente et de passage des patients aux urgences (on notera que confondre les deux est déjà un abus conceptuel). Ce faisant, il s’agit d’utiliser de vieilles recettes de la sociologie des organisations : plutôt que de promouvoir la productivité, qui n’a pas bonne réputation dans les milieux du soin, mettre en avant la performance, bien plus flatteuse.

Cette politique se heurte à des « résistances », comme aiment à le dire ses promoteurs. Mais elle est aussi adoptée par de nombreux professionnels, parce qu’ils y trouvent un intérêt personnel : ce sont en général des salariés fragiles, soit du fait de leur statut, comme ceux en CDD, qui espèrent gagner leur CDI par leur ardeur au travail, soit parce que leur légitimité est mal assurée (par exemple, les personnes victimes de racisme) : ils tentent de la renforcer en faisant valoir leurs capacités.

Le problème est que cette politique est doublement contre-productive, pour les patients comme pour les finances de l’assurance maladie. Ainsi, aux urgences, Nicolas Belorgey a observé que les patients pris en charge par les soignants qui y sont favorables avaient des temps de passage plus courts, ce qui est le but recherché, mais revenaient plus souvent, ce qui majore leur coût. Inversement, les patients pris en charge par les « résistants » restaient plus longtemps en consultation, ce qui baisse la productivité à court terme du service, mais revenaient moins souvent, ce qui coûte moins cher à moyen terme.

Mettre l'hôpital sous pression est doublement contre-productif, pour les patients comme pour les finances de l’assurance maladie

Une revendication majeure : un ratio nombre de patients par soignant

Représentant le mouvement des N3NBP, Alexandra Saulneron, infirmière libérale et présidente du collectif, et Sarah Guerlais, vice-présidente, ont décrit les contraintes de plus en plus fortes subies par les infirmières hospitalières, dues notamment à la diminution des effectifs et à l’augmentation des heures supplémentaires (non payées …), avec pour conséquence la baisse de la qualité des soins.

Leurs principales revendications sont au nombre de quatre :

  • établir un ratio obligatoire de nombre de patients par soignant en fonction du service hospitalier ;
  • remettre à plat la tarification, en introduisant dans son calcul le temps relationnel passé auprès des malades ;
  • tenir compte des avis des professionnels de terrain sur les réformes prévues ou mises en place ;
  • redéfinir la politique de recrutement, sachant que celui-ci diminue alors qu’il existe des postes vacants, avec pour conséquence le début d’un chômage chez les infirmières, surtout les plus jeunes. Infirmières libérales après quelques années d’hôpital, elles réclament également la reconnaissance des professionnels libéraux comme des acteurs majeurs de santé.

Toutes ces demandes se sont heurtées jusqu’à présent à une fin de non-recevoir par le ministère. Ce qui n’étonne pas Nicolas Belorgey, en particulier pour celle d’un ratio patients/soignant. Pour lui, il s’agit d’un enjeu majeur, à la fois politique parce que conflictuel, caché puisque les pouvoirs publics font tout pour le masquer (d’où leur refus d’en discuter), sanitaire puisque plusieurs études ont montré qu’il est directement corrélé à la qualité des soins.

Les contraintes subies par les infirmières hospitalières, de plus en plus forte, sont dues notamment à la diminution des effectifs et à l’augmentation des heures supplémentaires...

En finir avec le dogmatisme des autorités de santé

Avec sa verve habituelle, le Pr André Grimaldi (diabétologue) a rappelé qu’aujourd’hui le but des pouvoirs publics n’est plus de diminuer les dépenses de santé, ce qui apparaît comme un objectif inatteignable, mais de faire baisser leur part publique, en réorientant une partie du système sur le privé. Cependant, il ne s’agit pas non plus de supprimer le compromis instauré en 1945 entre l’État, les assurances complémentaires, l’assurance maladie et les partenaires sociaux, mais de le modifier en transférant une partie des dépenses sur les particuliers et sur les complémentaires.

Comme il faut ménager chaque protagoniste du système, l’accumulation des mesures aboutit à quelque chose de parfaitement illisible pour le citoyen moyen, chacune impliquant son correctif pour tenter de corriger ses effets pervers sur l’un des partenaires. Par exemple, la place accrue donnée aux complémentaires entraîne la création de la couverture maladie universelle (CMU) pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’en offrir une, puis de l’aide pour l'acquisition d'une assurance complémentaire santé (ACS) pour ceux qui pourraient avoir les moyens si elles étaient un peu moins chères…, sachant que les complémentaires regroupent les assurances privées, les mutuelles et les instituts de prévoyance, privilégiés de fait dans le projet de loi sur les complémentaires d’entreprises (mais censuré deux fois par le Conseil Constitutionnel).

En ce qui concerne l’hôpital, le Pr Grimaldi n’est pas opposé de principe à la T2A : il s’agit d’un mode de tarification très bien adapté à un certain nombre de prises en charge, très techniques, bien protocolisées et correspondant à des groupes effectivement homogènes de malades (par exemple, la chirurgie pour syndrome du canal carpien). Mais l’immense majorité des patients ne correspond pas à ce schéma. Pour eux, et en fonction de leurs pathologies, les anciennes tarifications par dotation globale ou au prix de journée d’hospitalisation restent des alternatives valables.

Si la T2A est privilégiée par les autorités de santé, c’est que ses responsables pensent qu’elle est un outil privilégié pour transférer au privé une bonne partie des dépenses hospitalières et surtout qu’ils sont convaincus que l’amélioration de la qualité de soins passe par une mise en concurrence des services hospitaliers, publics et privés. Ce dogme n’est jamais remis en cause. Ses échecs sont attribués à une insuffisance de mise en œuvre : il faut aller plus loin. Le Pr Grimaldi fait ainsi remarquer que la pertinence elle-même de la T2A n’est jamais évaluée, ni son coût de mise en œuvre, alors que son fonctionnement est terriblement complexe et mobilise de très nombreux salariés. Les conséquences sur les équipes de soin sont majeures : pression à la productivité, déstabilisation des équipes, augmentation des corporatismes.

Comme il faut ménager chaque protagoniste du système, l’accumulation des mesures aboutit à quelque chose de parfaitement illisible pour le citoyen moyen...

• Conférence-débat du 23 janvier 2014, « L'hôpital et la crise de la santé publique. Enjeux et perspectives », à l'initiative du Collectif NBNNNP et des Economistes Attérés 20h-22h30, AGECA, 177 rue de Charonne, 75011 Paris.

Serge CANNASSE Journaliste serge.cannasse@mac.fr http://www.carnetsdesante.fr


Source : infirmiers.com