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Prévention du suicide dans un monde connecté : quels paradoxes ?

Publié le 16/02/2015
high-tech ordinateur tablette téléphone

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Plusieurs débats ont eu lieu en régions et à Paris à l'occasion de la 19e Journée nationale de prévention du suicide (JNPS) sur le thème "Prévention du suicide : un monde connecté ?". À Toulouse, le 3 février dernier, la journée organisée par l’association Prévention du suicide en Midi-Pyrénées (PSMP) s'est penchée entre autres sur les paradoxes des nouveaux outils de communication, qui conjuguent à la fois ressources et menaces. Un point sur les nouveaux outils en matière de prévention du suicide chez le sujet âgé a aussi été réalisé. Éclairage.

Les objets connectés ont-ils une âme ? Ne pas confondre communication et relation...

Plus de 11 000 décès par suicide enregistrés en 2011, soit 1 décès sur 50, près de 200 000 personnes accueillies aux urgences après une tentative de suicide, les chiffres sur le suicide restent en France toujours élevés. L'Hexagone a d'ailleurs l'un des taux de suicide parmi les plus hauts d’Europe après la Finlande, la Belgique et la plupart des pays de l’Est. Ce problème majeur de santé publique concerne tous les âges, sachant que le taux de suicide augmente fortement avec l'âge (un tiers de celles et ceux qui se suicident ont plus de 60 ans) et qu’une nette surmortalité masculine est observée.

Pour autant, le suicide n'est pas une fatalité. Pour preuve, la baisse globale des taux de décès par suicide (de l’ordre de -14 %) observée entre 2000 et 2010. Une baisse constante pour toutes les classes d’âge à l’exception toutefois des 45-54 ans et des 55-64 ans. Cette tendance à la baisse est le résultat d’actions multiples menées au long cours telles la limitation de l’accès aux moyens létaux utilisés pour les passages à l’acte suicidaire, une meilleure connaissance de la crise suicidaire, des facteurs de risque (cf. encadré "Facteurs de risque du suicide") et de protection du suicide, ainsi que des situations fragilisantes, des interventions ciblées sur les populations à risque, la formation des professionnels et des bénévoles écoutants, une meilleure coopération entre les acteurs des secteurs sanitaire, social et médico-social…

Dans un monde ultra connecté, d'ou vient ce sentiment d'être de plus en plus seul ?

Facteurs de risque du suicide

  • Tentative de suicide antérieure (facteur le plus important)
  • Troubles psychiatriques, dont les troubles de l’humeur (dépression, troubles bipolaires, etc.)
  • Facteurs (neuro)biologiques
  • Maladies somatiques
  • Addictions (notamment alcoolisme)
  • Événements de vie négatifs (difficultés vécues dans l’enfance, ruptures, deuils, agressions physiques et sexuelles…)Isolement
  • Précarité financière, endettement
  • Chômage
  • Milieu professionnel et type d’emploi (travailleurs indépendants ; professionnels du secteur agricole, salariés et non-salariés…, surveillants de prison, professionnels du secteur de la santé et de l’action sociale…)
  • Risques psychosociaux au travail
  • Les facteurs de protection constituent le pendant de ces facteurs de risque.

Source : Suicide. État des lieux des connaissances et perspectives de recherche. 1er Rapport de l’Observatoire national du suicide, nov. 2014 : 31.

L’ambivalence des nouveaux outils connectés

En outre, les nouveaux moyens de communication (courriels, forums de discussion, tchats, sms, discussion en direct par vidéo interposée, applications mobiles diverses, réseaux sociaux…) sont aussi venus utilement enrichir la connexion des professionnels de santé et des bénévoles accompagnants avec les personnes en détresse. Désormais incontournables, ils demandent à être encore développés pour mieux agir en matière de prévention. Toutefois, si "être connecté" s’avère crucial pour les personnes vulnérables au suicide, les connexions humaines ayant un potentiel effet protecteur, cela ne veut pas dire que ces nouveaux outils leur apportent réellement le soutien et/ou l’écoute bienveillante dont ils ont besoin. En ce sens, il ne faut pas confondre communication et relation. Quand nous sommes connectés, ce n'est pas tant aux liens sociaux mais aux objets connectés (smartphones, tablettes, Internet) que l'on fait référence. N'est-ce pas là l’illusion ? […] Dans un monde ultra connecté, d'ou vient ce sentiment d'être de plus en plus seul ? s’est ainsi interrogée Fabienne Faure, psychologue clinicienne, présidente de l’association PSMP1 à l’occasion de cette journée d’échanges2. Seul face à son écran, seul parmi pléthore d’amis virtuels sur les réseaux sociaux de toutes sortes. Un avis partagé par Florent Henriet, coordinateur de l'association Médi@ltérité, pour lequel les outils connectés renforcent pour les plus fragiles l'isolement, le repli. […] Il s’agit d’amplificateurs pour certaines catégories de personnes qui peuvent être amenées à se connecter sur des sites internet dédiés à l'automutilation, aux différentes méthodes pour se suicider sans souffrir…. L'ambivalence est aussi de mise en matière de prévention : ces nouveaux outils de communication sont une arme de prévention du suicide efficace via les tchats, les forums… surtout pour les jeunes mais aussi pour les plus de 65 ans a poursuivi Fabienne Faure. Mais attention à ce que cette "arme" ne se retourne pas contre les plus fragiles en cas d'utilisation massive des forums par exemple. Quid aussi des usages d’écrans alarmants (+ de 9 collégiens sur 10 étaient en 2010 au dessus du seuil recommandé de 2h/jour devant des écrans), ou bien du cyber-harcèlement plus fréquemment associé à des pensées suicidaires que le harcèlement3 ? Face à cette question émergente, le rôle des infirmières scolaires, en première ligne pour repérer les jeunes qui le subissent (cf. encadré "Cyber-harcèlement : comment le repérer ?') ou les comportements à risque suicidaire…, est essentiel.

Il ne faut pas confondre communication et relation...

Cyber-harcèlement : comment le repérer ?

Si le cyber-harcèlement se pratique à l’abri du regard des adultes, certains signes peuvent aider à le repérer : anxiété, crainte, faible estime de soi, commentaires négatifs, plaintes récurrentes, baisse d’intérêt pour les activités, troubles du sommeil, fatigue, retards/oubli de matériel, baisse des résultats scolaires, absences, menaces (se faire du mal ou faire mal aux autres), isolement du groupe/repli sur soi.

Source : www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr

Quels outils pour la prévention du suicide chez le sujet âgé ?

Dans un monde de plus en plus connecté, la synergie entre acteurs apparaît comme essentielle en matière d’actions de prévention. S’agissant de la population cible des personnes âgées, les expériences où des liens entre la prise en charge gériatrique et gérontologique, d’une part, et la prise en charge psychiatrique, d’autre part, ont été établis sont plus efficaces a constaté le Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées (CNBD) dans ses travaux sur le sujet4.

Venue témoigner de son expérience, Sandrine Gibert, cadre de santé sur l’hôpital de jour géronto-psychiatrique Négreneys du CH Gérard Marchant à Toulouse, a présenté l’utilisation de la grille d'évaluation RUD (risque-urgence-danger) 5 pour repérer la crise et le risque suicidaire en psychiatrie adulte, permettant alors d’appliquer en fonction du score un protocole de soins adapté. Elle a insisté sur la nécessité de la formation continue des soignants sur le suicide et de la mise en place d’espaces de parole pour les professionnels s’occupant de personnes âgées. Elle a aussi mis l’accent sur le repérage précoce de la dépression chez le sujet âgé, qui est plus difficile. Les signes sont souvent discrets, banalisés, masqués par des plaintes somatiques et passent souvent inaperçus. La personne a fréquemment du mal à dire, à exprimer ses pensées par peur des conséquences : craintes d’hospitalisation, de placement en institution…. Enfin, la cadre de santé a rappelé le rôle des équipes mobiles de psychiatrie du sujet âgé6 qui se déplacent sur le lieu de vie à la demande des professionnels de santé, des maisons de la solidarité, des médecins généralistes, des Ehpad, des Maia, de l’hôpital, voire des familles, pour réaliser une évaluation des troubles psychiques, établir ou préciser le diagnostic, faire une proposition thérapeutique ainsi qu’une proposition d’orientation vers un dispositif de soins adapté. Et celle-ci de conclure : Pour nous, la connexion passe surtout par le réseau, les liens de coopération entre les services de soin et les acteurs de terrain.

Monde virtuel, monde réel…, au final peu importe, pour peu que des liens humains se nouent et se maintiennent entre tous les acteurs à l’œuvre dans la prévention du suicide et les personnes en détresse.

Notes

  1. Autour d'un collectif associatif (Alma 31, Arpade, ASP Deuil, La porte Ouverte, SOS Amitié, Recherche et Rencontres et Unafam). Mail : preventionsuicide.mp@laposte.net
  2. Pour en savoir plus : www.unps.fr ; www.infosuicide.org
  3. Méta analyse, JAMA Pediatrics, 2014
  4. CNBD, 2013, Prévention du suicide chez les personnes âgées
  5. Des formations à l’évaluation de la crise suicidaire (où l’on apprend à utiliser la grille RUD notamment – durée 2 à 3 jours) sont offertes par l’ARS Midi-Pyrénées à tous les acteurs des différents bassins de la région. Pour en savoir plus : MSA services -  Marie-Ange Carpy, tél. : 05 62 34 86 80.
  6. Celle rattachée à l’hôpital de jour du CH Marchant est composée d’1 ETP infirmier et de 0,2 médecin, sachant que les deux IDE qui se relaient ainsi que le médecin ont un DU de psychiatrie du sujet âgé.

Valérie HEDEF  Journaliste valerie.hedef@orange.fr


Source : infirmiers.com