Depuis plusieurs mois, suite à la pandémie de COVID-19, notre quotidien est martelé de toutes parts par le rappel du respect de conseils de prévention : porter un masque, se désinfecter les mains au gel hydro-alcoolique, respecter la distanciation physique... sans oublier le rappel des personnes-contact et la mise à l’isolement des patients infectés. Si pour la majorité de la population ces mesures sont essentielles, voire fondamentales, pour combattre ce virus en pleine expansion mondiale, une poignée d’individus considère qu’elles portent atteinte à leur liberté d’action et d’expression. Il n’est pas question de rentrer à notre tour dans cette controverse mais d’exposer brièvement les positions prises par les grands courants religieux ou culturels pour la sauvegarde de vies humaines en situation épidémique.
Cette nouvelle rubrique "Soins, Rites & Croyances : comprendre les croyances et les rituels pour mieux prendre soin" a pour but une meilleure compréhension des traditions culturelles et des rites religieux pour l'amélioration des soins prodigués par les soignants, quels que soient leur lieu et leur mode d’exercice, afin d'éviter de regrettables impairs aux conséquences parfois fâcheuses. Cet espace est animé par Isabelle Lévy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique. N'hésitez pas en enrichir cet espace en adressant vos expériences, vos réflexions ou vos questionnements à la rédaction d'Infirmiers.com Merci d'avance.
Selon les trois religions monothéistes, Dieu a créé l’homme à son image. Aussi, nul ne peut lui porter atteinte par de mauvais traitements (alcoolisme, tabagisme, alimentation déséquilibrée, manque de sommeil…). D’où l’obligation pour tout croyant de prendre soin de lui. Pour cela, il suivra les recommandations qui lui sont données pour s’épargner la maladie, pour lui comme son prochain, conformément au verset du Talmud "Celui qui sauve une seule vie sauve le monde entier" repris dans le Coran. Agir autrement envers soi, cela serait aller vers un suicide ; envers un autre, cela serait considéré comme commettre un meurtre , l’un comme l’autre étant strictement prohibés par ces religions.
Pour l’hindouisme ou le bouddhisme, l’individu ne doit jamais aller à l’encontre de son karma déterminé par ses actions lors de ses vies antérieures. Quant à la tradition arabe, elle met sur le compte du mektoub (en somme, de la destinée) tous les événements qui parsèment le chemin d’une existence. Bons ou mauvais, ils sont écrits donc on ne peut aucunement y échapper… Ce n’est pas pour autant que les religions comme les cultures attendent que tout un chacun reste les bras croisés à attendre que les choses se passent sans même réagir. Bien au contraire, il doit rester en permanence acteur de sa propre vie et rechercher son bien-être comme celui de son frère.
Pour cela, il suivra les préconisations qui lui seront faites par les hommes de Science... De nombreux patients d’origine africaine ou asiatique restent sans voix lorsqu’un médecin leur propose de choisir entre deux modes de prise en charge. Pourquoi ? Ils ne possèdent pas les connaissances de leur interlocuteur, comment pourraient-ils prendre une décision d’une telle importance à sa place ? Aussi, ils gardent le silence devant celui qui sait et écoutent ses conseils déduits de son savoir comme de sa sagesse.
En France, on agit bien différemment, plus encore depuis que les réseaux sociaux ont envahi notre quotidien. Chacun se croit quasiment obligé d’exposer son point de vue alors qu’il connait du sujet ce que la toile lui en a dévoilé. Savoir bien mince, avouons-le pour se forger une opinion. C’est bien connu, plus le tam-tam est creux, plus il parle , alors qu’un homme de bon sens parle peu mais écoute beaucoup. Aussi, prenons garde à nos sources d’informations et écoutons ceux qui savent pour nous forger une opinion la plus raisonnée et judicieuse possible.
En France, chacun se croit quasiment obligé d’exposer son point de vue alors qu’il connait du sujet ce que la toile lui en a dévoilé. Savoir bien mince, avouons-le pour se forger une opinion.
Le masque, déjà culturel en Asie
Porter un masque. Pourquoi le masque est-il un produit de consommation courante en Chine ? Voilà près d’un siècle, un de leurs médecins a eu la très bonne idée de proposer le port du masque au grand public pour se protéger de l’épidémie de grippe espagnole. Depuis, les pays d’Asie du Nord-est ont été confrontés à de nombreux virus - SRAS, grippe H1N1… - et le masque est devenu naturellement l’accessoire premier de protection contre virus, bactéries et autres éléments invisibles mais tout autant malintentionnés.
Les Européens sont à la traîne, sans doute plus soucieux de leur look que de leur bien-être. Lorsque l’un d’entre eux porte un masque sur prescription médicale ou sur sa propre initiative, que de regards nourris d’ahurissement se posent sur ce rectangle de papier ou de tissu en une seule journée ! En France, il nous faudra sans doute encore quelques pandémies pour que le masque intègre notre panoplie vestimentaire des jours ordinaires pour se protéger des virus, des pollens et pourquoi pas de la pollution. Pourquoi ?
Voici quelques années, les membres de gouvernements français nous ont rappelé si besoin que notre République se vit à visage découvert, conformément à la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public : voies publiques, transports en commun, commerces et centres commerciaux, établissements scolaires, bureaux de poste, hôpitaux, tribunaux, administrations… Mais l’article 2.II de cette même loi l’autorise lorsqu’elle est prescrite par des dispositions législatives ou réglementaires comme actuellement. Pourquoi faut-il que le Français soit acculé par la loi pour suivre une prescription délivrée dans son propre intérêt sanitaire ? Sans doute parce qu’il a, de tous temps, l’âme d’un révolutionnaire et qu’il refuse qu’on lui impose quoi que ce soit au nom sa sacrosainte liberté d’action et d’expression. Parfois à raison, quelquefois à tort. Aux masques chirurgicaux à trois plis, le Français préfère les masques de divertissement portés lors des parades de carnavals. On le comprend mais si ces derniers dissimulent le visage pour faire la fête incognito, ils ne protègent pas d’un agresseur invisible.
Le lavage des mains, un préalable indispensable pour bien des cultures
Se laver les mains. Voilà une règle d’hygiène essentielle que certains de nos concitoyens semblent avoir (re)découvert ces derniers mois. En Inde, en Asie, en Afrique comme au Maghreb, impossible de passer à table sans s’être préalablement lavé ses deux mains minutieusement. Il est vrai, pas de couvert à disposition pour se restaurer mais seulement ses dix doigts. Alors, on frotte et très longuement, je peux en témoigner. Dans le judaïsme, on utilise des couverts de longue date mais la règle religieuse impose le lavage des mains avant le repas pour se purifier comme en bien d’autres occasions (dès le saut du lit avant même d’avoir prier, lorsqu’on quitte une pièce où se trouve un défunt ou un cimetière…). Dans l’islam et l’hindouisme, le croyant fait des ablutions ritualisées à l’eau pure (sans savon, cela les distingue de la toilette quotidienne) dès son lever, comme avant la prière ou après une relation sexuelle...
Qu’en est-il du gel hydro-alcoolique ? Comme son nom l’indique, il est composé d’une part d’alcool. Son utilisation est-elle réfutée par les religions prohibant l’alcool telles que l’islam, l’hindouisme ou le bouddhisme ? Aucunement : son utilisation est extérieure et permet de s’épargner de la maladie. Donc aucun interdit à son propos n’est à relever par qui que ce soit. De même, pour tous les autres désinfectants cutanés utilisés en soins infirmiers.
Alors, comment nous saluerons-nous lorsque le COVID 19 aura lâché prise ? Le monde d’Après nous le dira.
Se saluer, oui... mais sans se toucher...
Garder ses distances. Se saluer sans se toucher, c’est possible. Bien des cultures le font : les Asiatiques, les Indiens, les Africains… et les Anglo-Saxons. Chacun préserve ainsi la sphère intime de l’autre, par respect autant que par pudeur. Pas de risque de se frôler involontairement. Inutile pour eux de devoir se toucher, voire même se rapprocher de près, pour s’accueillir et se parler. Voilà une posture bien éloignée des Méditerranéens qui apprécient embrassades et corps-à-corps en toutes circonstances, qu’ils soient dans la joie ou dans la peine, en pleine santé ou souffrants. Depuis quelques décennies, la french poignée de main a été détrônée par la bise. Une, deux, trois ou quatre selon les régions. Et peu importe si on ne se connait pas, que l’on vient d’être présenté et que jamais plus on ne se recroisera. C’est plus fun, même en pleine épidémie de grippe, de rhume ou de gastro-entérite. Refuser la bise et l’autre en prend ombrage, vous refusant de vous adresser la parole et de vous faire entrer dans son cercle. Comme si s’approcher au plus près de l’autre rassurerait sur ses meilleures intentions à son encontre et de sa bonne fréquentation (comme sur ses odeurs naturelles ou non). Ces derniers mois de pandémie, certains ont trouvé la parade : ils maintiennent leur équilibre le temps de pauses leur permettant de toucher le coude, le pied ou la cheville de l’autre. Se toucher avant pour pouvoir mieux se parler. On se rassure comme on peut pour maintenir ou prendre contact.
Ailleurs, on agit autrement pour se saluer. En Sanskrit, namasté signifie "Je m’incline devant toi." Cette définition décrit explicitement le salut de bienvenue en vigueur dans toutes les régions de l’Inde. Au Tibet, il est tout autre : une tradition ancienne veut que l’on tire la langue pour saluer une autre personne. Et dans cette contrée, ce comportement n’est pas considéré comme discourtois, bien au contraire. Alors, comment nous saluerons-nous lorsque le COVID 19 aura lâché prise ? Le monde d’Après nous le dira.
Se retirer de la vie sociétale... pour soi et pour les autres
S’isoler. Mis en quatorzaine puis en huitaine, les patients atteints par le COVID-19 ont été invités à se retirer de la vie sociétale afin d’éviter de contaminer autrui. Cela ne doit pas être ressenti comme une punition mais bien comme un acte de bon sens sanitaire. D’ailleurs, la mise à l’isolement des malades contagieux est préconisée depuis des siècles sur tous les continents pour préserver la population d’une pathologie grave. Dans la France du Moyen-âge, des centaines de léproseries isolent les malades définitivement des bien-portants. En Grèce, les malades sont regroupés sur des îles, privés à vie de tous liens avec leurs proches... Plus tard, la peste noire envahie l’Europe, on y compte plus de 25 millions de morts. On cherche des coupables : les juifs et les lépreux sont la cible de la vindicte populaire. Évidemment, ils n’y sont pour rien ; eux-mêmes sont touchés par ce fléau.
La première mise à l’isolement pendant 30 jours (et non plus a vitae aeternam) a été imaginée au XIVe siècle à Raguse (de nos jours, Dubrovnik). Cette initiative a permis d’épargner de nombreuses vies humaines et fit de nombreux émules. Ainsi à Venise on adopte une période d’isolement de 40 jours à l’instar d’Hippocrate : selon le père de la médecine, seule une maladie chronique perdure au-delà de cette durée. Comme la peste noire est une maladie aigüe, 40 jours d’isolement suffiraient pour l’éradiquer (à moins d’en mourir avant). Bientôt, la pratique de la quarantaine s’étend sur toute l’Europe pour combattre le choléra, le typhus, la grippe espagnole et bien d’autres fléaux sanitaires. Pourquoi en ferait-on différemment avec le COVID-19 ?
Grandis, différents... et meilleurs demain...
Suivre les conseils recommandés et utiliser les moyens mis à notre disposition pour nous prémunir de la maladie comme des accidents domestiques ou professionnels est aisé. Les religions le préconisent, les cultures d’antan le respectent et notre bon sens le prône. Peu importe nos croyances et nos origines, respecter quelques règles d’hygiène en sus n’a jamais fait de mal à personne. Bien au contraire. Le lavage régulier des mains et le port du masque nous permettrons sans doute d’éviter, voire de limiter, les épidémies de grippe et de gastro-entérite si coutumières en cette saison automnale. Prendre soin de soi-même comme des autres, voilà une attitude bienveillante et altruiste. Alors respectons les gestes barrière pour respecter les vies de nos proches et de tous ceux qui nous entourent. Assurément, nous sortirons de cette épreuve bien différents mais grandis pour faire du monde d’Après un monde meilleur.
Isabelle Levy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique.
@LEVYIsabelle2
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