Lorsqu'une personne déficiente intellectuelle souffre d'un cancer, c'est une double pathologie qui nécessite une prise en charge adaptée, ultra personnalisée et anticipée, et ce à chaque étape du parcours de soins. Retour d'expérience avec deux infirmières d'Occitanie, l'une référente du projet Handicap & Cancer au sein de l'IUCT-Oncopole (Toulouse), l'autre infirmière de soutien du dispositif ISCaO au sein de l'association Oncodéfi (Montpellier).
Les personnes déficientes intellectuelles (PDI) ne sont pas plus que les autres épargnées par le cancer : Les cancers [les concernant] sont globalement aussi fréquents que dans la population générale
a ainsi indiqué le Dr Daniel Satgé, médecin anatomopathologiste hospitalier, Institut universitaire de recherche (Montpellier) et l'un des initiateurs et directeur de l'association Oncodéfi, en préambule de son intervention lors de la soirée thématique Handicap & Cancer organisée tout début juin par l'IUCT-Oncopole en partenariat avec l'Asei de Ramonville Saint-Agne. Pour autant, a-t-il poursuivi, ils sont différents de ceux observés en population générale
. Une différence qui tient à la fois au profil tumoral
(moins de tumeurs respiratoires et ORL mais plus de tumeurs digestives), à l'âge de survenue plus précoce, surtout pour les déficiences intellectuelles de causes génétiques
ainsi qu'à une présentation clinique différente
avec un stade plus avancé au diagnostic
, en partie due à une communication difficile des symptômes et de la douleur
. De fait, comme l'a encore relevé le Dr Satgé, les équipes de soins font face à des difficultés de prise en charge à la fois d'ordre socio-psychologique
telles un diagnostic retardé (cancers mal connus ; dépistage parfois difficile), une coopération irrégulière du patient au traitement, des difficultés de communication
qu'il s'agisse du consentement, de l'expression de la douleur ou du suivi du traitement, mais aussi techniques
empêchant une radiothérapie, une chimiothérapie, une anesthésie sous peine que parfois le malade décède
.
Actions de formation et de sensibilisation croisées
Face à ce constat, une meilleure articulation entre les secteurs sanitaire et médico-social s'avère essentielle, voire indispensable, déjà en amont dans la connaissance réciproque de la maladie et du handicap mental. C'est ainsi l'un des axes d'action du projet Handicap & Cancer : coopérons-nous
porté par l'IUCT-Oncopole et l'Asei, et soutenu par l'INCa, via des actions de formation et de sensibilisation croisées portant à la fois sur la prise en charge du cancer (définition, parcours, traitements, effets indésirables, soins de support) et sur le handicap (définition du handicap mental, présentation des établissements d'accueil, accompagnement proposé et limites, sensibilisation à la communication améliorée alternative – CAA). Objectif affiché de ces actions : mieux se connaître pour mieux prendre en charge. La première session de formation, réalisée cette année, s'est déroulée en présentiel sur quatre jours1 et a permis de former sept référents par établissement (IDE, manipulateur radio, cadre de santé, psychologue, IDE référente pour l'IUCT-O et IDE, AS, éducateur spécialisé, agents de soins pour l'Asei).
Dans cette même veine, signalons également, toujours en région Occitanie, le dispositif ISCaO, projet pilote initié en janvier 2019 et financé par l'ARS Occitanie, dont l'une des missions vise plus particulièrement à informer sur la prévention, le dépistage des cancers et les signes d'alerte. En pratique, cela passe par des réunions d'information sur la prévention et de sensibilisation au dépistage auprès des professionnels des institutions médico-sociales prenant en charge des PDI ou de celles-ci en direct
, témoigne Manon Vulcano, l'une des deux infirmières de soutien du dispositif. Des interventions gratuites réalisées sur place dans les institutions d'Occitanie qui en font la demande ou par visioconférence.
Guide de bonnes pratiques
Élaboré dans le cadre du projet Handicap & Cancer
, un guide de bonnes pratiques identifie les interlocuteurs privilégiés ainsi que les situations à risque pour les patients porteurs de déficience intellectuelle.
Ce guide formule plusieurs propositions, à savoir :
- des adaptations de la prise en charge à chaque étape du parcours (accueil personnalisé, organisation des examens complémentaires et du retour sur le lieu de vie, annonce thérapeutique, prise en charge lors du traitement : chirurgie, chimiothérapie, immunothérapie radiothérapie), information sur le suivi post-traitement…) ;
- l'anticipation des rendez-vous et la préparation afin d'éviter les situations de stress et d'inconfort ;
- la préparation du suivi de la personne accompagnée au domicile ou au sein de l'établissement médico- social (coordination, accompagnement avec HAD…) ;
- une évaluation et une évolution du guide. En effet,
ce document sera revu et complété suite à son utilisation au sein de l’Oncopole en partenariat avec les établissements médico-sociaux
.
Chiffres-clés
- File active de 20/30 patients actuellement pour le dispositif ISCaO ; une vingtaine de patients (potentiellement jusqu’à 250) au sein de l'IUCT-Oncopole,
- Les cancers du testicule sont dix fois plus fréquents chez les hommes souffrant de trisomie 21 tandis que ceux du sein sont dix fois plus rares chez les femmes souffrant de cette même maladie mentale.
- 10 à 20 ans d'espérance de vie en moins pour les personnes vivant avec des troubles psychiques.
- 8 dispositifs de consultations dédiées en région Occitanie poursuivent leur déploiement (à la fois experts d'une typologie de handicap mais aussi couvrant plusieurs départements et spécialités).
Des IDE au cœur de la coordination
Une meilleure coopération entre les secteurs sanitaire et médico-social doit aussi prévaloir en aval. Lorsqu'une personne déficiente intellectuelle est touchée par un cancer, là encore, il convient d'articuler au mieux la prise en charge. D'où l'intérêt d'un référent coordonnateur parcours handicap mis en place dans le cadre du projet Handicap & Cancer
afin de faciliter les interfaces établissements sanitaires et établissements médico-sociaux tout au long du parcours patient. Cela suppose de repérer les patients ayant des besoins spécifiques et d'anticiper leur venue, et donc de communiquer avec le lieu de vie permanent et les référents de soin les plus pertinents (à domicile, des infirmiers libéraux par exemple)
observe Anne-Cécile Rouanet, IDE référente du projet Handicap & cancer
au sein de l'IUCT-O. Et de détailler : C'est à lui par exemple que les autres soignants s'adressent lorsqu'ils sont un peu perdus face à ces patients. On donne des clés sur la communication afin que la consultation ou l'examen se passe du mieux possible. On fait en sorte que le patient soit attendu, que le manip radio ou l'infirmier sera bien disponible pour l'accompagner. En principe, le patient a deux soignants référents, qui seront toujours les mêmes présents en consultation…
.
Un référent coordonnateur parcours handicap… et une IDE de soutien/de liaison dans le cadre du dispositif ISCaO afin d'aider à l'accompagnement des PDI à toutes les étapes de la maladie et de répondre aux différentes demandes des institutions médico-sociales qui peuvent porter sur de l'information, des conseils, une mise en réseau. Nous avons une fonction de lien, d'articulation
observe Manon Vulcano qui rappelle qu'à cet effet a été élaboré, à la demande des équipes de ces institutions et de celles d’oncologie, un carnet de liaison afin de faciliter la communication pour les soins et l'accompagnement en intégrant toutes les informations utiles dans ce support unique (le patient peut également y indiquer si elle est satisfaite ou non).
Des outils de communication adaptée
Une communication essentielle entre équipes de soins et équipes médico-sociales, mais qui s'avère aussi indispensable avec ces patients déficients intellectuels atteints de cancer, premiers concernés. Ce qui suppose d'utiliser des outils de communication adaptée (CAA) afin d'établir une relation de confiance, faciliter la prise en charge, aider les soignants à adapter leur posture professionnelle (rythme de parole…), et enfin rendre les patients le plus autonomes possible. Par exemple en utilisant des supports visuels adaptés (BD/fiches gratuites SantéBD expliquant le scanner, l'IRM, le Meopa, la biopsie du sein…), des pictogrammes (agenda/semainier…) ou des planches thématiques globales et/ou spécifiques (choix du repas, toilette/hygiène, examens complémentaires en hospitalisation…). Le handicap doit devenir une culture d'établissement
, remarque Anne-Cécile Rouanet. À noter : Oncodéfi a élaboré différents livrets en langage FALC (facile à lire et à comprendre) destinés aux personnes déficientes intellectuelles, notamment portant sur le dépistage – Monique passe une mammographie
, Gilles fait un test du côlon
, Leïla fait un frottis
– ou sur le trajet diagnostique et thérapeutique du cancer – Lucie est soignée pour un cancer
, des livrets disponibles sur demande auprès de l'association.
Parcours patient
Pour éviter que le parcours de soins ne vire au parcours du combattant, le projet Handicap & Cancer
a initié un parcours patient. Il s'agit tout d'abord d'identifier les patients dans le parcours afin d'anticiper leur venue, pour organiser leurs RDV en respectant leur autonomie et leurs besoins. Pour ce faire, une alerte Handicap et Cancer
a été intégrée au dossier informatisé de l'Oncopole. L'inclusion, effectuée par mail ou tél uniques par tout professionnel de santé qui la juge pertinente, peut être primaire, soit à la première prise de RDV, ou secondaire lorsque des patients sont déjà suivis mais qu'ils n'ont pas encore été identifiés dans le dispositif ou que celui-ci n'était pas encore déployé. Une inclusion qui passe en premier lieu par le remplissage par le patient d'un recueil de données. Notons toutefois que ces inclusions présentent quelques limites : plus le handicap est lourd, plus il est facilement détectable. A contrario, plus il est léger, plus il risque d’être invisible. Les patients déficients intellectuels légers vont ainsi rarement dire qu'ils sont porteurs d'une déficience intellectuelle et peuvent ainsi passer inaperçus
admet Anne-Cécile Rouanet. Des limites également pointées du côté des médecins traitants ou des personnes ressources (en inclusion primaire) du patient qui ne signalent pas toujours la déficience intellectuelle lors de la prise de RDV ou bien des soignants de l'Oncopole (en inclusion secondaire) qui ne savent pas toujours s'ils doivent ou non inclure un patient dans le dispositif.
Évaluation du projet Handicap & Cancer
avant déploiement à l'échelon national ?
Initié en 2019 et lancé en février 2020, le projet Handicap & cancer
sera évalué et réajusté cette année au cours du second semestre, puis de nouveau évalué dans sa globalité lors du 1er semestre 2022. Il fera ensuite l'objet d'un rapport à l'INCa en juillet 2022 avant une éventuelle reproductibilité de l'expérience à d'autres établissements sanitaires et médico-sociaux de l'hexagone, voire à un élargissement de son déploiement au secteur de la ville sachant que des patients vivant à domicile sont d’ores et déjà inclus dans le dispositif.
Note
- En 2022, la formation en présentiel se déroulera sur 2 jours, en DPC et sera ouverte à l'ensemble des établissements sanitaires et médico-sociaux de la région Occitanie. Un projet de formation dématérialisée est par ailleurs en cours de réflexion.
Pour en savoir plus
Handicap & Cancer
handicapetcancer@iuct-oncopole.fr
Tél. : 05 31 15 59 99
https://handicapetcancer.fr
Oncodéfi
www.oncodéfi.org
Valérie HédefJournaliste
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?
RISQUES PROFESSIONNELS
Accidents avec exposition au sang : s'informer, prévenir, réagir