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ETHIQUE

"Parce que je n’ai pas l’intention de louper ma sortie... "

Publié le 29/04/2014
statue ange

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Le think tank Terra Nova propose un amendement de la loi Léonetti en rendant les directives anticipées contraignantes, en recommandant la sédation profonde jusqu’au décès, l’ouverture à une aide médicale à mourir, une aide pharmacologique au suicide, une réforme des formations soignantes et une réflexion pour mieux délibérer autour des libertés de chacun…

La dernière note de Corinne Pelluchon en date du 4 mars 2014 par l’intermédiaire du think tank de gauche très proche du parti socialiste, n’est rien d’autre qu’une promotion de réforme déguisée pour la loi Léonetti. Les derniers projets de loi pro-euthanasie ont échoué au Sénat. Aujourd’hui c’est par la voix de Corinne Pelluchon que les sirènes de Terra Nova tentent de séduire Marisol Touraine. Faut-il être de gauche aujourd’hui pour penser que tuer puisse être considéré comme un soin ? 

Lire ici la note de synthèse de Corinne Pelluchon "Peut-on parvenir à un consensus sur l'aide active à mourir ?"

Le Grand Soir sent un peu le soufre

Christophe Pacific l'écrit : "je n’ai pas l’intention de louper ma sortie et je souhaite que vous preniez connaissance de mes directives anticipées.. "

En ce qui me concerne, j’ai réalisé que j’étais de gauche en 81 quand "nous" avons aboli la peine de mort… En 2014, "ils" vont tuer des patients et je ne reconnais plus ce mouvement comme le mien, le Grand Soir à une odeur de soufre ! Bon sang, le souci d’autrui n’est ni une idée de gauche ni une idée de droite, elle est simplement une idée d’humanité. De peur d’être à la traîne des pays qui ont déjà légiféré comme la Suisse sur les directives anticipées, on voudrait nous faire croire que le progrès va dans le sens de la liberté de l’individu quand tout nous contraint de plus en plus : Liberté j’écris ton nom ! Ce slogan soixante-huitard est récupéré au nom du progrès mais il ne faut pas se leurrer, cette liberté qu’on veut nous octroyer tend simplement à nous tuer plus vite !

En rendant les directives anticipées contraignantes, c’est le patient qui prescrit au médecin ce qu’il doit faire. Curieusement, nous n’imaginons dans les directives anticipées qu’un contenu qui demanderait d’abréger la vie. En aucun cas nous n’imaginons un contenu qui exhorterait le médecin à faire son métier. Si les directives anticipées doivent être contraignantes pour le médecin, c’est uniquement en le sommant d’être excellent plutôt que de lui demander de se soumettre à la seule injonction du patient, souvent insuffisante et aliénée à la douleur que nous devons toujours combattre autant que faire se peut. Les médecins et les soignants doivent réagir au plus vite pour protéger leur coeur de métier. La liberté des uns ne doit en aucun cas aliéner celle des autres. C’est dans cette tension que ce construit notre humanité et notre vivre-ensemble. Le respect du patient et de ses résistances doit s’équilibrer avec la légitimité de l’art médical.

Bon sang, le souci d’autrui n’est ni une idée de gauche ni une idée de droite, elle est simplement une idée d’humanité

La mort compassionnelle

Nous substituons très facilement le poison au remède pour calmer nos angoisses. L’image du mourant déchiré par des souffrances insupportables nous pousse à le précipiter vers la mort plutôt que d’essayer de nous dépasser en termes d’humanité pour l’accompagner jusqu’à la fin. La mort compassionnelle devient le remède ultime ! Formidable paradoxe non ? Christine Malèvre aurait dû patienter un peu , elle sortirait aujourd’hui du tribunal comme un héros de son temps.

Soyons clair, si cette note trouvait un écho favorable en la personne de notre ministre et fasse son chemin jusqu’à une nouvelle loi, nous devrions, nous soignants, apprendre à tuer. C’est prévu entre les lignes dans la note de Corinne Pelluchon et c’était clairement explicite dans les précédents projets de loi : insérer dans les formations initiales de soignants des enseignements autour de l’aide à mourir1.

Qu’on ne nous dise pas que l’on cherche plus de justice dans l’offre de soins palliatifs en les proposant plus tôt, dès le début de la maladie comme le recommande C. Pelluchon ! C’est tout de même ahurissant qu’une philosophe imagine que l’on doive proposer des soins palliatifs de suite après le diagnostic d’annonce ?! Désolé Mme Pelluchon, la théorie doit ici avancer avec beaucoup plus de prudence. A ce rythme, Soleil Vert2 ne sera bientôt plus de la science-fiction.

La mort compassionnelle devient le remède ultime ! Formidable paradoxe non ?

Le poison du consensus

La plus jolie pirouette dans cette note ne relève pas de la philosophie mais du sophisme, elle consiste à évacuer les mots qui tuent trop vite : euthanasie, suicide assisté pour y substituer une nouvelle formule tout aussi létale mais plus douce à nos oreilles : l’assistance pharmacologique au suicide. Ici le suicide serait prescrit et effectué loin des lieux de soin pour ne pas faire de tâches : vas où tu veux, meurs où tu dois. On nous prend vraiment pour des truffes. Il ne manquait plus que la recherche de consensus pour l’aide à mourir (c’est le titre de la note) pour finir de m’énerver puisqu’on sait depuis Cicéron qu’un consensus est une forme de sympathie des éléments de la nature entre eux. Désormais, quand il n’y a pas de norme on fabrique des consensus. Vous aurez compris qu’il y a plus d’éthique dans le dissensus que dans ces consensus mous qui voudraient nous faire avaler des couleuvres. Faire des lois pour nous empêcher de réfléchir et obéir à des protocoles, non merci, nous sommes soignants, médecins, acteurs de soins et c’est à l’humain que nous avons à faire alors laissez-nous pratiquer notre art. L’appareil juridique ne doit pas se substituer à notre devoir de réflexion soignante, à l’art de la Médecine et le patient ne doit pas faire d’ordonnance au médecin. Privilégions le dialogue et la compréhension, la relation de sujet à sujet dans le respect de ce que nous sommes chacun à notre place. Notre liberté de patient ou de soignant s’exerce dans la qualité de la communication, de la négociation et du contrat de soin. Notre devoir de patient ou de soignant est de recevoir l’autre et de trouver ensemble la meilleure voie possible avec les moyens qui nous sont donnés (directives anticipées, personne de confiance, proches, équipe soignante, médecin et autres acteurs de soins). 

Vous aurez compris qu’il y a plus d’éthique dans le dissensus que dans ces consensus mous qui voudraient nous faire avaler des couleuvres...

Les Directives Anticipées à ma façon...

Alors pour conclure je vous propose des Directives Anticipées "à ma façon" qui invitent à respecter l’autre dans sa vulnérabilité et qui, en même temps exhorte le médecin à se dépasser avec et pour autrui dans des institutions justes. Ces Directives Anticipées protègent l’art de la Médecine et du Soin, elles nous protègent en tant que soignants en même temps qu’elles nous obligent à nous dépasser et mettre notre pouvoir au service de la vulnérabilité d’autrui. Ces D.A. sont à votre disposition et sont à diffuser au besoin et à l’envi.

Cher Médecin,

Si cette lettre vous parvient c’est que je ne suis plus en état de décider pour moi-même. J’écris donc ces mots en obéissant à ma propre loi, libre certes, mais dans une perspective où je serai contraint à la compétence d’un autre. Il me reste à souhaiter que ces mots tomberont entre les mains d’un homme qui me considérera comme même que lui par l’humanité qui nous unit mais aussi comme différent de lui, eu égard à la singularité qui nous est propre à chacun. Vous allez décider pour moi, il est donc sage que vous ayez notion de qui je suis et de ce que j’attends de vous.

Sachez que j’aime la vie et que j’ai dédié la mienne à soigner autrui. De facto, je n’ai pas l’intention de louper ma sortie et je souhaite que vous preniez connaissance de mes directives anticipées.

J’ai toujours été exigeant envers mon entourage comme envers moi-même et aujourd’hui je vous interpelle, pour que vous convoquiez l’excellence de votre art, celle-là même que vous devez à chacun de vos patients et à leur entourage.

Soyez donc celui que j’aurais choisi si j’en avais eu l’opportunité. Celui-là aurait été mon ami, il aurait lu cette lettre jusqu’au bout sachant que ces mots lui étaient adressés. Il aurait su que je lui confiais une part de mon âme et il en aurait pris soin, non pas comme de la sienne mais bien mieux encore, comme celle de son ami.

Soyez attentif aux  membres de cette équipe soignante dont vous faites partie, ils ont des éléments précieux à partager avec vous comme ils peuvent entendre ce que vous devez échanger avec eux. De la même façon veuillez prendre soin de mon entourage, il me connaît et vous éclairera sur ma personne, il est aussi pétri de craintes et de représentations, néanmoins il cherche à m’accompagner et souhaitent comme vous, faire de son mieux. Prenez le temps que vous jugerez nécessaire et suffisant pour que tous, puissiez avancer de conserve.

Mon propos ne tend pas à vous dire de faire ceci ou de ne pas faire cela car vous savez si votre démarche médicale est raisonnable ou obstinée. Dans le doute, d’autres professionnels peuvent sûrement vous éclairer. Je vous demande simplement de vous dépasser en termes d’humanité, avec, pour et peut-être même contre autrui si la situation le commande.  Cherchez toujours à ce que votre action vise le meilleur possible.

Ma dignité intrinsèque est inaliénable et je ne risque donc jamais de la perdre. C’est votre posture de médecin ici qui est convoquée et que finalement je protège en vous laissant maître (et esclave) de votre décision. Je vous condamne donc à être libre dans votre jugement et vos décisions pour viser le plaisir et jamais la douleur, que je puisse jouir ad libitum et sans souffrir cette vie qui finit.

Bien à vous,

Notes

  1. Terra Nova – Note de Corinne Pelluchon - « Peut-on parvenir à un consensus sur l’aide à mourir ? » 4 mars 2014
  2. Film de Richard Fleischer tiré du roman éponyme d’Harry Harrison : Soylent Green

Christophe PACIFIC  Cadre supérieur de santé  Docteur en philosophie  christophe.pacific@orange.fr


Source : infirmiers.com