Les infirmiers, tout comme les autres professions de santé réglementées, sont soumis au secret professionnel. Veiller à son respect est l’une des missions de l’Ordre national des infirmiers, qui se veut également garant de l’indépendance de la profession, notamment dans son volet libéral.
Secret professionnel et indépendance : voilà deux des leviers principaux qui garantissent la confiance des patients envers les professions réglementées. Les Ordres, dont l’Ordre National des Infirmiers (ONI), sont les instances régulatrices qui permettent aux professionnels de respecter ces deux principes dans le cadre de leur exercice. Une mission précisément rappelée dans le cadre du webinaire organisé le 10 mars par le Comité de Liaison des Institutions Ordinales (CLIO), présidé par Patrick Chamboredon, le président de l’ONI. L’occasion également de valoriser ce que sont les Ordres
, soit des institutions certes mal connues, décriées mais qui jouent rôle de proximité auprès des usager
s et qui remplissent une mission de service public
, fait justement valoir ce dernier.
Le secret professionnel, un principe protégé par le droit…
En France, toute profession à Ordre – aussi bien dans le domaine de la santé, que du droit (avocat, notaires) ou de l’architecture – est soumise au secret professionnel, soit l’interdiction de divulguer des renseignements sur ses activités et ses clients ou patients. C’est, en premier lieu, le sentiment d’appartenance à la profession qui garantit ce secret
, relève Marie-Anne Frison-Roche, professeure de droit. Un professeur de droit, par exemple, parce qu’il a les connaissances, pourra donner un conseil ou une information. Mais il n’est pas soumis au secret.
De fait, l’obligation du secret est inscrite dans les codes de déontologie des différentes professions à Ordre. Mais il est également garanti par le droit. Dans le cas des professions de santé, l’Article 226-13 du Code pénal fixe ainsi les sanctions pour toute violation de ce secret : 1 an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Sur le plan européen, c’est l’Article 8 de la Charte des droits fondamentaux relatif à la protection des données personnelles qui, dans son principe, entérine l’existence de cette obligation. Pour autant, la défense du droit professionnel est renvoyé aux compétences nationales
, précise Jean-Luc Sauron, Conseiller d’Etat et délégué au droit européen. En d’autres termes, l’Union européenne laisse les États qui la constituent libres de déterminer les moyens de la faire respecter. Et en France, cette compétence est confiée… aux Ordres.
… qui a toutefois ses limites
Le respect de ce secret professionnel est essentiel car il est l’une des conditions primordiales pour que se tisse un lien de confiance entre le professionnel et son client/patient. Vivre dans un pays dans lequel certaines professions sont gardiennes d’informations sensibles constitue un trésor pour les libertés
, martèle Marie-Anne Frison-Roche. À noter toutefois qu’il n’est pas absolu
. Face au terrorisme
ou à un patient radicalisé, il y a des équilibres à trouver
. Autre exemple, provoqué par la crise sanitaire : le besoin de connaître le statut vaccinal des citoyens, qui a pu soulever des interrogations au sein des Ordres des professions de santé. Les codes de déontologie des professionnels de santé spécifient bien que ceux-ci sont au service de l’individu et de la santé publique
, souligne Jacques Lucas, président de l’Agence du numérique en santé et spécialiste des enjeux éthiques dans le champ du numérique. Ils doivent protéger les deux en même temps
, l’intérêt commun justifiant la diffusion de ces informations. Et de rappeler qu’existaient déjà avant l’apparition du Covid-19 des maladies à déclaration obligatoire (36 en tout, dont fièvre jaune, peste, rage…). Et puis, il y a la nécessité, lors de prises en charge de pathologies chroniques ou lourdes, de partager les informations de santé entre différents professionnels de santé. Mais toujours dans l’intérêt du patient
, ajoute-t-il.
Être tenu par un Ordre, c’est demeurer entre professionnels partageant les mêmes valeurs
Le défi du numérique
Si le maintien du secret professionnel dans le secteur de la santé est une donnée acquise, se pose toutefois la question des bouleversements auxquels il peut être soumis avec l’essor du numérique. Si pour Jacques Lucas, le numérique contribue puissamment à conserver le secret professionnel dans les bases de données car, pour y accéder, les professionnels doivent posséder une clé numérique qui les identifie
, il multiplie néanmoins les canaux de diffusion d’informations personnelles à caractère sensible. Et ce d’autant plus dans une société qui a massivement recours aux réseaux sociaux. Le phénomène des réseaux sociaux est un phénomène nouveau
, observe ainsi Marie-Anne Frison-Roche, qui désarçonne notamment le droit et sa capacité à appréhender et protéger le secret professionnel. Ils composent un espace dans lequel tout le monde vit, qui donne une caisse résonnance, une viralité aux violations du secret professionnel.
Les professionnels doivent ainsi faire preuve de vigilance afin de ne pas diffuser des informations qui pourraient permettre, par recoupement, l’identification de leurs patients. Autant de problématiques liées au numérique dont les Ordres doivent s’emparer afin de mieux accompagner les professionnels qui y sont confrontés.
Exercer une profession libérale, c’est l’exercer en appliquant une déontologie.
L’indépendance, une exigence qui s’accompagne
Second pilier garant de la confiance envers les professions à Ordre et corollaire du secret professionnel : l’indépendance, dont les instances ordinales sont également garantes. D’abord car elles permettent aux professions de s’auto-réguler. Être tenu par un Ordre, c’est demeurer entre professionnels partageant les mêmes valeurs
, estime ainsi Léonie Varobieff, philosophe et spécialiste des enjeux éthiques liés à la santé et au développement durable. Si l’indépendance suppose effectivement une revendication à la responsabilité individuelle (le professionnel, surtout libéral, est seul responsable face à son patient), le collectif est aussi essentiel. Être indépendant en demeurant seul demeure compliqué. Les Ordres sont là pour garantir l’autonomie d’une profession
, illustre de son côté Joël Moret-Bailly, référent déontologique du CNRS, et notamment sur son versant libéral. Ils permettent ainsi non seulement de maintenir une libre concurrence raisonnée entre les professionnels mais s’assurent également que les professionnels agissent bien au service des patients et non pas en fonction de leurs propres intérêts.
Pour autant, note Léonie Varobieff, le champ d’intervention des Ordres mériterait de s’élargir afin de mieux répondre aux besoins des professionnels. Et en particulier sur les plans de la formation et de la communication, notamment dansles situations pouvant relever du conflit d’intérêts : Les Ordres pourraient développer une compétence plus large sur leur capacité à aider les professionnels à identifier dans quelle mesure ils sont indépendants et dans quelle mesure ils sont à la limite du conflit d’intérêts, et à s’en extraire.
Demeure enfin le volet disciplinaire, les Ordres pouvant sanctionner les professionnels qui dérogent à leur déontologie. Car la réponse à l’indépendance est effectivement collective et culturelle. Il faut le répéter. Il faut faire de la formation continue sur la déontologie, et pas simplement sur les techniques professionnelles. Exercer une profession libérale, c’est l’exercer en appliquant une déontologie
, conclut Joël Moret-Bailly.
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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