Les dérives liées à des pratiques de soin non conventionnel, appelées aussi thérapies complémentaires par l'Académie Nationale de médecine, pénètrent de plus en plus les lieux de soin. La Miviludes, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, recense à ce jour plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique et estime que 4 Français sur 10 y ont recours (dont 60% de patients pris en charge pour un cancer).
400 dérives thérapeutiques identifiées représentent en France un marché de 11 millions d'euros
Les pouvoirs publics se sont emparés de la question. Les premières assises nationales de lutte contre les dérives sectaires ont eu lieu en mars 2023. Elles ont donné lieu au lancement d'un comité pour encadrer les pratiques non conventionnelles en santé. Rappelant le code de déontologie des infirmiers («l'infirmier doit prodiguer des soins attentifs et fondés sur les données acquises de la science et lutter contre le charlatanisme»), Patrick Chamboredon, président de l'Ordre National de la profession souligne l'importance de rester vigilants sur le sujet.
«400 dérives thérapeutiques identifiées représentent en France un marché de 11 millions d'euros, ce qui attire les convoitises», résume le Professeur Hugues Gascan, Président du Groupe d'Etude du Phénomène Sectaire (GéPS), invité de la 25e matinale de l'Ordre. «Historiquement, on parle de méthodes alternatives, parallèles dans les années 70, puis douces, naturelles, complémentaires, de support, holistiques, intégratives, on parle même de médecines invisibles», souligne-t-il, s'intéressant au glissement du vocabulaire : «on voit donc qu'on est passé d'alternatif à médecine invisible». La terminologie «intègre donc le corpus médical de façon à se fondre et à être légitime».
Une forte pénétration des médecines alternatives dans le soin conventionnel
Qu'est-ce-qui a changé en 15 ans ? «Les médecines parallèles étaient alors aux portes de la médecine conventionnelle, aux portes des hôpitaux mais n'y rentraient pas. Aujourd'hui, on peut distinguer plusieurs niveaux de pénétration des médecines alternatives», affirme Hugues Gascan, listant les différentes portes d'entrée observables. A savoir :
- la médecine pseudo-énergétique qui a une emprise sur le patient (avec potentiellement des risques de détournement d'argent, d'abus physiques...)
- la pénétration des soins alternatifs dans la médecine générale : on estime de 5 à 6 000 généralistes qui sont promoteurs de médecine parallèle (avec souvent des associations qui ne vont pas hésiter à attaquer l'Ordre des médecins).
- la pénétration des techniques non conventionnelles dans les CHU (sophrologie, méditation...) notamment pour soigner des pathologies assez complexes.
- les Diplômes Universitaires quand ils sont portés localement par un professeur de médecine qui en fait la promotion.
- les DPC (Développement Professionnel Continu) : qui comptent énormément d'infiltration de médecines parallèles.
- le monde associatif de soutien aux maladies chroniques : proposition d'accompagnements, de soins de support... avec parfois des mouvances qui n'ont rien de conventionnelles.
- Les fondations des mutuelles de santé : ces dernières soutiennent depuis 2010 l'implantation de techniques non conventionnelles dans des CHU ou des centres anti-cancéreux. Elles ont donc créé le marché en amenant le produit au sein des établissements de soin. C'est le médecin qui les a prescrites, c'est gratuit : ce sont donc des pratiques qui sont insidieusement légitimées.
Des patients très influençables
Côté patients, les personnes cibles se trouvent souvent dans des moments de fragilité physique ou psychologique. Notamment dans les situations de fin de vie, de maladies longues, d'addiction...) Ou encore les personnes en recherche de bien-être, en quête de sens ou d'amélioration dans leurs vies sur le plan personnel ou professionnel. On observe aussi des risques de dérive autour de la parentalité, de la périnatalité (avec les es interrogations qui peuvent poindre). Ces divers points d'entrée vers les dérives sectaires forment une zone grise, diffuse (à la frontière du bien-être) avec des pratiques qui parviennent parfois à se légitimer.
Comment distinguer les bonnes des mauvaises pratiques ?
La réflexion doit donc se concentrer sur la question de savoir comment cadrer, légitimer, distinguer les bonnes des mauvaises pratiques de soin parallèles. Malgré tout, «toute pratique non conventionnelle n'est pas forcément sectaire», précise Rodolphe Bosselut, avocat au barreau de Paris, qui assiste depuis trente ans les victimes de ces dérives. «Ce qui fait la pratique sectaire c'est la mise sous emprise», une notion toutefois difficile à cerner. Changement brutal de discours ou de comportement, affirmation péremptoire de dogmes, isolement, sont quelques signes qui peuvent alerter.
Que faire face à un patient sous emprise ?
Devant une pratique non conventionnelle qui interroge, ou lorsque le patient décide par exemple de cesser son traitement conventionnel au profit d'une médecine alternative, il est tout à fait possible de s'adresser à la Miviludes pour expliquer les faits, ou bien auprès d'associations comme l'Unadfi (Union nationale des Associations de défense des Familles et de l'Individu victimes de Sectes). Quand la personne est convaincue et que le process d'emprise est enclenché, toute discussion frontale se révèlerait inutile. Tout débat rationnel est voué à l'échec. Il vaut mieux maintenir ses prérogatives d'infirmier et en même temps, porter les faits à la connaissance d'instances qui elles, pourront porter plainte si nécessaire. Sur le plan pénal, c'est l'abus de faiblesse qui fait foi.
On tombe très rapidement dans une dérive sectaire mais on en sort très difficilement.
«Dans l'esprit de certains patients, les médecines complémentaires se trouvent au même niveau que la médecine conventionnelle», explique, d'expérience, Pierre de Bremond d'Ars, médecin et Président de No Fake Med. «Ce qu'il faut donc, et ce que nous demandons, c'est de tracer une frontière claire entre le bien-être (et les gens ont le droit au bien-être), et la santé. Autrement dit : il y a la science et il y a le reste».
On doit rester à l'écoute du patient, on doit respecter ses croyances, mais quand ces pratiques commencent à empiéter sur le soin, c'est là que le problème apparaît.
Pour Pierre de Bremond d'Ars, le manque de temps des professionnels de santé (qui n'ont pas toujours le loisir de répondre aux craintes ou aux interrogations des patients) peut présenter un risque de laisser la place à des pratiques non-conventionnelles. « C'est pourquoi il est essentiel que la réponse au patient ne soit pas monolithique, mais unanime et claire». Avoir une base commune de réflexion permet de répondre aux questions, souligne le médecin qui a par exemple été questionné sur la mono-diète de pommes par un patient.
«On doit rester à l'écoute du patient, on doit respecter ses croyances, mais quand ces pratiques commencent à empiéter sur le soin, c'est là que le problème apparaît». Dans cette situation, le médecin conseille avant tout «de garder un lien de confiance avec le patient, de poser des questions concrètes : combien ça vous coûte ? Ou donner des conseils simples : N'arrêtez pas votre traitement, ne rentrez pas dans des pratiques extrêmes sans en parler à un soignant». Arriver à créer le doute et être là quand ce doute advient est plus important selon lui «qu'avoir raison dans une relation de soin qui arrivera de toute façon à un échec si on n'arrive pas à échanger avec nos patients».
Les infirmiers, vigies précieuses
Les infirmiers qui suivent le patient, qui ont le téléphone du médecin généraliste, sont vraiment la première ligne de défense, de vigilance qu'il faut valoriser, écouter et former. Malheureusement, l'infirmier n'a pas la possibilité de déposer plainte en lieu et place du patient. D'où l'importance de faire remonter les faits, de faire des signalements à la Miviludes ou à une association qui pourra s'en charger. Une enquête pourra ensuite attester de la mise sous emprise, en considérant un faisceau de critères caractéristiques.
Quels sont les indices d'une dérive sectaire ?
Si la maladie est un point d’entrée facile pour les mouvements à caractère sectaire, toute dérive thérapeutique n’est pas forcément sectaire.
La dérive thérapeutique devient sectaire lorsqu’elle essaie de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée. Prétextant l’inutilité des traitements conventionnels, le pseudo-praticien va demander au patient d’avoir toute confiance en lui car lui seul peut proposer la méthode « miracle » apte à le guérir. Il y a un endoctrinement, une sujétion psychologique qui le conduit petit à petit à rompre avec la médecine, puis avec sa famille et son environnement. Le gourou thérapeutique propose ainsi non seulement de soigner, mais aussi de vivre autrement. Il se présente comme le détenteur d’une vérité. Tous ceux qui se mettent en travers de son chemin sont accusés soit de retarder la guérison, soit même d’être à l’origine de la maladie, d’où la rupture du malade avec ses proches et ses amis. Isolé, ce dernier va se retrouver encore plus facilement sous la coupe du «dérapeute» qui va l’amener progressivement dans un processus d’adhésion inconditionnelle à sa méthode, en lui proposant la vente d’ouvrages, la participation à des stages payants ou à des retraites coûteuses, le plus souvent à l’étranger, voire en l’orientant vers d’autres praticiens déviants.
La dérive thérapeutique à caractère sectaire s’accompagne donc d’un mécanisme d’emprise mentale destiné à ôter toute capacité de discernement au malade et à l’amener à prendre des décisions qu’il n’aurait pas prises normalement.
Sa dangerosité tient essentiellement au fait que sa mise en œuvre peut amener le patient à une double rupture :
avec sa famille et ses proches et avec son milieu de soin habituel et ses traitements conventionnels.
(Source : Miviludes)
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