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HUMOUR

Les urgences... un pays qu'on adore visiter !

Publié le 17/11/2014
hôpitalsoins d

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L'infirmier Morisot, notre San Antonio en blouse blanche, poursuit ses chroniques déjantées en s'attaquant aujourd'hui, à sa façon, aux séries médicales télévisées. Il nous propose donc un petit voyage - sans prétention - aux urgences, le pays qu’il adore visiter. "Du moins, comme il le souligne, tant qu’on peut le faire en restant vautré devant la télé". Pour un début de semaine réjouissant !

« Urgences », la série - où certes on ne bouffe pas les gens - mais où l’ambiance est parfois aussi féroce...

Scénariste pour série médicale, le métier où on trouve l’inspiration chez le quincailler... On achète son rouleau de ficelles, on le ramène à la maison et on s’en sert pour caresser le public dans le sens du poil. Et roule ma poule !

Tous les naufrages ne sont pas mortels, certains sont juste ennuyeux. Echoué au fond du canapé, je pars à la dérive devant le Paysage Audiovisuel Français (PAF, ça s'invente pas !). Ce soir, l’heure est au safari, je regarde l’éternel reportage sur les grands fauves africains. Un milieu où l’égalité des sexes n’est manifestement pas à la mode ; je vois des lionnes surbookées se déchirer la paillasse en courant après un zèbre en plein burn out, tandis que les lions - mâles - se grattent la peau du ventre sous les acacias. Comme dirait le patron de ma boite d’intérim, "à chacun son job !". Le zèbre est donc mal barré et moi je craque, déprimé par cette forme odieuse de harcèlement moral : je zappe, passant alors du safari à la corrida.

Je pars à la dérive devant le Paysage Audiovisuel Français (PAF, ça s'invente pas !).

Bingo ! Maintenant, ce sont des toubibs au bord de la crise de nerfs qui se courent après. « Urgences », la série - où certes on ne bouffe pas les gens - mais où l’ambiance est parfois aussi féroce, les relations entre Homo Sapiens étant bien souvent (sous notre vernis éducatif) empreintes d’une subtile violence… Je ne suis pas sous les arbres, mais je me gratte moi aussi la peau du ventre, perplexe devant le comportement hystérique des blouses blanches… Bientôt, à l’insu de mon plein gré, mes notions de psychologie font comme la taupe après une orgie de vers de terre : elles remontent à la surface. Lombric : pire que zèbre. T’as même pas le temps d’essayer de courir ! Bref, mon regard acéré débusque rapidement les ficelles du scénario. Presque des cordes, en fait, tellement le machin est téléphoné à l’avance. Tend l’oreille, coco, et tu entends la sonnerie du portable… Cela dit, le producteur n’est pas sectaire car il y en a pour tous les goûts - et tous les dégoûts - : ça ratisse large, allant sans complexe de la fête du slip à la tragédie grecque. Déjà, ces grands couillons en blouse blanche sont en pleine crise narcissique, essayant de réparer les traumatismes cruels d’une enfance douloureuse… C’est horrible, quand j’avais six ans, mon hamster s’est suicidé en se jetant sous la tondeuse... J’ai essayé de recoller les morceaux avec de la colle, mais ça n’a pas marché. Boouuuhh… c’est trop injuste !

Le Ça, le Moi, le Surmoi… tonton Freud nous aurait fait dix volumes avec une série télé pareille.

Bref, ils réparent et nous réparons avec eux, recousant fébrilement les plaies des malheureux qui s’engouffrent à l’hôpital. Et entre deux cafés, ils font la navette entre des pulsions brutes de décoffrage, des réflexes professionnels hyper maîtrisés et un amour du prochain à géométrie variable. Le Ça, le Moi, le Surmoi… tonton Freud nous aurait fait dix volumes avec une série télé pareille. D’ailleurs, il aurait sans doute commencé par notre désir d’être « utile », ce fantasme juvénile qui comble notre besoin de maîtriser notre petit univers. Cette volonté de bien faire nous fait donc regarder la Dream Team en nous léchant les babines... Ca c’est de l’action, coco, t’as vu comment il a intubé le gars de la main gauche et posé une sonde urinaire de la main droite ! Quelle beauté dans le geste, quelle énergie. Cela dit, dans notre société rapide et impulsive, on emploie aussi beaucoup d’énergie pour se foutre en l’air. La même, finalement, que celle utilisée par les urgentistes pour nous sortir du cambouis. Mais bon, c’est un autre débat... En attendant, nous faisons notre miel de ce western médical où les gentils cow boys des urgences éliminent les méchantes maladies et les vilaines fractures. Le monde est tellement simple d’efficacité, si rassurant. Pour peu que nous appartenions nous aussi à l’univers soignant, notre toute-puissance thérapeutique gambade allègrement dans une ère de jeux où notre soif de reconnaissance est comblée. Les blessés sont découpés en lanières, la cervelle leur sort par les narines, mais ils finissent par repartir en courant comme des cabris après nous avoir embrassé les mains. Elle est pas belle, la vie ? Allez, au suivant…

Le producteur n’a donc pas retenu les plus moches. Et c’est la même chose au niveau de Tony, l’interne en chirurgie, un brun ténébreux au regard de braises. Si tu veux du feu, coco, fais-lui juste regarder ta clope.

Et puis (ce qui ne gâte rien), dans cet hôpital revisité, on ne s’emmerde pas avec les détails, on va à l’essentiel. Le soin rêvé : pas de paperasses, ou si peu… alors que dans la vraie vie un infirmier passe son temps à remplir des dossiers à la c..., ceux d’« Urgences » ou de « Graisse Anatomie » refilent le machin à des secrétaires qui sortent de chez le toiletteur et qui répondent au public en faisant leur sourire numéro cinq. Le numéro six, c’est vers 18 h quand le poids de la journée finit par peser sur ses jolies épaules, et que son chef de service (bourru, mais avec un cœur gros comme ça) la renvoie à la maison pour recharger les batteries. Tu as l’air fatiguée, Cindy ! Allez, rentre chez toi et reviens-nous avec un beau sourire demain matin… Le producteur n’a donc pas retenu les plus moches. Et c’est la même chose au niveau de Tony, l’interne en chirurgie, un brun ténébreux au regard de braises. Si tu veux du feu, coco, fais-lui juste regarder ta clope. A dix mètres. C’est d’ailleurs lui qui allume les bougies du gâteau d’anniversaire de la grande Lulu (saison 4, épisode 9), la grande fille célibataire un peu revêche qui - il faut la comprendre elle aussi - a eu également une enfance difficile. Elle, c’était pas une tondeuse à gazon mais une baignoire. Après avoir vu le « grand bleu » au cinéma, elle a noyé son cochon d’Inde en jouant avec lui. Elle venait d’avoir huit ans : une tragédie.

La scène érotique de l’épisode, coco ; il en faut toujours une, sinon ça manque de relief.

Flash-back sur un passé récent : on apprend que Tony et Lulu ont vécu une histoire d’amour aussi éphémère que brûlante. Un autre drame (oui, en fait il n’y a pas que le cochon d’Inde) ! Lulu, allergique à l’eau de toilette de Tony, prise de tremblement incoercibles en plein ébat amoureux. Et Tony, confondant les convulsions avec l’imminence d’un plaisir paroxystique qui redouble d’ardeur et rajoute malgré lui à la souffrance de sa bien-aimée. La scène érotique de l’épisode, coco ; il en faut toujours une, sinon ça manque de relief. Puis, deuxième flash-back où l’on voit les amants se séparer, la mort dans l’âme.

- « C’est trop cruel, Lulu, mais tu me connais : jamais sans mon eau de toilette.

- Oui, Tony, je comprends…

- Mais restons amis, veux-tu ?

-  Oui, Tony, je vais essayer… »       

Bref, après avoir remis sur pieds les blessés par balles et les rescapés des crashs d’hélicoptères, on se soigne mutuellement les bleus à l’âme. En fait, on est une grande famille les gars, on est unis pour le meilleur et pour le pire. Même si on se fout sur la tronche régulièrement, on finit toujours par se réconcilier. Quand tu vois ça, tu te dis qu’avec ton ado boutonneux dont tu ferais volontiers du pâté pour chats - finalement - rien n’est perdu !  

Tony - croisement de Brad Pitt et de Tom Cruise -  fait donc la bise à la grande Lulu qui verse sa petite larme au dessus du gâteau…

Dis-donc, coco, tu feras gaffe de pas me donner le morceau sur lequel elle a chialé… En attendant, fin de la séquence émotion : deux minutes trente-cinq, ça suffit. Maintenant, on repart pour une nouvelle tranche d’adrénaline.

Bref, après avoir remis sur pieds les blessés par balles et les rescapés des crashs d’hélicoptères, on se soigne mutuellement les bleus à l’âme.

C’est comme ça dans tout bon scénario, après les Bisounours, il faut un machin un peu gore pour réveiller le public. Surtout que la pub se profile à l’horizon, alors le client doit être réceptif. Cette fois on sort l’hémoglobine, avec sa jolie couleur rouge si photogénique et on s’occupe d’un parachutiste hémophile tombé sur un pitbull caractériel. Ça saigne à donf… ça dégouline tellement que ça remplace tous les films de guerre et tous les matchs de foot sur lesquels on se défoule d’habitude. Hyper pratique. A ce stade de l’épisode, après le regard de braise de Tony, le vague à l’âme de Lulu et la fuite de globules made in Chutes du Niagara, nous sommes au cœur du réservoir pulsionnel de tonton Sigmund : la vie, la mort, l’amour… si on n’est pas réveillés avec tout ça… Bref, nous sommes dans le même état qu’un trader devant un rail de coke : quasi hypnotisé. Le moment idéal pour la pub.

Morceau choisi : un clone de Tony nous explique comment des sosies de Lulu lui courent après depuis qu’il a acheté sa dernière bagnole. Irrésistible. Notre temps de cerveau disponible est donc kidnappé pendant cinq longues minutes, avant le retour du vrai Tony et de la vraie Lulu. Mais attention, coco, le redémarrage se fait en douceur, sinon on risque le décrochage... Certains clients ont en effet changé l’eau du bocal durant la pause et - la vessie détendue - ils sont maintenant un peu amorphes.

Ça saigne à donf… ça dégouline tellement que ça remplace tous les films de guerre et tous les matchs de foot sur lesquels on se défoule d’habitude. Hyper pratique.

Les amateurs d’action ayant eu leur dose, on s’occupe donc de la ménagère de moins de cinquante ans qui, elle, aime bien naviguer en mode sentiment. Allez, une petite histoire de cœur pour sortir du réservoir pulsionnel par le haut. Cette fois, pas d’érotisme, les hormones bouillonnent toujours sous la surface, mais on garde les mains sur la table, coco. Joue-moi plutôt la scène du huit, celle où tu te débrouilles comme un naze dans ta vie de couple. Tu tiens à elle, mais tu te comportes tellement comme un gros bourrin qu’elle a balancé ta bague à 3 000 dollars dans les chiottes, et qu’elle veut repartir chez sa mère. C’est la fête au village, quoi. Comme ça, le spectateur qui était vaguement jaloux des conquêtes féminines de Tony, il a sa petite vengeance. Il a beau - lui - ne pas avoir bac + 12, il s’en tire toujours mieux avec Simone que ce grand couillon prétentieux. Et toc.

Après, tu sors le chalut pour une gentille scène de drague, tu nous montres comment Edouard - timide pathologique - fait oublier l’eau de toilette de Tony à la grande Lulu. Comme quoi, tout le monde a le droit de vivre. Rassurant. Ensuite, avant le final, c’est l’heure de sortir Bill, le chirurgien psychopathe qui terrorise tout le monde ; un docteur House brut de décoffrage, aussi bienveillant qu’un pitbull dérangé par un parachutiste hémophile. En fait, le côté obscur du machin pour montrer à quel point le personnel de la boutique est sous pression. Kimberley - jeune interne courageuse - est humiliée par Bill, et Edouard (qui ne supporte pas l’injustice) prend sa défense, au risque de briser sa propre carrière. L’éternel coup du triangle infernal (persécuteur-victime-sauveur) que l’on joue à domicile dix fois par jour et où chacun se reconnaît ; ça s’appelle l’identification, coco.

Selon l’humeur du jour, on fait dans la rédemption (l’interne, plombé par une ancienne erreur médicale, s’autorise enfin à prendre l’initiative et se rachète en bluffant son entourage). Ou bien dans la compassion...

En attendant, Lulu admire Edouard pour son courage, elle oublie pour de bon l’eau de toilette, et la vérité finit par éclater. Oui, les engelures (postérieures) de la patiente ne venaient pas des sports d’hiver, mais étaient bien causées par une utéro-glacite fulgurante, une maladie rare détectée par la jeune et perspicace interne. Kimberley a bien eu raison - contre l’avis du chirurgien - de lui poser un pull-ovaires synthétique afin de traiter sa redoutable hypothermie.

Une technique encore balbutiante, mais prometteuse. Et maintenant que les pendules sont remises à l’heure, il est temps de passer aux choses sérieuses : une petite séquence métaphysique, coco, histoire de sortir du machin par la grande porte. Allez, soyons fous, une tranche de sacré. Vous m’en mettrez pour 200 gr : voilà ma petite dame… bref, selon l’humeur du jour, on fait dans la rédemption (l’interne, plombé par une ancienne erreur médicale, s’autorise enfin à prendre l’initiative et se rachète en bluffant son entourage). Ou bien dans la compassion : ça bouscule au portillon, mais on tient la main du papy agonisant jusqu’au bout. Certains soirs, on ose même la résurrection, rendant à une mère folle de joie son bébé qu’elle croyait perdu. Oublie pas les violons en fond sonore, coco. Et parfois (mais pas trop souvent, car c’est du lourd) on verse carrément dans le martyre : Betty (une autre interne courageuse) s’interpose entre un fou furieux et son collègue, se faisant mortellement poignarder au passage. Et là, on replonge dans le réservoir pulsionnel où Eros et Thanatos se regardent en chiens de faïence. Une cohabitation d’enfer, entre nous.

Certains soirs, on ose même la résurrection, rendant à une mère folle de joie son bébé qu’elle croyait perdu. Oublie pas les violons en fond sonore, coco.

Vertige existentiel qui transcende le quotidien... On touche du doigt la date de péremption qui nous attend au tournant. On réalise aussi la grandeur du métier, le sens du sacrifice qui nous anime. On fait un chouette boulot, finalement. Pendant ce temps, on apprend que le collègue de Betty (touché lui aussi) va s’en sortir, mais il devra vivre avec ce poids sur les épaules. Snniiiff… Bref, on arrive au bout de l’épisode, heureux d’avoir survécu à tant d’épreuves. On termine à la manière du gars assis au bord de la falaise qui regarde le navire couler dans la tempête. Le syndrome du survivant, la culpabilité en moins. Yes ! ça y est, c’est le générique de fin. Lulu remet son mouchoir dans son sac, Tony referme sa braguette et l’ambulancier range la caisse du SMUR. Pendant ce temps, mon chat gratte dans la sienne. Il faut dire que j’ai un chat très con ; lui, il regarde la pub et fait ses besoins pendant le feuilleton. Un jour, je lui expliquerai…

Didier MORISOT  Infirmier en Saône-et-Loire  didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com