La loi sur la séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 prévoit la présence d’équipes d’aumôneries pluriconfessionnelles dans les internats, les hôpitaux, les maisons de retraite, les prisons et les armées. Quelle que soit sa durée de séjour dans ces établissements publics, en raison de leur caractère particulier et proposant un hébergement, un citoyen ne peut ni y être privé de liberté de culte, ni d’y manifester ses convictions religieuses. Pour en respecter le principe dans les établissements de soins, comme épauler patients et soignants, les aumôniers jouent un rôle essentiel.
Conformément à différents textes en vigueur dont la Charte du patient hospitalisé, les établissements publics de santé doivent disposer d’une équipe d’aumônerie pluriconfessionnelle. En d’autres termes, celle-ci doit impérativement représenter tous les cultes recensés dans la patientèle sans exception afin de permettre au patient de rencontrer l’aumônier de la religion de son choix. "De son choix" ne spécifie pas "catholique" ! Il peut être protestant, orthodoxe, bouddhiste, musulman, juif... Dans la plupart des établissements de santé pourtant, on reconnaît uniquement l’aumônier catholique. La présence des religieuses pendant des siècles dans nos hôpitaux publics (jusqu’à aujourd’hui, parfois en tenue de leur congrégation) peut l’expliquer en partie1.
"Aumônier" : un terme générique
Cette fonction peut être assurée, de façon permanente ou temporaire, soit par des aumôniers rémunérés recrutés en qualité de contractuels, soit par des aumôniers bénévoles
, conformément à l’article 2 de la loi de 1905. A tous est donné le titre d’"aumônier" malgré sa consonance chrétienne. D’où l’importance de ne pas omettre d’y accoler l’adjectif qui les distinguera de leurs confrères pour éviter toute erreur : aumônier protestant, aumônier musulman… En plus de leur devoir d’accompagnement spirituel des patients et de leurs proches qui le désirent, les aumôniers peuvent éclairer les équipes sur les implications éventuelles de leurs décisions au regard des convictions et des pratiques religieuses des patients. Evidemment, leur démarche et proposition doivent toujours être cohérentes avec le projet de soins.
Obligations des établissements et des aumôniers
Les établissements ont l’obligation de mettre à disposition de tous les aumôniers un bureau pour recevoir les familles et un oratoire multicultuel qu’ils se partageront (une chapelle catholique ne permettra pas de répondre aux attentes des autres cultes) ; inscrire sur le livret d’accueil2 la composition détaillée de l’équipe d’aumônerie (identité, coordonnées, localisation des bureaux et de l’oratoire). Bien entendu, ces informations pourront être affichées dans les lieux communs sans pour autant se dédouaner de son devoir de publication. Conformément à la circulaire du 20 décembre 2006, le rôle de l’aumônier dans un établissement de santé est d’assurer le culte qu’il représente et seulement celui-ci, de ne rien imposer au patient en matière de culte (assister à un office y compris devant le petit écran, rencontrer un aumônier…) et de n’effectuer - ni lui ni aucun bénévole de son équipe - aucune visite dans les chambres sans autorisation préalable de ses occupants (le non-respect de cette disposition est considéré comme du prosélytisme, prohibé à tous3).
Des situations diverses
Face à la méconnaissance du rôle des aumôniers, une jeune maman se voit contrainte d’invectiver l’infirmier pour obtenir la visite d’un représentant du culte catholique à son chevet.
- Madame, c’est inutile, tout va bien pour votre bébé et vous-même.
- Justement, c’est parce que nous allons bien que je voudrais remercier le Seigneur !
Trop souvent, les équipes les cantonnent strictement à accompagner les personnes en fin de vie et cela est bien dommageable. De même, prenons le cas - parmi d’autres véritables - d’un soignant, lui-même soutenu par son cadre, qui s’interdirait d’appeler un aumônier autre que catholique sous le prétexte assumé que tout représentant d’une autre confession (rabbin, imam, pasteur…) n’aurait pas sa place dans son service d’exercice. Il s’agirait là d’une opinion personnelle qui constituerait une infraction et qui irait, pour les deux professionnels en cause, à l’encontre de la liberté de culte accordée aux patients hospitalisés.
Questions de patients : un florilège
Plus souvent qu’on ne pourrait l’imaginer, les patients souhaitent interroger le représentant de leur culte à propos d’un soin proposé par l’équipe médicale. Serais-je impur si un soignant gaucher effectue ma toilette ? Me prodigue des soins ? Me nourrit ? Et si je prends un traitement dont la composition recèle des éléments interdits dans mon alimentation ? Ma religion autorise-t-elle une hystérectomie suite à un cancer de l’utérus, intervention qui me sauvera la vie mais qui me rendra à jamais stérile ? Et une interruption thérapeutique de grossesse ? Mon enfant prématuré peut-il être nourri du lait d’une autre mère dont je ne sais rien, ni sa religion, ni son régime alimentaire, ni sa morale de vie ? La pose d’une prothèse interne m’est-elle autorisée ? Et d’un pacemaker ? Et un don d’organe ? Et la prise d’un médicament antidouleur qui atténue mon discernement ? Faut-il que je respecte toutes mes obligations religieuses pendant mon hospitalisation : prières, interdits alimentaires, respect de la pudeur… ? Et lors de ma convalescence ?
... Qui d’autre qu’un aumônier musulman proposera à un patient très fatigué désirant se lever pour faire ses prières de suivre l’exemple de Umrân Ibn Huayn5 : j’avais des hémorroïdes, j’ai demandé au Prophète comment faire mes prières. Il me répondit : "Prie debout, sinon assis. Si tu ne peux pas, me dit-il, prie étendu sur le côté ou sur le dos"
? Qui mieux qu’un archevêque pourra conseiller un prêtre suivi pour alcoolodépendance de célébrer l’eucharistie avec du jus de raisin (rouge, bien entendu) ? Qui d’autre qu’un aumônier israélite sera en capacité de faire accepter la pose d’une valve cardiaque d’origine porcine à un de ses condisciples ?...
Un conseiller spirituel primordial
Les aumôniers ont un rôle primordial à jouer auprès des patients, et pas exclusivement dans l’accompagnement en fin de vie. Lorsque le patient croyant et pratiquant est hésitant face à une démarche de soins proposée par l’équipe et que celle-ci ne lui propose pas de rencontrer le représentant du culte de son choix (exerçant dans l’établissement ou à l’extérieur) pour en débattre, il peut s’en détourner définitivement. Cela est bien dommageable lorsque l’on sait que les obédiences exigent la transgression de tous les commandements pour permettre le soin lorsqu’une vie est en péril, voire son intégrité physique ou mentale. Ce rôle de conseiller spirituel ne peut et ne doit aucunement être endossé par un médecin, un psychologue ou un infirmier. Tout membre de l’équipe - médecin, infirmier, aide-soignant, assistante sociale… - peut évoquer la possibilité d’une rencontre avec un aumônier lorsqu’une problématique se pose lors d’une prise en charge sans devoir en référer à sa hiérarchie (sauf en psychiatrie). Pour se faire, il lui remettra la liste des membres de l’aumônerie de l’établissement tout en affichant une stricte neutralité dans son comportement et son discours. Les aumôniers sont des personnels-ressources incontournables dans la prise en charge des patients. Cessons de les cantonner au strict accompagnement des mourants et des personnes âgées.
Pour en savoir plus :
Guide des rites, cultures et croyances à l’usage des soignants, Vuibert / Estem, 2013
Connaître et comprendre le judaïsme, le christianisme et l’islam, Le Passeur Editeur, 2021
Notes
- Pour en saisir l’origine, se référer à l’histoire des hôpitaux en France
- Arrêté du 7 janvier 1997
- Personnels, aumôniers, patients, visiteurs, bénévoles
- Hadith rapporté par Bukhâri
Isabelle Levy
Conférencière
Consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé
@LEVYIsabelle2
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