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Le tutorat : une réponse à l'itinéraire de l'étudiant en soins infirmiers

Publié le 01/12/2009

Introduction

Le parcours de formation d’un étudiant pourrait s’appeler  « itinéraire ». Chaque parcours est différent et ponctué d’expériences et de vécus particuliers qu’il est nécessaire d’analyser afin d’aider l’étudiant à avoir une position «  META » de lui-même, c'est-à-dire que le tuteur doit l’aider à prendre de la hauteur par rapport à son apprentissage.
L’itinéraire est propre à chaque étudiant car le parcours est différent d’un étudiant à un autre et de plus chacun l’exploitera à sa façon. Comme le disait Norbert Sillamy, « Chaque être humain a un rythme de croissance qui lui est propre, on y remarque des poussées raides, des paliers, des retours en arrière, mais pratiquement jamais un développement linéaire ».

Cet itinéraire est par ailleurs singulier et professionnalisant car chaque étudiant peut choisir une partie de son parcours de formation et l’ensemble de celui ci l’amène à se projeter comme futur professionnel.

Au cours de son itinéraire de formation, l’étudiant est soumis à des choix mais aussi à des contraintes imposées par le programme et par l’Institution dont il dépend par exemple :

  • La durée des stages qui vont de 5 semaines sur un même lieu, à 10 semaines. reparties sur plusieurs services au sein d’un pôle. Le stage peut aller jusqu’à 15 semaines pour le stage professionnel
  • La variabilité des lieux de stages dont le manque de continuité engendre des ruptures
  • La capacité d’accueil limitée de certains lieux très spécifiques qui ne permet pas la possibilité d’accéder à des services où les techniques sont très pointues et/ou des structures spécialisées
  • L’organisation du travail dans certains lieux qui rend l’encadrement problématique voire impossible
  • Le manque de formation des professionnels par rapport à l’encadrement et à l’évaluation
  • Le manque de reconnaissance de la fonction tutorale et du temps qui serait nécessaire pour qu’elle soit efficiente et de qualité

Ainsi, face à ce parcours, le tuteur joue un rôle :

  • d’accompagnateur de l’innovation personnelle
  • de chercheur du sens d’aide à la découverte des fonctionnements et spécificités de chacun

Le tuteur se pose les questions suivantes :

  • Comment vais-je lui permettre de réussir?
  • Comment vais-je l’aider à se trouver?
  • Comment l’engager à développer son potentiel?

L’étudiant se construit au sein d’un système basé sur l’alternance. Cette alternance est représentée par quatre systèmes qui sont respectivement :

  • les lieux de formation que sont les Instituts de formation en soins infirmiers
  • les lieux professionnels qui sont les différents lieux de stages
  • les lieux de vie qui sont porteurs d’expériences
  • l’auto formation qui est un espace contractualisé d’apprentissage entre l’étudiant, le formateur et/ou le tuteur

Ces différents systèmes peuvent être formateurs. La question qu’il faut se poser pour chacun d’eux est la suivante :
Qu’est ce que l’étudiant peut apprendre ici et qu’il ne peut pas apprendre ailleurs ?
Les apprentissages seront ainsi définis en fonction des ressources existantes dans chacun de ces lieux en termes de savoirs cliniques, de situations professionnelles et du nombre d’encadrants disponibles.

Les principes du tutorat

Le tutorat est une relation qui s’établit entre deux personnes dans une situation professionnelle formative et/ou normative. Un professionnel et un apprenant, à la découverte d’un métier, se rencontrent dans un environnement de travail. L’objectif du tuteur est d’accueillir et de former l’apprenant afin qu’il puisse s’intégrer provisoirement. Ainsi, les tuteurs doivent donc aider l’étudiant à apprendre dans l’action. Pour ceci ils doivent questionner leurs modes d’enseignement.

Le tutorat repose sur quelques principes. Pour qu’il soit efficient, il est important de penser les approches pédagogiques et de mettre en place des stratégies afin de donner une place centrale aux étudiants et à leur réussite.

En voici donc quelques exemples

Pour amorcer une démarche réflexive, le tuteur doit s’engager dans un processus d’auto observation, d’autoréflexion mais aussi un partage et une verbalisation d’expériences avec ses pairs. Tout cela lui permettra de s’inscrire dans une logique de développement des compétences. Cela va demander au tuteur de :

  • Se poser des questions sur sa pratique et sur les compétences spécifiques développées dans ce lieu professionnel précis
  • Effectuer des liens entre les différents éléments de la pratique soignante pour les confronter aux concepts et aux savoirs théoriques afin de les discuter et d’en débattre avec des pairs
  • Identifier les situations cliniques formatrices pour l’étudiant
  • Créer des conditions favorisant les apprentissages
  • Cheminer ensemble vers une cohérence entre croyances et pratiques, entre pensées et actions.

Il est donc indispensable de mettre des mots sur la pratique soignante. Il faut que l’étudiant ait face à lui des modèles parlants pour pouvoir donner du sens à ce qu’il voit ou à ce qu’il fait et ne pas être ainsi dans une simple logique de reproduction de gestes.

Aujourd’hui nous n’en sommes pas encore là et le modèle issu du Taylorisme est encore très présent dans les services de soins. Il réapparaît même dans certains lieux et certains modes de management. Ainsi l’étudiant développe des stratégies qui ne lui permettent pas d’acquérir de réelles compétences. Par exemple, lorsqu’il travaille avec le soignant « A » il fait comme celui-ci et lorsqu’il est avec le soignant « B » il s’adapte à ce dernier. Ce mimétisme ne lui permet pas de se construire professionnellement, ni de donner du sens à son travail.

On pourrait ainsi imaginer le parcours de l’étudiant comme un voyage vers l’inconnu :

« L’étudiant, tel Christophe Colomb, part explorer des terres nouvelles. Dans son paquetage, il emporte avec lui son vécu, son histoire, ses représentations ses valeurs et quelques savoirs disciplinaires qui vont lui permettre de traverser les bourrasques et les tornades qui se dressent devant lui. L’inconnu est une donnée qu’il va devoir apprivoiser. A perte de vue, il n’y a que flou, soignants en blanc et grands couloirs….. Mais du haut de sa nacelle, il observe grâce à sa longue vue les voyageurs (étudiants de l‘année supérieure, jeunes professionnelles…) qui sont revenus de ses territoires lointains.
Avec de la chance il peut participer à des discussions et échanger avec eux. Il se construit ainsi un lien et un partage d’expériences. Un partenariat s’instaure et une réciprocité se crée. L’ancien utilise son vécu pour le mettre en histoire et le mobiliser au service du nouveau. Ainsi une inscription dans la culture soignante permet de transmettre une certaine philosophie de la profession et de conquérir ce nouveau monde avec ses normes professionnelles. »

Le rôle du tuteur

L’objectif du tuteur est d’amener l’étudiant à progresser et à s’améliorer face aux situations d’apprentissages qu’il rencontre.
Pour cela il oriente son tutorat à partir de quatre points clefs :

  • Le développement de la métacognition, c'est-à-dire à identifier comment l’étudiant apprend à apprendre
  • Le transfert de ses apprentissages chercher à identifier comment l’étudiant prend conscience de ce qu’il sait déjà, comment il intègre ensuite de nouvelles connaissances à mettre en lien avec celles qu’il possède déjà afin de pouvoir les utiliser dans un autre contexte. Ainsi il va passer d’une phase de contextualisation à celle de la décontextualisation, puis à l’étape de recontextualisation
  • La gestion des émotions de l’étudiant demande  de l’aider à identifier ses émotions, à les comprendre et à mobiliser ainsi son intelligence émotionnelle
  • Le maintien de la motivation de l’étudiant peut se réaliser en l’aidant à construire et à développer son projet personnel et professionnel

Le tuteur peut prendre différents visages. Il peut être un initiateur, un médiateur, un évaluateur, un facilitateur… Mais peut importe le costume qu’il choisira de revêtir, il semble indispensable que tuteur et étudiant travaillent ensemble et partagent leurs observations. Comme le dit Bachelard : «  C’est par l’échange que l’on apprend les uns des autres ». C’est par ce biais que chacun, tuteurs, infirmiers et étudiants vont pourvoir :

  • Se comprendre
  • Partager des valeurs
  • Partager une vision procédurale, donc arriver à une cohérence dans l’action tout en gardant chacun ses particularités
  • Passer d’un travail prescrit à un travail réel

Le tuteur doit convier « l’apprenant non pas à imiter, à reproduire ou à s’identifier, mais à prendre du recul, à produire des repères et à se découvrir dans la différence qui est sa marque de sujet » ResWeber

Un nouvel outil : le portfolio

Le nouveau programme des infirmiers propose un référentiel de formation basé sur les compétences et la démarche réflexive, issus d’un courant pédagogique, appelé le socioconstructivisme. Il impose un nouvel outil d’évaluation des compétences en stage, dénommé le portfolio.
L’utilisation de cet outil devrait faire évoluer la relation tuteur - étudiant vers plus de compagnonnage. Ce référentiel de compétences renforce également le rôle pédagogique de l’infirmier et du tuteur dans l’encadrement de l’étudiant.
Ainsi la philosophie du référentiel de compétences s’appuie sur :

  • Le recentrage sur la clinique infirmière
  • L’augmentation de l’’autonomie de l’étudiant
  • Un dispositif pédagogique orienté vers l’apprentissage des compétences professionnelles et la réflexivité
  • Une organisation des curriculums basés sur un système universitaire : LMD (Licence-Master-Doctorat)

L’étudiant renseigne son portfolio. Ce document retrace l’analyse de son parcours dans chaque stage et dresse un état de l’acquisition progressive de ses compétences. Il sert de base aux bilans de stage et à leur évaluation normative. Une partie de celui-ci est remplie par l’étudiant et l’autre est acté par le tuteur témoin et responsable de l’organisation de son apprentissage.

Le contenu du portfolio permettra aux formateurs référents de l’étudiant à l’IFSI de valider ou non ses compétences et de réorienter si besoins son parcours de stage. Les compétences ainsi validées au final, lui permettront de poursuivre sa formation. D’autres évaluations de connaissances seront effectuées conjointement, complétant ainsi le cursus de l’étudiant en vue de l’obtention de son diplôme d’Etat.

L’étudiant va développer un rapport au savoir qui sera différent.  En effet en travaillant autour de situations clés, dites « emblématiques », il va développer son questionnement et petit à petit, peut se positionner en tant que demandeur et non plus comme receveur de savoirs. Ainsi, la dynamique de l’étudiant dans son rapport au savoir le rend à la fois « acteur et auteur » de son parcours. Dans le nouveau référentiel, l’étudiant va devoir construire son projet professionnel et s’inscrire dans une pratique professionnelle.

Il appartient aux  tuteurs et aux formateurs de l’aider à développer des capacités d’analyse réflexive, lui permettant de faire évoluer ses représentations, ses valeurs et ses pratiques, afin de construire son identité professionnelle. Il apprend à se positionner, à argumenter ses choix et ses décisions, à assumer ses responsabilités pour devenir un praticien réflexif.
Tous les professionnels encadrant, infirmiers, tuteurs et formateurs sont-ils prêts à réfléchir, à s’interroger, à partager leurs expériences, pour relever ensemble ce challenge en créant des dispositifs pédagogiques novateurs, au sein des lieux professionnels d’apprentissage pour l’étudiant?

Bibliographie

Livres

  • CARRE P., 2005 – L’apprenance : vers un nouveau rapport au savoir – Paris - Ed. Dunod –  205 p.
  • FILLOZAT I., 2002 – Que se passe-t-il en moi ? – Paris – Ed Marabout – 301 p.
  • GEAY A., 1998 – L’école de l’alternance – Paris – Ed. L’Harmattan- 249 p.
  • GIORDAN A., SALTET J., 2007 – Apprendre à apprendre – Paris – Ed. Flammarion – 95 p.
  • GOLEMAN D., 2007 – L’intelligence émotionnelle – Paris – Ed. J’ai lu – 383 p.
  • FORMARIER M. – JOVIC L. – Les concepts en sciences infirmières – Ed. Mallet Conseil – Lyon – 2009 – 286 p
  • LE BOTERF G., 2005 – Construire les compétences individuelles et collectives –Paris -  Ed. D’Organisation – 245 p.
  • MAUDUIT CORBON M. – MARTINI F.- 1999 - Pédagogie de l’alternance – Paris – Ed. Bayard – 130 p.
  • PAUL M., 2005- L’accompagnement, une posture professionnelle spécifique – Paris- Ed. L’Harmattan – 352 p.
  • SAMURCAY R, PASTRE P, 2004, Recherche en didactique professionnelle – Toulouse – Ed. Octarès éditions – 187 p.
  • SCHON D.A, 1994, Le praticien réflexif. A la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel. Ed. Logiques
  • SILLAMY Norbert – 1998 - Dictionnaire de psychologie - Ed. Larousse – Paris
  • TARDIF J.- 1999 – Le transfert des apprentissages – Montréal – Ed. Logiques – 222 p.


Revues

  • Revue éducation permanente : Dossier L’alternance, pour des apprentissages situés n°172 et 173. 2007
  • Revue éducation permanente : Dossier Peut-on former à la fonction d’encadrement n°178. Mars 2009

Pascale Meyer
Cadre de santé,
ingénierie de formation continue,
rédactrice Infirmiers.com
pascale.meyer1@chru-strasbourg.fr
Isabelle Bayle
Cadre de santé,
Formatrice en IFSI
isabelle.bayle@ch-saverne.fr


Source : infirmiers.com