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AU COEUR DU METIER

Le travail de nuit d'une infirmière : entre spécificités et contraintes...

Publié le 20/04/2009
infirmières, activité, jour, nuit

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Le travail de nuit d'une infirmière se caractérise par sa spécificité. Sommes-nous le "maillon faible" ? En effet, la nuit, tous les chats sont gris... Nos conditions d’exercice sont à l’opposé de celles de nos collègues travaillant le jour et ce, pour des raisons évidentes. Le corps humain est programmé pour dormir la nuit et être mobile le jour. Cela explique que tous et toutes n’avons la capacité de supporter et tenir longtemps notre activité dans ce créneau horaire. Ce sont des évidences, mais il peut être utile de les rappeler quelquefois. Voyage au bout de la nuit... 

Le travail de nuit chez les soignants, et ici chez les infirmières, présente de nombreuses ciontraintes dint il faut tenir compte pour la qualité de vie au travail.

Travailler la nuit implique quelques handicaps qu’il faut admettre et reconnaître pour mieux les intégrer dans notre vie :

  • la lumière artificielle, ou l’obscurité, pour effectuer malgré tout notre travail auprès du patient, d’autant plus lorsque celui ci se trouve dans une chambre à 2 lits. L’autre occupant n’a pas nécessairement de soin à ce moment là. Nous lui coupons son sommeil par obligation, sans le vouloir. Il faut faire en sorte que le repos de ces occupants ne soit que suspendu, mais qu’ils puissent retrouver le chemin de l’endormissement sans trop de souci.
  • le bruit : le travail est à effectuer autant que possible dans le silence, afin de permettre aux patients de dormir. Nos conversations doivent être émises à voix basse, nos chaussures légères et silencieuses, nos gestes sont réfléchis pour ne pas augmenter les décibels.Nos rangements et nos déplacements se réalisent à pas feutrés pour éviter l’écho retentissant la nuit. Le téléphone, outil de communication, ne sonne pas vraiment longtemps pour ne pas tirer du sommeil la plupart des gens endormis, sauf, lorsque n'étant que deux soignants dans l’unité, nous sommes occupés ensemble dans une chambre auprès d'un patient. Le silence nous permet de distinguer tout changement dans le registre sonore, appels, cris, plaintes, râle, chute, pas… Comment calmer un malade agité, confus dont les cris dans la nuit résonnent et ressemblent à une véritable "torture" pour les autres occupants de l’étage ? Quels mots trouver pour apaiser cette personne qui communique à sa manière ? Notre compréhension sera-t-elle suffisante pour ne pas emprunter un chemin de travers et vouloir aller au plus court : " bâillonner " les propos de cet individu ? Avons-nous appris à déchiffrer tous les registres vocaux ou comportementaux de tous les âges ? Les autres patients ne savent pas ce qui se passe dans la chambre adjacente. Cette heure nocturne est propice à toutes sortes d’idées, l’imagination n’a pas de fin. Le retour au calme laisse l’unité avec un halo de crainte, une impression d’avoir combattu toute la nuit. La fatigue est d’autant plus lourde.
  • le sommeil des uns et l’état de veille des autres : nous luttons par moment contre le sommeil qui cherche à nous gagner pour protéger la qualité de repos de nos malades. Nos sens aiguisés, en attente sont vulnérables. Il est nécessaire de bien se connaître et cerner ses limites physiques et intellectuelles. Une unité très silencieuse est signe que les patients dorment ou cela peut être aussi l’appel à aller vérifier que les malades n’ont pas besoin de notre aide, secours, écoute. Notre présence auprès des malades angoissés, anxieux, déprimés est très importante. Il faut arriver à trouver un terrain de communication qui leur permette de trouver le chemin du sommeil dans la confiance et la sérénité.
  • l’effectif très restreint pour une charge de travail très lourde : une infirmière et une aide soignante doivent prendre soin et effectuer la charge thérapeutique pour tous les malades de l’unité. Notre rôle propre ne peut trouver sa place qu'entre deux prescriptions médicales, ou être planifié suivant la manière dont nous appréhendons le service. Etre hospitalisé signifie que les soins et la maladie ne permettent pas de rester à domicile. Ces personnes gravement malades ou très seules et dépendantes ont besoin de toute notre attention, de notre savoir et de notre humanité. Cet exercice se situe entre 21heures et 7 heures. Cette plage horaire est synonyme de repos pour beaucoup de monde. Beaucoup de malades ou accompagnants pensent que notre présence la nuit est temporaire, entrecoupée de nombreux temps de détente ou de vrai sommeil. Notre professionnalisme est l’assurance pour les familles et accompagnants que le malade sera soigné correctement, ce qui leur permet de rentrer chez eux se reposer. Ils ont possibilité de téléphoner à n’importe quelle heure de la nuit pour prendre des nouvelles, et peuvent revenir dans le service sans prévenir quelque soit le moment avancé de la nuit lorsque l’état de la personne est inquiétant. Notre nombre restreint n’empêche pas notre humanité et la reconnaissance de l’Autre. Il faut pouvoir réaliser la somme de responsabilités qui nous incombe. Seules (une IDE et une aide soignante) pour 28 à 34 patients malades à des degrés différents, dont l'état n'est pas toujours stable. Nous devons prendre les mesures qui s'imposent sans excès et sans perte de temps, faire appel au médecin de garde à bon escient ou téléphoner à une collègue pour prendre son avis.
  • les repas : Notre présence dans les locaux se fait sur une durée de 10 heures. Nous prenons donc un en-cas dans l’institution. Du fait de notre effectif, ce temps frugal s’effectue dans le service avec notre collègue du moment, et non au self à rencontrer, côtoyer d’autres personnes. Et le temps peut manquer pour une pause repas tout simplement. Il ne faut pas oublier les malades hospitalisés en urgence la nuit. Ceux-ci ont séjourné plusieurs heures aux urgences avant d'être accueillis dans un lit. Il est fréquent que leur dernier repas date du matin ou du midi. Le soir, il ne reste plus rien dans le réfrigérateur de l'unité pour alimenter les nouveaux occupants. Ils doivent patienter jusqu'au lendemain matin ou midi pour combler ce manque.
  • La difficulté de connaître la démarche administrative à effectuer parfois pour résoudre certains problèmes : soucis qui peuvent être bénins mais prendre une tournure très lourde si nous ne connaissons pas la marche à suivre. Notre temps est quelque fois bien compté pour réaliser notre travail. Que faire des accompagnants en pleine nuit, n’ayant pas de ressource pour regagner leur domicile en taxi et arrivés avec les pompiers ? Dans la précipitation, cette organisation n'a pas été prévue par eux. Ce temps de négociations, de palabres est grand phagocyteur de temps. Devons-nous accepter de les héberger dans nos locaux jusqu’au lendemain, au risque de conséquences et de répétition de situation ? Devons-nous réveiller nos administrateurs alors que ces évènements se renouvellent bien souvent ? Comment informer nos responsables hiérarchiques avant la prise du service que l’unité est trop lourdement chargée en soins pour une petite équipe ? Cette réalité est évidente, comment l’objectiver, la pointer et trouver une solution pour la nuit ? Il s’agit de sécurité et de qualité pour le malade et l’institution.
  • la nécessité de se former sur notre temps de repos, par manque de personnel la nuit. Se former aux bons soins de l’hôpital signifie que ce temps d’apprentissage est pris sur notre temps de travail. Il faut donc trouver des soignants pour effectuer notre tâche auprès des patients pendant notre absence professionnelle. L’effectif à flux tendu dès le départ empêche parfois que nous puissions progresser dans notre profession. Nous sentons malgré tout que la profession évolue rapidement. Notre service est enfermé dans un silence complet : ni mise à niveau, ni liaison avec le monde diurne, sauf volonté ferme et individuelle de la part de certains passionnés. C’est à nous de faire l’effort pour créer des liens, de nous renseigner.

L’arrivée des 35 heures est à l’origine d’une déstabilisation complète. Qui sera assez fou pour user sa santé, sa vie de famille pour avoir encore moins d’avantages que nos collègues effectuant leur travail la journée ? La pénibilité du travail de nuit est abolie, occultée, puisque nous effectuons strictement le même temps de travail, de jour comme de nuit.

Ce choix de nuit pour certaines était l’assurance d’avoir quelques privilèges financiers bien mérités. Ceci a été complètement annihilé avec notre nouveau comptage horaire. Cet ensemble de faits nous fait passer pour une population à part, mais personne ne se penche vraiment et profondément sur les problèmes que cela entraîne. D’où, à la longue, une fatigue et un manque d’énergie des soignants de nuit. A qui en vouloir vraiment ?

Nuit

La nuit a-t-elle une âme ?

Comment nous comportons-nous lorsque nous apprenons une mauvaise nouvelle ? Sommes-nous enclin à passer une bonne nuit ? Le stade d’endormissement se fera-t-il dans le calme et la sérénité ? Nos hôtes ont-ils tous les atouts en main pour " aller chercher demain " ? (Expression entendue à la campagne) Lorsque la nuit tombe, l'activité du service de la journée s'accélère pour terminer le travail à temps. Cela devient de plus en plus difficile du fait de la réduction du temps de travail et du manque de personnel. Un peu comme des lumières qui s'éteignent les unes après les autres, le personnel du soir quitte la blouse blanche qui a côtoyé tant de misère et de souffrance pour céder sa place à l'équipe de nuit. La course de relais continue sempiternellement. Nous transmettons avec détails les nouveautés du jour, pour chacun des occupants des lits. Non par esprit de curiosité, mais parce que tout événement peut être important pour une meilleure prise en charge du malade, pour sa connaissance holistique. Cela facilite grandement la communication et la continuité de nos soins. Tous les problèmes du jour ne seront pas résolus, le travail ne sera pas toujours achevé, faute de temps, de ce sacré chrono qui continue sa course quoi qu'il arrive et qui fait fi de tout événement heureux ou malheureux durant ce marathon. Cet arriéré est transmis à la "nuit" qui fera ce qui sera en son pouvoir pour le résoudre, en sachant que l'effectif sera des plus restreints. Nous aurons 10 heures pour épurer le retard et y insérer notre travail planifié. Combien d'histoire de vie (ou de mort) est racontée rapidement, de vécu, de souffrance restant dans l'unité? Toutes ces personnes, hôtes de notre établissement, ne sont pas que le diagnostic posé. Elles sont des humains en recherche d'autonomie et de retour à la vie normale (au mieux). Et non un numéro de chambre, dans une unité avec le matricule "X". Presque la prison! Les malades doivent quitter leurs vêtements, leurs habitudes, leur liberté, leur identité pour se couler dans le moule hospitalier et se laisser guider dans l'inconnu par nos manières de travailler, par notre planning.

Arrivons-nous encore à réaliser que le malade est le sujet de nos soins ?

  • Leur offrons-nous un plan de route, un mode d'emploi pour vivre ensemble en bonne intelligence?
  • Savons-nous la direction que nous visons pour chacun d’eux ?
  • Sommes-nous capables de discerner les différents objectifs de chaque personne, ou de les transmettre afin qu’ils soient atteints à plus ou moins long terme ?
  • Sommes-nous capables de travailler en concertation pluridisciplinaire et interdisciplinaire ?
  • Où est la prise en charge holistique dans tout cela?
  • Quels moyens mettons-nous à leur disposition pour réaliser leurs projets?
  • Nous imaginons-nous à la place de ces personnes, subissant le même rythme de vie, d'examens, de relation sans réagir et leur laisser le gouvernail de notre vie?
  • L’aventure commence pour eux, mais ont-ils vraiment envie de la vivre de cette façon ?
  • Cette tranche de vie inconnue ont-ils choisi de la croquer à leur manière ou à la nôtre ?
  • Est-ce vraiment un choix ?
  • Sur quel plan basons-nous la confiance?
  • Deviennent-ils complètement dépendants parce que malades? Que faisons-nous de leur autonomie, de leur liberté?
    Sont-ils anonymes?

Parler de l'accueil, l'arrivée dans l'unité le soir ou la nuit. Venir chez nous n'est pas une sinécure, mais mettons-nous tout notre savoir-faire pour les accueillir chaleureusement? La chaleur humaine ne doit-elle pas être une de nos caractéristiques? Comment accueillir le mieux possible à 2 heures du matin, lorsque la nuit est si profonde, l'équipe au milieu de son temps de travail et en pleine action ? Bien sûr tout n'est pas urgent, mais qui doit gérer l'organisation et la gestion du travail pour être le plus efficient possible, pour rester dans la qualité et la gestion des risques ? Il faut laisser au nouvel arrivé l'impression qu'il est attendu, que tout est organisé au mieux pour son confort et son installation. Tout cela sans pour autant léser les occupants des autres lits en attente eux aussi d'un soin, d'une présence, d'une venue discrète et feutrée. Ceci peut faire partie d'une gageure. Nous n'y arrivons pas si mal que cela. Le personnel de "jour" réalise-t-il la quantité d'éléments qu'il faut mettre en place pour y parvenir sans déranger le reste de l'unité endormie? Tout doit se passer à pas discrets, rapides et efficaces. Notre spécificité professionnelle nocturne est complètement ignorée, englobée dans la routine. N'avons-nous pas l'habitude du travail de nuit? Cela retire tout effort que nous faisons pour allier savoir, professionnalisme, compétence et particularités.

Qui est responsable ?

Nous sommes une population à part, pas "normale" de vivre à contresens des autres et d’y trouver du plaisir. Pourtant, nous sommes là pour assurer une grande partie de la journée d'hôpital. (40%) S'agit-t-il de confiance ou de manque de savoir quand on nous abandonne le bâtiment, fatigué par la dure journée de labeur.

Le relais se passe toujours quelques soient les circonstances

La nuit fait suite, continuité au jour. Les principes de prise en charge, de soins mis en place la nuit seront quelquefois rediscutés dans la journée, leur programmation, leur bien fondé. Ce qui est normal, pour ne pas sombrer dans la routine. De nuit, nous avons également cet esprit critique pour ne pas nuire à la santé du malade. Il faut avouer, à notre corps défendant, que le personnel soignant de garde la nuit ne soit plus souvent référent du service. Le personnel infirmier de nuit est fréquemment polyvalent pour combler les manques, satisfaire les nécessités de présence dans les services. Médicaux et soignants font tous de leurs mieux pour le bien être du malade, mais quelques fois avec des connaissances très minces et ne connaissant pas toujours tous les mystères du dossier. Avons-nous les moyens d'acquérir une connaissance holistique de chaque personne? Le principe étant ce qu’il est, peut-on vraiment en vouloir au personnel de nuit ? Ne font-ils pas au mieux ? Les soignants (jour et nuit) ont en charge de plus en plus de pathologies complexes, de personnes malades et doivent maîtriser toutes les techniques et le nouveau matériel en fonction sur l’établissement. La rareté des lits hospitaliers fait qu’il devient de plus en plus difficile de se faire soigner. Nous recevons des personnes atteintes de pathologies très lourdes ne pouvant plus être traitées à domicile, ce qui augmente considérablement la charge de travail du personnel, tant de jour que de nuit. Nous gardons une impression de poids, de lourdeur réelle qui ralentit notre désir de résister à tout. Nos unités d’hospitalisation désertées par le personnel soignant ne peuvent plus offrir une qualité de soin nécessaire et suffisante à chaque individu malade et plus ou moins dépendant. Le décès d’un patient la nuit, entre autre, peut nous pousser à avoir des attitudes pas très honorables. Cette personne décédée occupe un lit très convoité pour accueillir un autre malade, en attente aux urgences. Il nous faut évoquer la famille éplorée, la veille du corps pour attendrir le médecin urgentiste, lui-même pris entre deux alternatives. Les deux raisonnements se comprennent, mais comment rester éthique et humain, tout en faisant notre travail ? Ne pouvons-nous pas réserver une pièce dans chaque service pour permettre aux familles d’accompagner leur proche jusqu’au bout quelque soit l'heure? Notre responsabilité est engagée jusqu'au départ du patient, qu'il soit vivant ou mort. La chambre mortuaire n’est pas ouverte en permanence et ne peut recevoir les familles entre 17h et 9h, car il faut des personnes référentes et présentes durant l'exposition du corps. Le service de nuit est trop "pauvre" pour offrir une telle permanence.

Réunions diverses

Le personnel soignant de nuit est d’abord prêt à s’investir dans la recherche et commence à participer aux réunions programmées dans la journée. Il faut savoir que ces réunions sont décidées pour permettre à un maximum de soignants de jour à être présent. Cette décision n’est jamais prise à l’encontre de la nuit, mais cette équipe est très souvent oubliée dans le contingent parce qu’absente pour se faire rappeler aux bons souvenirs des agendas.

Le fonctionnement institutionnel est tellement évident pour les personnes travaillant le jour, que la nuit " sait " par osmose, sans se poser de question, sans être informée… L'équipe de nuit n’étant pas toujours là au moment du choix, les tranches horaires sont prises arbitrairement et surtout sans vœu de nuire ou d’exclure qui que ce soit. La preuve en est que lorsqu’une personne travaillant la nuit est présente à la rencontre programmée, les réactions des collègues de jour sont toujours admiratives et très positives devant ce surplus de travail, ce déplacement durant les heures de repos, quelque soit la distance parcourue et le temps pris sur les heures personnelles. Au bout de quelques regroupements de travail ainsi organisés, parfois à des heures matinales, le personnel de nuit s’essouffle, s’épuise et ne peut concilier le travail de nuit et la connaissance le jour. Devons-nous encore venir entre 2 nuits, à 9 heures, car c’est à ce moment que l’équipe journalière est nombreuse ? Devant ce surcroît de fatigue, nous y renonçons.

Que dire des oubliées ?

  • Les réunions programmées sans convier les intéressées ? Le personnel de nuit est-il si transparent que l'on ne songe à le convier ?
  • Le fait de ne pas être présent à quelques réunions nous amène à décrocher du fil conducteur.
  • Sommes-nous informés du contenu des réunions passées sans nous ?
  • Un compte rendu est-il établi pour suivre la progression du travail en cours ?
  • Nos collègues, en oubliant de nous contacter pour nous faire réintégrer les groupes, finissent par penser que la nuit ne veut pas s’investir; ce qui heureusement est totalement faux, mais elle est juste fatiguée d’être oubliée. Comment pouvoir effectuer 10 heures de travail effectif de 21h à 7h, et attendre encore 2 heures de plus pour intégrer une formation technique compliquée ?
  • Existe-t-il beaucoup de soignants capables de revenir sur leur repos, arrêter leur vie extérieure, familiale ou de loisirs pour revenir à une réunion programmée en pleine journée ? Cela peut être de très loin (certaines habitent à plus de 100km), de temps à autre attendre de longs moments pour parfois 30 minutes de rencontre, quelque fois s'entendre dire que cela est annulé ?
  • Serait-il incongru de programmer une réunion à 2 heures du matin ?
  • Peut être que oui, mais pourquoi ?
  • Sommes-nous donc des super soignants la nuit pour avoir de telles capacités ?
  • Nos équipes sont souvent baignées dans la solitude, attendant une reconnaissance d’existence, de savoir, de gratitude.

Bien que motivée et en recherche de savoir, la nuit se retire peu à peu avec beaucoup d’amertume. Chacun restant sur ses positions, par manque de communication, par absence de discussion, on rejoint le stéréotype jour- nuit, avec la suprématie du jour qui "sait" et de la nuit reléguée à la "veille". La réalité est malheureusement loin de cela, mais c'est aussi cela, pour une partie de notre travail, de manière professionnelle. Quel honneur nous avons de veiller au sommeil de nos patients ! Ce n'est pas un exercice si facile que cela: ne pas faire de bruit, ne pas allumer trop de lumières au risque de réveiller toute l'unité (qui aurait beaucoup de mal à retrouver son sommeil), résoudre les problèmes sans provoquer d'effervescence, continuer à vivre nous même sans nous éteindre nous aussi. Rester vaillantes, prêtes au questionnement éthique, médical, légal à la remise en question de nos actes et prescriptions. Tout cela demande un esprit en état de "sur-veille" pour vérifier et assurer le suivi, la continuité des soins. Alors, oui, nous sommes là des veilleuses au sens le plus noble. Tout le monde diurne quitte l’hôpital vers 21h 30. Les soignants de jour peuvent être au courant de problèmes qui pourraient être à l’origine d’insomnies, mais les soucis sont transmis à la nuit qui résoudra… Le temps n’est pas élastique. La charge de travail étant de plus en plus lourde, il est essentiel d’équilibrer équitablement les soins aux malades. Tout cela pour une meilleure répartition et une efficience en soin sur le nycthémère. Mais comment faire comprendre que l'infirmière de nuit est bien souvent seule pour 34 patients, alors que nos collègues du soir sont deux, sectorisées pour la même unité. Cela sous-entend que fréquemment, le personnel de nuit se trouve dans l’obligation de pratiquer des actes, novateurs quelques fois dans l’établissement, mais n’a jamais été informé ou formé à prodiguer ce genre de traitement. La transmission du soir peut être l’occasion de partager le savoir, la marche à suivre, mais non pas par quelqu’un de pressé de partir et ne révélant pas toute la manière de faire. Cela encore sans but de nuire, mais la "chaîne" des soins est fatiguée d’un tel rythme. Ce temps de transmission se rétrécit comme peau de chagrin avec l’arrivée des 35 heures. L’institution ne pouvant embaucher plus de personnel, il faut trouver une solution financière qui va à l’encontre de toute éthique médicale. Ce temps est donc de plus en plus supprimé pour faire place aux transmissions ciblées écrites. Savoir en écrire de moins en moins et cibler de plus en plus au niveau pathologie. Cela veut dire encore une fois que le malade en tant que personne disparaît sous sa pathologie avec prise en charge administrative et mise en croix sur le papier. L'écriture pourra-t-elle remplacer la communication orale de manière complète?

Comment transmettre la vie journalière de 34 patients en 15mn au mieux ?

Le soignant de nuit sait, le soignant de nuit sait tout ! Comment sait-il ? Quels sont les moyens donnés par l’institution pour partager ce savoir ?
La nuit a la science infuse, mais bien confuse et les personnes présentes sont " sensées " tout connaître. Les textes de lois seront là pour nous rafraîchir la mémoire si, par hasard ou fatigue nous étions atteint d'une absence. Nul n'est sensé ignorer la loi dit-on mais comment être soignant et légiste ?

Quelque soit la manière d'œuvrer, nous sommes toujours responsables, à partir du moment où nous prenons en charge le service, le soin. Nous en sommes très conscients et assumons cette part avec beaucoup de rigueur. N'avons-nous pas un petit frisson lorsqu'il s'agit de transfuser des patients en pleine nuit, sans un médecin présent et quelque fois si difficilement joignable ? D'être dans un service hospitalier ne retire pas la gravité de l'acte. Qui est garant de la bonne marche à suivre, de la sécurité du patien t? Quels sont les moyens mis en œuvre par l'institution pour garantir la sécurité aux patients et aux soignants?
Les conditions de travail peuvent être catastrophiques dès notre arrivée à 21heures par manque crucial de personnel soignant malade ou ayant un de ses enfants malade, celui là étant prévu dans l'effectif du soir. Sommes-nous infaillibles, le ressort remonté pour effectuer notre planning programmé? Comment permettre à nos collègues d'assumer leurs charges familiales sans passer pour des "lâcheuses" sans remords ?

Administration

L'administrateur de garde est systématiquement prévenu de ces manques, de ces absences de personnel, mais ne peut rien faire sur le moment ?

Que faire entre 20h 30 et 21h 30 ? Plus tard, il est incorrect de téléphoner chez les soignants qui se reposent enfin. Reste à piocher, dédoubler les personnes présentes dans les services de soins afin de rester dans la légalité sur le papier. La fatigue de ceux qui reviennent sur leur repos, qui embrayent une nuit après leur dure journée de travail (pour raison institutionnelle) est-ce vraiment légale et raisonnable ?
Car à force de téléphoner à 20h 45 à tout le répertoire du personnel de nuit n'étant pas présent ce soir là, ou aux personnes susceptibles de faire des heures supplémentaires, nos cadres finissent par angoisser à l'idée d'entendre des refus bien compréhensibles à des heures si tardives et arrêtent leur chasse au " trésor ". Quelle marge de manœuvre ont-elles? Aucune, puisqu’elles ne peuvent, elles-mêmes, effectuer leur travail. Comment être garant de situations aussi précaires, sans solutions convenables? Comment mener à bien une telle nuit, avec tant d'incertitudes au départ? La nuit commence déjà avec des tensions nerveuses bien évidentes. La double charge incombant au personnel restant et faisant tout en son pouvoir pour boucler le planning en soin est-il reconnu, apprécié et remercié à sa juste valeur ? Cette volonté de tenir s’étiole, se consume au jour le jour pour ne laisser que des cendres.

Liens

Ce rôle propre que nous revendiquons de jour comme de nuit est peut être notre point commun avec nos collègues de jour. La nuit a beaucoup de chance d’avoir ce champ à offrir au malade. Nous ne sommes pas prêt à abandonner ce lien relationnel. Cela ne pourrait-il pas être une base solide et commune pour arriver à un consensus de soin. Nous devons avoir une vision holistique de la personne malade. Avons-nous une même connaissance de l'institution ?

  • ses besoins?
  • ses demandes?
  • celles du personnel?
  • les réponses apportées?
  • les réponses à rechercher, à adapter?
  • les résultats: contentement des patients, des soignants?
  • bilan général.

Où placer le malade dans ce désert ? Il se trouve écartelé entre les SSIPS, les dossiers de soins, les PSG et ses besoins propres et bien réels. Peu de personnes réalisent la dureté du travail de nuit. Plus, peut être, celles qui ont " goûté " plus ou moins longtemps à cette plage horaire dans le nycthémère. Mais elles ne font pas légion.

Lumière, petit détail matérialiste

Notre travail de nuit pose peu de problème de continuité aux personnes chargées de l'entretienNous travaillons la nuit tombée, éclairés à minima avec l'aide d'une lampe de poche pour gêner le moins possible le sommeil du malade. Les malades disent être rassurés le matin, lorsqu'ils ont aperçu nos petites lampes de poches. Ils réalisent que nous passerons, mais en gardien du sommeil. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour ne pas les réveiller et ainsi leur permettre de recharger eux mêmes leurs batteries. Que le malade peut s'énerver lorsqu'il ne peut plus disposer de son autonomie, et devoir se passer de lumière au-dessus de son chevet, soit que le néon soit hors d'usage ou par manque de "ficelle" permettant de gérer son éclairage ! Il peut arriver que la "roue de secours", c'est à dire la lumière de la salle de bain ne soit pas elle aussi en état de marche. On peut imaginer l'agacement de cette personne !

Entraide

Le service de nuit, quel que soit l’endroit en France, se caractérise par une grande solidarité transversale et une entraide, généralement. C’est ce qui lui permet de tenir sur la longévité. Nous pouvons également nous appuyer sur une pyramide des âges. Les anciennes diplômées peuvent s’informer de certaines nouvelles méthodes ou techniques auprès des jeunes travaillant depuis peu, et inversement, nous pratiquons le compagnonnage vers nos jeunes recrues pour partager nos savoirs. Si depuis un certain temps, une personne n’a pu participer à un renouvellement des connaissances, ne doit-elle pas obligatoirement partir en apprentissage ?

Il s’agit de la bonne marche de l’institution. Nos aides soignants, en poste depuis plus longtemps que nous, savent nous guider dans les habitudes du service, les rangements, le savoir-faire. Nous ne les remercions jamais assez de nous aider d'être là tout simplement pour le malade et "l'équipe". Ils sont les "pro" du prendre soin des patients et des soignants. Ces personnes d'une grande richesse de cœur, ont besoin comme tout un chacun de se sentir existées et reconnues à leur juste valeur, d'autant que la partie de leur travail touche l'être humain dans sa partie la plus délicate, la plus intime. Conserver l'hygiène et la propreté d'une personne n'est pas une œuvre si facile que cela.

Un poste d’infirmière de renfort

Cette IDE, itinérante dans l’institution, doit être capable de prendre en charge un soin technique ou relationnel quelque soit le lieu. Reliée par un bip, sa nuit peut être occupée par diverses actions autant médicales qu’administratives, de soins, d’écoute, de soutien des malades ou des équipes en souffrance, d’information, de transmission et de discrétion. La création de cette fonction a été réalisée à partir d’un besoin criant en personnel de nuit. Connaissances, compétences, créativité, responsabilité, dynamisme, discrétion, écoute, transmissions, polyvalence sont des qualificatifs qui peuvent adhérer à ce travail.

En pleine création, la mobilité donne la possibilité de continuer à travailler auprès du malade et d’essayer d’améliorer aussi bien la prise en charge du patient que le travail des soignants. C’était sans compter sur les habitudes solitaires et autonomes des collègues. Nombreuses ont mis beaucoup de temps à appeler à l’aide pour diverses raisons :

  • peur d’être jugé « incapable »,
  • peur du regard extérieur,
  • peur de passer pour une fainéante, une mal organisée,
  • peur que le malade préfère un autre soignant…

Ce poste transversal, "hors norme" dans l’institution était parfaitement défini sur le papier avec un profil et des compétences à avoir ou à acquérir. Mais aux yeux des collègues, cette IDE semblait sortir du lot et du fait de leur bureau commun avec les cadres de nuit, elle paraissait assimilée à une surveillante et non à une infirmière. Beaucoup de crainte au début laissait les soignants de nuit dans leur solitude. Certaines énonçaient leur peur de nous déranger et donc n’appelaient pas malgré le travail de "titan" dans l’unité. Cela commence à disparaître peu à peu. Cette activité ponctuelle est une vraie source de réflexion, une recherche constante de sécurité, de qualité. L’infirmière de renfort est une roue de secours en cas de "crevaison" aussi bien pour le patient, sa famille, les collègues et l’institution. La transversalité permet de transmettre toutes les nouveautés et informations, afin que le personnel de nuit puisse évoluer au même titre que nos collègues travaillant le jour.

Ce savoir est une richesse accumulée au fil des ans. Chaque service a ses habitudes, ses rangements, ses protocoles. Pas d’uniformisation malgré le fait que nous soyons dans la même entreprise. Cette difficulté s’abolit avec le temps pour les personnes curieuses et volontaires. Pour une meilleure gestion du stress, il faut apprivoiser les lieux, partir à leur découverte, essayer de mémoriser chaque placard et son contenu. Cette gymnastique cérébrale est essentielle à notre survie dans le groupe. Il s’agit d’acquérir rapidité et efficacité dans tous les services. L’infirmière de renfort est confrontée à ce "sport" plusieurs fois dans sa nuit. Chaque intervention dans les étages est différente ; cela demande de s’adapter à chacun des appels et de se prendre soi-même en charge pour ne pas être un frein pour la collègue qui a appelé au secours. Si cette dernière doit nous sortir le matériel, nous aider à accomplir le soin, quelle serait notre utilité et son gain ? Nous ne connaissons pas tout et ne sommes pas toujours informés des changements de rangement, mais devons toujours faire en sorte de les découvrir. Les moments de "creux " dans la nuit sont favorables à cette découverte. Certaines ont encore des difficultés à faire appel à notre service. Cela nous laisse quelques fois des heures " d’inactivité " dans l’institution. Pour utiliser au mieux la transversalité, ce temps disponible est utilisé non pour le malade directement, mais pour l’établissement en contrôlant les pharmacies, leurs péremptions, le matériel.

Ce travail de fourmi n’est pas toujours effectué car il demande de pouvoir s’arrêter quelques instants, et souvent. Notre tâche terminée dans un service est recommencée dans un autre. Nous avons ainsi vérifié toutes les pharmacies des services hormis les unités autonomes : urgences, réanimation, psychiatrie. La matériovigilance fait partie des obligations de l’IDE. Pour rester un renfort pour tous, ce travail se fait peu à peu dans toutes les unités, au fur et à mesure de nos pérégrinations. Le regard des collègues est parfois amusant. Souvent, certaines ont une fâcheuse tendance à oublier cette tâche un peu rébarbative, pas très gratifiante, mais essentielle pour la sécurité du patient et émettent leur étonnement à nous voir effectuer ce travail.

Ce poste est aussi très utile pour la prise en charge des personnes en fin de vie. En lien étroit avec l’Emasp, cette continuité des soins est un gage de qualité et de sécurité pour le patient. Nous travaillons ensemble (renfort et équipe de nuit en place) et accompagnons la personne et sa famille quand elle est présente. Ce travail à plusieurs allège un peu la souffrance du soignant de nuit qui apporte toute sa compétence durant ces moments difficiles. La transversalité permet également de découvrir les nouveaux protocoles, matériels, les changements dans les méthodes de travail. Ce passage au travers de l’institution permet d’observer, d’entendre et d’objectiver des manques, des souffrances et de pouvoir les transmettre le lendemain au cadre référent de mon poste. Il permet d’accueillir et de recueillir les informations d’un nouvel arrivé la nuit. Ce semblant de liberté oblige à des résultats, à ne pas s’endormir et toujours donner le meilleur de soi-même à chaque personne rencontrée la nuit, que ce soit un malade, un soignant, une famille. L’éventail des activités est si vaste, qu’il est impossible de vivre sur ses acquis. Les recherches, formations en tout genre sont la préoccupation de cet agent. Le questionnement fait partie intégrante de sa fonction.

Nouveau matériel

L’institution se dote de matériel de plus en plus sophistiqué et performant. Ce matériel devrait effectivement apporter qualité et sécurité dans les soins et le travail. Des maintenances sont-elles prévues pour chaque équipe pour diffuser la pratique complète de ces nouveaux outils ?

Pour exemple fréquent dans ces cas de démonstration, un malade sonne pour un soin urgent ou une famille angoissée de quitter son proche pour la nuit veut nous laisser les dernières consignes. Malades et familles sont nos interlocuteurs privilégiés. Nous sommes présents pour eux et avec eux quelque soient les rendez-vous pris avec les représentants. Qui peut nous garantir la nuit que nous effectuons un travail correctement si nous ne connaissons pas la bonne marche d'un appareil sophistiqué, mis à part notre propre regard ? S’il arrive un incident à 2 heures du matin par exemple avec la programmation d’une machine, aurons-nous un technicien prêt à nous dépanner afin que le malade reçoive son soin quelque soit l’heure ? Est-ce une garantie que nous pouvons sincèrement donner à la personne hospitalisée ?

Les malades et les soins palliatifs

Les malades entament leur "voyage au bout de la nuit", avec embarquement immédiat. Ils prennent tous un billet aller-retour. Ont-ils droit à la 1 ère ou 2 ème classe ? Normalement, chez la plupart des personnes, la nuit permet de se détendre, de recharger ses batteries pour le lendemain. Etre en mesure d’assumer un nouveau jour à venir. Nous attendons ce moment avec plaisir et impatience pour nous retrouver avec nous même. La nuit nous permet de nous évader dans le monde onirique ou de revivre en sens inverse notre journée, riche en évènements, échanges, rencontres. Cette nuit si ressourçante pour nous, peut devenir un vrai cauchemar pour le malade. Le silence, la solitude sources de visions angoissantes le forcent à se remémorer des instants difficiles. Il ne s’agit plus d’une aventure mais d’un retour sur soi-même. Pour nous, dit en bonne santé, notre lit, lieu de repos est frais. Nous avons plaisir à nous enfoncer dans des draps bien tirés. Qu’en est-il du malade ?

Son horizon reste son lit réchauffé par son corps de plus en plus fatigué, moite. Le matelas n’offre plus l’élasticité, le rebond si agréable. Le malade a le temps de faire connaissance avec chaque ressort. Les plis accumulés au cours de la journée ne feraient pas le bonheur d’une repasseuse. Chacun d’eux aura laissé son empreinte sur le corps endolori du patient. Ces fronces peuvent être à l’origine de blessures, d’usure de la peau. Bien que le climat soit varié et changeant à l’extérieur, le temps suspend son air à l’hôpital. Tout reste identique, de jour comme de nuit. Notre travail, comme professionnels du soin, sera d’installer le plus confortablement le malade. Cela peut prendre du temps pour trouver la meilleure position, celle qui lui permettra de trouver un peu de bien être. Il s’agit d’un soin du corps pour le mettre dans la meilleure condition possible pour accueillir le sommeil. Comment réagissons-nous lorsque nous passons une nuit blanche?

Malgré notre "bonne santé" nous ne sommes pas "frais et dispos" le matin. Nous traînons un manque d'énergie, une lassitude toute la journée. Ce désir de passer une nuit reposante et ressourçante est également celui des patients hospitalisés et les personnes en fin de vie l’espèrent au plus profond d’eux-mêmes. Leurs journées s’étirent en longueur, interminables parfois. Elles sont parsemées d’émotion, de choc, de fatigue, d’espoir pour les jours à venir, de douleur, de passages divers. Ces patients peuvent perdre patience si le sommeil ne les cueille pas à la tombée de la nuit. Ce monde du silence qui n’en est pas un, est peuplé de bruits plus ou moins assourdis, de paroles, de rires, de larmes, de vie. La lumière se fait tamisée, artificielle. Que leur reste t il pour recharger eux aussi leurs batteries déjà bien faibles ?

Ils retournent leurs pensées. Leurs angoisses vont crescendo. Le futur se fait incertain, source de peur, d’anxiété. Cette nuit sera l’inauguration d’une longue série de cogitations sans fin. Où trouver des tisanes et autres produits naturels qui peuvent être générateurs de sommeil ? Il y a quelques 20 ans, les malades pouvaient avoir une boisson chaude le soir, au coucher. Les somnifères n’étaient pas à la mode à cette époque. Certains refusent les sédatifs car le compte à rebours temps étant enclenché, ils ne veulent pas que ces précieuses minutes leur soient " volées ". Le métronome égrène les secondes inlassablement. Certes, pour nous, il n’est pas dramatique de passer une nuit blanche. On se rattrapera demain, mais pour eux, cela devient une perte de force, d’énergie. Les aider, ne veut pas dire les traiter artificiellement. Ils absorbent déjà tant de traitement. Ces malades visités par l’EMASP le jour ont entamé, pour la plupart, un questionnement qui peut occuper leur solitude. La connaissance de leur existence dans nos lits, leur pathologie et leur problématique qui nous sont transmises permet d’aborder ces personnes et de les connaître un peu. Leur offrir une présence, même courte, en début de nuit est un véritable anesthésique pour quelques-uns. Ils savent que la nuit à venir ne sera pas synonyme de solitude. L’équipe en place pourra écouter la douleur existentielle de ces personnes, mais combien de temps dispose-t-elle pour parler?

Combien de fois sommes-nous passées en début de soirée et le fait de les laisser parler, de les écouter de manière authentique, leur a permis ensuite de dormir paisiblement ? A la fin de notre entrevue, le plus gros cadeau que nous recevons, accompagné d’un regard profond, sincère et chaleureux : "merci de m’avoir écouté". Dans notre nuit froide et sombre, nous voilà réchauffée par des paroles plus que vivantes.

Des passages successifs auprès du patient nous informe de la qualité du sommeil qui a suivi. La journée n’en sera que meilleure, si le repos a été suffisamment long et de qualité. Qui a songé à la chance que nous avons de recevoir tant d'héritage de vies se finissant? N'est ce pas un cadeau suprême pour nous qui sommes présents de pouvoir recueillir tout ce patrimoine vital qui nous nourri l'esprit et nous porte à être présent auprès d'eux ? Grâce à toutes ces personnes qui sont nos professeurs, nos maîtres d'éthique, de vie profonde et fragile nous avançons peu à peu sur le chemin de l'existence. Ce sentier nocturne est balisé largement par ces malades dit "en fin de vie", mais tellement lumineux, leur existence éclaire la noirceur de la nuit la plus profonde. Nous sommes héritiers de vraies richesses, du sens de notre propre vie. Ne leur devons-nous pas une reconnaissance sans limite ? Nous ne demandons pourtant pas la lune…

Recueillement

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille,
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ;

viens par ici, Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce nuit qui marche.

Charles Baudelaire
Les fleurs du mal

Brigitte HERISSON
infirmière transversale de nuit
au centre hospitalier de Villeneuve Saint Georges (94)





 
    


Source : infirmiers.com