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Le risque d'épuisement professionnel chez les infirmières en soins à domicile

Publié le 29/03/2010

Les facteurs de survenue du burn out chez des infirmières en soins à domicile ont été étudiés lors d'une recherche en 20081. Il s'agissait de comparer, face à ce risque psychosocial, la situation d'infirmières salariées d’hospitalisation à domicile à celle d'infirmières de statut libéral.

L'hypothèse de départ de cette étude suggérait que les conditions spécifiques d’exercice de ces professionnelles pouvaient, du fait de leur charge de travail présumée et de leur isolement (comparé aux infirmières hospitalières), les rendre sujettes au développement d'un syndrome d’épuisement professionnel. Une question fut également explorée dans l'étude : « Quelle catégorie d'infirmières entre les libérales et les infirmières d'HAD était la plus à risque face au burn out ? »

L'HAD, un exercice infirmier différent de l'exercice libéral

L'étude montre que la situation de travail entre les infirmières salariées en hospitalisation à domicile (HAD) et les infirmières libérales est différente. En effet, l’infirmière d’HAD prend en charge des pathologies dont le pronostic vital est souvent posé. De plus, ces infirmières pratiquent des soins à domicile techniques et plus complexes que leurs pairs de statut libéral.

La charge de travail est également différente, en effet, l’infirmière d’HAD assure la prise en charge de 8 à 10 patients dans un créneau horaire s'étalant de 8 h à 14 h, alors que, dans à peu près le même laps de temps, l’infirmière libérale s’occupe de 25 à 30 patients.

L'étude montre également qu’une infirmière salariée passe en moyenne 20 minutes chez un patient pour 15 minutes de déplacement entre chaque patient, alors qu’une infirmière libérale passe 9 minutes chez un patient pour 5 minutes de déplacement. Les échanges avec le patient et son entourage étant logiquement plus nombreux pendant 20 minutes que pendant 9, l'étude conclut que la “charge mentale” que peut représenter l’intervention de l’infirmière salariée est plus importante.

De surcroît, la santé des patients étant plus dégradée en HAD, les tensions liées à la technicité des soins, à la souffrance et à l’angoisse latente du patient et de son entourage seraient plus présentes.

Les infirmières d'HAD davantage stressées

Ainsi, l'étude montre que l’infirmière salariée, malgré des conditions de travail jugées satisfaisantes et bien qu'elle voit trois à quatre fois moins de patients qu’une infirmière libérale, vivrait davantage de stress dans son activité. Ainsi, quand l’utilisation répétée de sa part, de mécanismes adaptatifs, de stratégies de défense et l’utilisation des ressources ne suffisent plus, l’infirmière salariée, susceptible de déclencher un burn out, utilise une stratégie radicale “de rupture” avec son poste par une démission.

Cette méthode est confirmée par une étude2 montrant que les infirmières utilisent souvent la démission comme réponse au sentiment d’usure. Cette stratégie est facilitée par la situation favorable de l'emploi pour cette profession.

Enfin, contrairement aux infirmières d’HAD, les infirmières libérales peuvent “refuser” de prendre en charge des patients trop difficiles. Les infirmières libérales utilisent donc une stratégie de coping3 efficace. Elles peuvent également utiliser comme ressource les réseaux, notamment pour les patients en soins palliatifs ; ce qui leur permet de bénéficier à tout moment de l'année d'un appui médical, d'un soutien psychologique et d'un accès à des formations gratuites propices aux rencontres avec leurs pairs.

Le burn out, un décalage entre la personne et son environnement de travail

Un modèle  reconnu du burn out : celui de Maslach4 met l’accent sur le décalage entre la personne et son environnement de travail. Sont concernés : la charge de travail, le contrôle de la tâche et les conflits de rôles, la reconnaissance matérielle et morale, l’entourage humain tant hiérarchique que collégial, l’équité et l’éthique.

Les données de l'étude montrent que l’environnement de travail des infirmières d’HAD est moins protecteur vis-à-vis du burn out que celui des infirmières libérales.

En effet :

  • chez les infirmières d’HAD, le contrôle de la tâche est inexistant car elles ne choisissent pas leurs patients, même si la charge de travail est moindre que celles des infirmières libérales ;
  • le salaire des infirmières d’HAD est inférieur de plus de la moitié5 à celui des libérales ;
  • la hiérarchie peut être, selon les circonstances, un soutien pour les infirmières salariées, mais aussi une source de stress si elle est déficiente ;
  • l’entourage humain est une ressource pour l’infirmière d’HAD mais les pairs ne sont rencontrés qu’une seule fois par semaine, même s’ils sont joignables à tout moment par téléphone. Les infirmières libérales travaillant à plusieurs en cabinet peuvent obtenir, quant à elles, le soutien de leurs collègues facilement. Notons que ce soutien est plus difficile pour les infirmières libérales travaillant seules.
  • les infirmières d'HAD sont plus confrontées aux prises en charge, qu'elles jugent « lourdes » et stressantes, c'est-à-dire celles des patients en fin de vie. De plus, elles collaborent souvent avec des médecins traitants jugés souvent peu disponibles et peu formés aux soins palliatifs.
  • sur le plan de la relation d'aide, face aux questions des patients et leur famille, les infirmières salariées en HAD semblent être en difficulté pour parler de l'évolution de la maladie avec les patients et leurs familles. Elles sont souvent confrontées à ces situations à cause de leur activité importante en cancérologie et soins palliatifs.

L'apport des réseaux

Cette étude montre que les infirmières libérales qui collaborent avec le réseau de soins palliatifs sont moins sujettes au burn out que les infirmières qui travaillent sans le réseau. Même si les réseaux de soins palliatifs ont signé une convention de collaboration avec l’HAD, ils pourraient être, selon les infirmières rencontrées, davantage sollicités par celle-ci. Les infirmières salariées souhaiteraient un contact plus facile entre l’hôpital et les réseaux ainsi qu'une intervention plus fréquente de leur part.

L'impact du soutien psychologique aux patients

La prise en charge des soins palliatifs reste perfectible pour les infirmières salariées en HAD, notamment parce qu’elles jugent insuffisant le nombre des psychologues présents dans leur structure. En effet, la structure d’HAD étudiée dispose d’1,5 poste de psychologue à temps plein pour 350 patients pris en charge tandis que le réseau, qui a été consulté pour l'étude, compte 1 psychologue pour 30 patients. La disponibilité du psychologue du réseau, pour le soutien aux patients mais également l’écoute des infirmières libérales, est donc bien plus grande.

En conclusion

Alors que l’impact du burn out au sein de la profession infirmière n’est plus à démontrer, la catégorie des infirmières en soins à domicile ne paraît pas non plus à l’abri de ce syndrome.
De plus, le secteur des soins à domicile est en pleine mutation. Il voit se développer sur le terrain, au côté des infirmières libérales, des acteurs comme les structures d’HAD et les réseaux de soins.

Le développement de ces acteurs répond en réalité à la réorganisation de la carte sanitaire qui favorise l’augmentation des soins en ambulatoire notamment en cancérologie, vise à des durées d’hospitalisation de plus en plus courte et par conséquent renvoie à leur domicile de plus en plus de patients porteurs de pathologies graves. De ce fait, les soins à domicile se complexifient et voient leur volume augmenter.

Face à cette situation nouvelle, certains syndicats professionnels d’infirmières libérales6 relèvent que les missions attitrées imposent de fait aux infirmières libérales une obligation de continuité et de permanence des soins, dans le cadre d’une mission de service public, avec de plus en plus de responsabilités alors qu’elles travaillent seules.

Pour répondre à cette nouvelle donne, l'étude constate que les infirmières libérales se regroupent de plus en plus en cabinet, collaborent ponctuellement avec les structures d’HAD et sollicitent de plus en plus les réseaux pour les soutenir dans leur activité auprès des patients lourds.

Toutefois, un certain nombre de professionnels, plutôt âgés, reste à l’écart de cette mutation en refusant la collaboration avec leurs pairs et les nouvelles structures de soins. De ce fait, ils refusent tous soins lourds et continuent de fonctionner selon un mode « traditionnel »,  même si à terme ils devraient être de moins en moins nombreux. A priori moins accessibles pour une enquête, la réalité de leur niveau de stress reste encore à évaluer en posant l'hypothèse d'un risque élevé face au burn out.

La situation des infirmières salariées en HAD, quant à elle, pourrait être grandement améliorée face aux stresseurs, si leurs structures collaboraient plus activement avec les réseaux de soins palliatifs afin de leur apporter l’expertise médicale qui leur manque en soins palliatifs, faute de médecins libéraux suffisamment formés.

Le soutien psychologique en direction des patients et des soignants devrait être également développé dans ces structures, par le recrutement de psychologues en nombre. Ces psychologues permettraient d’améliorer la qualité de la prise en charge psychosociale des malades et de leur famille à partir du même modèle que les réseaux de soins palliatifs ainsi que de protéger le personnel soignant salarié en soins à domicile de la survenue du burn out.

Notes

  1. Macrez P. Les facteurs d'épuisement professionnel chez les infirmières en soins à domicile. Mémoire de recherche de Master 1, spécialité “Psychologie clinique, psychopathologie et psychothérapie”. Université Paris VIII, 2008.
  2. Arslan L. Infirmière et si c’était à refaire ? Seli Arslan, 2002.
  3. Le terme coping désigne le processus par lequel l’individu cherche à s’adapter à une situation problématique, en faisant appel à ses ressources personnelles ou à des aides extérieures.
  4. Maslach C., Schaufeli W.B., Leiter M.P. Job Burnout. Annual Review of Psychology 2001, 52 : 397-422.
  5. Moyenne de 4 300 euros bruts pour une infirmière libérale et de 2 100 euros bruts pour une infirmière salariée d'HAD. Source : Vibrod A. Douquet F. Le métier d’infirmière libérale, Série Etudes, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques 2006, 58 (2).
  6. Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNILL)

Consulter le dossier Hospitalisation à domicile

Pascal MACREZ consultant-formateur, Association ALTELIS, Brétigny sur orge. Rédacteur Infirmiers.com pascal.macrez@orange.fr


Source : infirmiers.com