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Le juge, l'avocat, le psychiatre... et le patient

Publié le 24/11/2011

Avocat à La Rochelle, Dominique Jourdain a été désigné pour assurer le service des «gardes à vue psychiatriques». Il s'oppose vivement à la poursuite d'une « expérience » qu'il juge « calamiteuse » et partage avec nous son argument.

J'ai déjà dénoncé la fausse bonne idée que représente le simulacre de débat contradictoire que met en scène la Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge applicable depuis le 1er août dernier. Cette loi systématise en effet l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) pour valider les hospitalisations d'office, les hospitalisations sans le consentement du patient.

Le système mis en place (que de précédents textes avaient déjà imaginé mais sans les ritualiser avec un caractère automatique) a suscité l'opposition de l'immense majorité des soignants. Seuls se sont félicités quelques notables du Barreau, saluant « la grandeur d'un métier qui permet de porter la parole dont serait privé celui que la maladie a rendu vulnérable »...

Sauf que, dans la pratique, faire intervenir le JLD pour valider une « détention » en restaurant « la parole à la défense » n'est ni plus ni moins que faire du psychiatre un agent de l'administration pénitentiaire et du patient celui qui a transgressé la règle, la loi, l'ordre, c'est à dire un présumé délinquant.

L'hospitalisation est exclusivement un acte de soin, alors quid de la place de l'avocat?

Respecter le choix du patient

Rappelons d'abord que l'intervention de ce dernier n'est nullement « obligatoire », à la différence de ce qui se passe devant le Juge des Enfants ou de ce qui se passait devant le Tribunal Permanent des Forces Armées.

La loi promulguée en juillet 2011, au contraire, a rappelé que la faculté d'être assisté(e) devait être laissé au choix de la personne : elle peut faire appel à « son » avocat, elle peut aussi demander qu'il lui en soit désigné un. Et dans cette dernière hypothèse, le coût de l'intervention peut être à sa charge si ses revenus sont supérieurs au plafond de l'aide juridictionnelle. C'est-à-dire qu'il faut l'informer de ce droit, qui est une faculté seulement ; et l'informer avec loyauté, cette formalité étant nécessairement de la responsabilité des soignants qui n'en ont pas forcément le loisir.

Or, dans la majorité des cas, les Barreaux désignent des avocats qui vont intervenir sans discerner au « profit » de chaque patient. Et lesdits patients seront « entendus » au sens policier du terme, à la queue leu leu juste avant « l'audience »... Les avocats qui, dans un grand nombre de cas, vont examiner l'ensemble des dossiers prévus pour être évoqués n'y auront pas été invités au préalable par le principal intéressé.

Dès lors, l'avocat porte la parole de qui ? D'un client qui n'a rien demandé et dont les propos sont parfois dans le « hors sens ». Alors quelle parole ? Quel respect du sujet ?
Et le JLD, qui n'a pas le choix quant à lui et doit l'entendre, n'est pas chargé de juger l'infortuné patient, ni ses actes. Il est chargé de quoi au juste ? Personne n'en sait rien, au fond. Puisque son intervention n'est pas destinée à vérifier la légalité de « l'internement » (laquelle relève du juge administratif), ni la voie de fait qui était déjà susceptible avant la loi d'être dénoncée. Et si un abus venait à être découvert, on se demande un peu dans quelles circonstances puisque, par définition, quand il y a complot, il y a mise en scène et dissimulation. Le JLD n'a alors pas compétence pour statuer sur une éventuelle réparation.

Alors pourquoi avoir cédé si vite aux prétendues exigences du Conseil Constitutionnel ?

« Considérer que l'avocat est capable de parler pour quelqu'un qui ne lui a rien demandé, qui est hospitalisé à la suite souvent d'une tentative de suicide, n'est qu'une mystification ! »

Respecter un sujet qui a des droits

Il suffisait de rectifier les dispositions prêtant le flanc à critique. Sans pour autant franchir le pas d'assimiler l'hospitalisation sans consentement à la mise en détention. Le recours au JLD, qui existait déjà, pouvait être facilité par une notification systématique des droits à la personne concernée.

Qu'on ne vienne pas dire que le système peut prévenir ou faire apparaître des abus. On n'est plus au temps de Camille Claudel et les contrôles existent. Si des dérives sont toujours possibles, ce simulacre de justice ne fera que les vitrifier, les escamoter.

Ce système qui ignore la notion de sujet et le respect qui s'y attache, n'a été conçu que pour répondre au besoin sécuritaire d'une politique qui dénature la mission des acteurs du soin psychiatrique. Il est totalement dépourvu de lisibilité et ne fait que compliquer la tâche des soignants, créant des contraintes supplémentaires qui inciteront sans doute les psychiatres à renvoyer « dans leur foyer », de manière prématurée, des patients qui gagneraient à poursuivre leurs soins.

Un système qui pèsera également lourdement sur l'emploi du temps d'avocats sans que l'équitable rémunération ne soit envisagée. Il faut donc le dénoncer et y mettre fin.

On m'a objecté un argument de texte : Article R3211-24 - « Devant le juge des libertés et de la détention et le premier président de la cour d'appel, la représentation par avocat ou par avoué n'est pas obligatoire, sous réserve des cas où le juge décide, au vu de l'avis médical prévu au deuxième alinéa de l'article L. 3211-12-2 de ne pas entendre la personne qui fait l'objet de soins » ; Et alors ? Lorsque la personne ne peut être entendue par le Juge, elle ne peut être représentée que si elle en a exprimé le désir, et dans l'intention de faire passer un message ! Considérer que l'avocat est capable de parler pour quelqu'un qui ne lui a rien demandé, qui est hospitalisé à la suite souvent d'une tentative de suicide, n'est qu'une mystification ! Si le patient est hors d'état d'être entendu par le Juge, il est probablement aussi hors d'état d'être entendu par un avocat. L'avocat ne pouvant pousser l'outrecuidance jusqu'à vérifier le diagnostic du psychiatre en allant rencontrer la personne contre l'avis des soignants !

Dominique JOURDAIN
Avocat, La Rochelle


Source : infirmiers.com