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"La voix de cette femme en train de mourir doit tous nous interpeller !"

Publié le 09/05/2018
tweet buzyn

tweet buzyn

mort de la jeune Naomi Strasbourg

mort de la jeune Naomi Strasbourg

L’enregistrement a fait le tour des réseaux sociaux. On y entend une jeune femme demandant péniblement de l’aide à deux opératrices du service d’urgence de l'hôpital universitaire de Strasbourg. Au lieu de prendre son appel au sérieux, celles-ci se moquent d’elle. La jeune femme décédera quelques heures plus tard. Si les faits datent de décembre 2017, l’attitude des secours face à la détresse de la jeune femme fait aujourd’hui polémique.

Crédit photo - Le Parisien - Les réactions se succèdent suite à la mort de la jeune Naomi à Strasbourg.

Mise à jour le 11 mai- Lors d'une conférence de presse qui s'est déroulée le jeudi 10 mai, la famille de Naomi Musenga a demandé à ce que justice soit faite. En effet, le père de la jeune femme a affirmé avoir été baladé au sujet de la mort de sa fille et évoque un manque d'humanité total. Autre point qui pose question, l'autopsie de Naomi a eu lieu 112h après sa mort, or, le rapport du médecin légiste parle d'une putréfaction avancée du corps. Pourquoi on n'a pas répondu à son appel et pourquoi l'autopsie n'a pas été faite à temps ? Pourquoi on a laissé le corps de ma fille en putréfaction ?, se demande le père de Naomi. Pour les proches, l'hôpital est responsable et ils refusent de faire de l'opératrice un bouc émissaire. Selon, une source syndicale de l'hôpital de Strasbourg, l'opératrice en question est effondrée et a pris conscience de la gravité de ce qu'elle a fait. Si la faute professionnelle n'est pas remise en cause, selon différentes sources syndicales les agents traitent entre 2000 et 3000 appels lors des fêtes de fin d'année. La fatigue professionnelle en cause ? Ce n'est pas l'avis du directeur général de l'établissement, Christophe Gautier, qui a soutenu que l'opératrice en était à son deuxième jour de travail consécutif après un congé annuel de quinze jours. En parallèle, depuis le début de l'affaire, le Samu de Strasbourg reçoit des appels très agressifs. De son côté, Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, réunira lundi à 14h30 les représentants professionnels et syndicaux des médecins urgentistes afin d’évoquer les conditions inacceptables du décès de la jeune femme et les améliorations nécessaires à apporter au fonctionnement du SAMU. 

La ministre recevra des propositions des organisations professionnelles et syndicales de médecins urgentistes d'ici le 1er juillet 2018

Rappel des faits

Le décès de Naomi Musenga, 22 ans, quelques heures seulement après qu’elle ait contacté en vain le SAMU du HUS de Strasbourg suscite l’émotion et surtout soulève bien des interrogations. L’enregistrement de la conversation entre elle et les deux opératrices est épouvantable, on les entend railler la jeune femme qui semble pourtant très affaiblie. Face à l’ampleur de la polémique, la ministre des Solidarités et de la Santé ainsi que les hôpitaux universitaires de Strasbourg ont diligenté une enquête administrative pour faire la lumière sur cette affaire.

Oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde

"Oui ben, vous appelez un médecin, hein, d'accord ?"

Le 29 décembre 2017, vers 11 h, Naomi Musenga appelle le 15 pour se plaindre de fortes douleurs abdominales. Alors que la jeune femme, apparemment à bout de force demande de l’aide, son interlocutrice lui répond : Bon si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche. Naomi tente de lui expliquer sa situation : J'ai très mal, je vais mourir, et ne reçoit comme réponse que : oui, vous allez mourir, certainement, un jour, comme tout le monde. L’interlocutrice lui conseille à plusieurs reprises d’appeler SOS médecins soulignant, ça je ne peux pas le faire à votre place avant de raccrocher.

La jeune femme parvient finalement à joindre SOS médecins. Ceux-ci décident de faire intervenir du SAMU mais l’état de Naomi se dégrade lors de son transfert vers l’hôpital. Elle meurt à la suite d’un arrêt cardiaque à 17h30, c’est-à-dire moins de sept heures après avoir appelé les urgences. L’autopsie révélera que le décès est dû à une défaillance multiviscérale sur choc hémorragique sans que l’on puisse en définir précisément les causes, d’après le rapport que s’est procuré le Monde.

Face à cette situation, la famille a décidé de réagir. Elle a contacté le site Heb’di qui publie les résultats de son enquête le 27 avril après avoir réussie à obtenir l’enregistrement de la conversation. En écoutant la bande, les proches sont consternés. Sa mère, Bablyne Musenga, aide-soignante, a raconté à France Bleu le choc qu’elle a ressenti : Je me demande pourquoi ils ont fait ça. Est-ce que le Samu est toujours à sa place ou est-ce que c'est SOS médecins qui devient le Samu ou encore les pompiers ?. Pour sa sœur interrogée par LCINaomi, en tant qu’être humain avait le droit d’être secourue. Cela ne doit plus se reproduire. Celle-ci a écrit au procureur afin de déposer plainte.

Les opératrices n’auraient pas suivi la procédure

Pour Patrick Pelloux, médecin urgentiste et président de l'AMUF (association des médecins urgentistes de France) : cet enregistrement est épouvantable. Je ne peux que penser à la famille de cette jeune femme, à ses proches. Bien sûr, il faut une enquête judiciaire pour faire toute la lumière. Mais, au-delà, la voix de cette femme en train de mourir doit tous nous interpeller, s’exclame-t-il lors de son interview au Parisien.

François Braun, président de Samu Urgences Frances (SUDF), accuse les deux répondantes de ne pas avoir suivi la procédure en vigueur sur France Info et réclame un personnel mieux formé. En effet, selon lui, la décision de rediriger la jeune femme vers SOS médecin ne revenait pas à l’opératrice mais à un médecin régulateur ! Si pour lui, les propos tenus ne sont pas acceptablesce qui l’est encore moins, c'est que normalement tout appel est transmis à un médecin régulateur. C'est ce médecin qui prend les décisions suite à un interrogatoire médical et dans ce cas l'appel n'a pas été transmis au médecin. Ce n'est absolument pas la procédure. Ce n'est absolument pas ce que l'on apprend à nos opératrices. On ne demande pas aux gens de rappeler, on le fait nous-même et on transmet l'appel éventuellement à un autre service.

Cela n'est évidemment pas notre conception de ce qu'est un service public quel qu'il soit. Benjamin Griveaux, porte-parole du Gouvernement

Un dysfonctionnement des urgences

Pour Patrick Pelloux si on ne peut être qu’effaré en entendant le dialogue, celui-ci démontre à quel point les urgences françaises sont à bout. On voit depuis vingt ans flamber les difficultés dans les Samu de France. En 1988, il y avait 8 millions de passages par an aux urgences. Aujourd’hui, c’est 21 millions. Les appels au Samu ont, dans le même temps, plus que triplé. En clair, un Français sur trois passe chaque année par lui, mais nous n’avons pas redimensionné les centres d’appel pour répondre à l’ampleur de la demande. Résultat : nous devenons de véritables call centers.

Le manque de personnels et son épuisement peuvent entraîner des erreurs d’évaluation. Depuis combien de temps l’opératrice travaillait-elle, combien d’appels avait-elle pris dans sa journée ? Dans les centres, il faut jongler entre les appels « sérieux » et ceux qui ne le sont pas. On a des soignants épuisés, stressés, en burn-out, qui deviennent détachés de la souffrance du patient. Quand vous avez 100 appels pour une douleur thoracique, parfois, sur le 101e, vous flanchez. L’urgentiste en appelle directement à Agnès Buzyn afin d’engager un travail de réflexion. C’est un appel au secours dans tous les sens du terme. Le drame de Strasbourg doit susciter une prise de conscience.

Ainsi, via un communiqué commun, les deux organisations de médecins urgentistes (l’AMUF et le SUDF) demandent que des moyens soient mis en place pour avoir des régulations médicales modernes et répondant à des critères de qualité. Elles insistent sur la prise en charge des appels relevant tant de la santé (Samu) que des secours (Pompiers) doit être moderne et traitée de façon rigoureuse par les professionnels dont c’est le métier. En outre, les deux associations affirment être profondément attristées par ce qui s’est passé à Strasbourg et partagent la peine de la famille.

Dernièrement, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a réagi via son compte twitter pour assurer la famille [de Naomi] de son entier soutien. Elle s’est dite profondément indignée des circonstances du décès et affirme avoir demandé une enquête à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur ces graves dysfonctionnements. Elle ajoute qu’une réunion se tiendra à ce sujet dans les jours qui viennent au ministère.

La défense de l’établissement

Face au retentissement médiatique (#NaomiMusenga), et les internautes qui accusent l’établissement de racisme, les hôpitaux universitaires de Strasbourg ont publié un communiqué sur ce sujet le 3 mai. Le texte annonce qu’ une enquête administrative destinée à faire toute la lumière sur les faits a été ouverte. Questionné par le Monde, l’établissement reste muet : une enquête est en cours. On ne dira rien de plus. Selon France 3 région, les résultats sont attendus dans trois semaines. D’ici là, l’opératrice en question, une assistante de régulation médicale, vient d’être suspendue administrativement . L’agent avait déjà été transféré de service le 2 mai dernier afin de ne plus être en contact avec les patients. De son côté, le parquet de Strasbourg a ouvert, mercredi 9 mai, une enquête préliminaire du chef de non-assistance à personne en péril

Une bien triste affaire qui devrait susciter de nombreux débats et dont nous suivrons avec intérêt les suites judiciaires.

Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com  @roxane0706


Source : infirmiers.com