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La santé mentale, victime collatérale de l’épidémie de Covid-19

Publié le 13/04/2021

Interdictions de déplacement, limitation drastique des interactions sociales, télétravail imposé…, l’épidémie de Covid-19 et son cortège de restrictions dues aux confinements successifs, auxquels s’ajoute un climat très anxiogène, ne sont pas sans conséquences sur la santé mentale des Français. Face à ce constat, les pouvoirs publics ont décidé de s’emparer plus amplement du sujet, véritable enjeu de santé publique.

La pandémie de Covid et ses restrictions ont grandement dégradé la santé mentale de la population.

L’épidémie mondiale de coronavirus n’aura pas seulement mis en lumière l’impréparation de nos services de santé. Avec son cortège de restrictions prises afin de limiter la pression hospitalière, elle aura également remis au centre du débat l’importance de la santé mentale. Privés de relations sociales, confrontés parfois à des pertes de revenus, et généralement immergés dans un climat anxiogène, les Français ont vu leur santé psychologique se dégrader depuis l’instauration du premier confinement, en mars 2020. Or si la santé mentale demeure encore aujourd’hui un sujet presque tabou, elle représente néanmoins un véritable enjeu de santé publique. Et qui se révèle d’autant plus critique que, en période de crise sanitaire, le nombre de personnes touchées a considérablement augmenté. Santé Publique France, qui mène depuis le début de la pandémie des enquêtes afin de mesurer ses impacts sur la santé mentale, a donc lancé depuis le mardi 6 avril 2021 une campagne de communication à destination du grand public sur le sujet. L’objectif : l’y sensibiliser mais aussi l’aider à repérer les symptômes de mal être afin de se tourner ensuite vers les dispositifs d’écoute existants et entamer les démarches pour se soigner.

Une santé mentale qui se dégrade

Santé Publique France a conduit 22 vagues d’enquête auprès de la population depuis le mois de mars 2020 et la mise en place de CoviPrev, une étude destinée à collecter des données sur la santé mentale des Français en cette période de crise et d’en suivre l’évolution. Réalisées à intervalles réguliers auprès d’un échantillon de 2 000 personnes, elles permettent d’informer les pouvoirs publics afin qu’ils imaginent des stratégies de prévention et de prise en charge des publics les plus vulnérables. Parallèlement, Santé Publique France recueille des données auprès des urgences hospitalières et de SOS Médecins dans le cadre du système de surveillance sanitaire SurSaUD pour mesurer l’évolution des occurrences des troubles anxieux ou dépressifs, voire des gestes suicidaires. Et le constat est sans appel : L’épidémie de COVID-19 a eu un impact sur la santé mentale, a déclaré Geneviève Chêne, directrice générale de Santé Publique France lors de la conférence de presse présentant la campagne de communication. Nous vivons des vies bouleversées en raison des restrictions sanitaires, qui sont là pour freiner l’épidémie mais qui ne sont pas sans conséquences sociales et économiques, mais aussi affectives.

Prise du pouls à domicile

Un tiers de la population française souffrirait d’un état anxieux ou dépressif. Un chiffre alarmant, qui a surtout connu une augmentation de près de 50% depuis le deuxième confinement, au mois d’octobre 2020. Les facteurs de ces souffrances psychologiques ? L’inquiétude à l’égard de la santé et une crainte de la maladie, mais surtout un sentiment croissant d’isolement et d’enfermement, dû aux restrictions sanitaires. Sur le terrain, François Poulain, infirmier libéral dans les Bouches-du-Rhône, en est régulièrement témoin. Je n’ai jamais autant parlé avec les gens de leur anxiété, de leur dépression, de leurs ruminations. C’est très compliqué notamment pour les personnes qui avaient des activités professionnelles intenses et des enfants qui font des études. Du jour au lendemain, ils se sont retrouvés en télétravail et à devoir assurer l’école à la maison, raconte-t-il. Quand on entre dans les familles, on sent qu’il y a une vraie anxiété, même quand on vient pour un soin ponctuel. Et en règle générale, ça se traduit par une certaine agressivité. Un constat que partage Myriam Dutal, également infirmière libérale : Des personnes à peu près stables et positives rentrent dans une lassitude et un découragement qu’on ne leur connaissaient pas, parce que la situation perdure. On enchaîne les confinements et ce timing devient pesant. Il y a un cocktail de circonstances qui met à rude épreuve la conscience, la capacité de s’adapter de tout un chacun.

L’évolution de la santé mentale en temps de Covid

Selon le point épidémiologique du 25 mars 2021 de Santé Publique France sur l’évolution de la santé mentale

  • 20 % des Français souffrent d’un état dépressif, soit 10 points de plus qu’en période hors épidémie.
  • 21 % des Français souffrent d’un état anxieux, soit 7,5 points de plus qu’en période hors épidémie.
  • 65 % des Français déclarent des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours, soit 16 points de plus qu’en période hors épidémie.
  • 9 % des Français ont eu des pensées suicidaires au cours de l’année, soit 4 points de plus qu’en période hors épidémie.

Jeunes, malades et seniors : les plus vulnérables

Toutes les populations ne présentent pas la même vulnérabilité aux risques de dégradation de la santé mentale. La souffrance dépend des classes d’âges. Les personnes âgées, déjà isolées, le sont encore plus car elles sont séparées de leurs enfants et de leurs petits-enfants, ce qui devient intenable pour elles, remarque Myriam Dutal. De l’autre côté du spectre de l’âge, les jeunes sont aussi jugés plus vulnérables et doivent faire l’objet d’une surveillance renforcée, selon Santé Publique France. Ils se trouvent en effet privés d’interactions sociales et confrontés à des difficultés économiques provoquées par la disparition des jobs étudiants. Mais leur souffrance psychologique a aussi une autre origine. Mirentxu Bacquerie, la directrice générale de l’Ecole des Parents et des Educateurs, association à l’origine du dispositif d’écoute Fil Santé Jeunes, a ainsi relevé une recrudescence des appels et du recours au chat depuis le début de l’épidémie. En cause, le sentiment de ne pas pouvoir penser l’avenir, renforcé par la difficulté, voire l’impossibilité, de suivre leur cursus scolaire ou universitaire. Avec le deuxième confinement, la situation s’est beaucoup dégradée, a-t-elle déploré. Les jeunes nous font part de situations de décrochage scolaire, d’une incapacité à se projeter dans quelque chose car ils estiment que l’avenir est bouché.

 

Les jeunes sont en perte d’espérance

 Les étudiants ne peuvent plus aller en cours, alors que certains jouent leur avenir, témoigne François Poulain, qui prend pour exemple le cas d’un étudiant en médecine, cas contact au Covid et dans l’incapacité de se rendre dans sa classe préparatoire, censée le préparer au concours. Les jeunes m’inquiètent beaucoup parce qu’ils sont en perte d’espérance, confirme Myriam Dutal. À tel point que les conséquences peuvent s’avérer dramatiques. Certains, en raison d’une structure psychique qui ne leur permet pas d’endurer la situation, se suicident. Un jeune qui se suicide parce qu’il ne voit pas son avenir, c’est terrible, s’attriste l’infirmière. Mais les patients atteints de maladies chroniques ou nécessitant des soins lourds s’avèrent tout aussi susceptibles de souffrir d’une dégradation de leur santé mentale en raison des restrictions sanitaires. Pour certains patients, comme ceux atteints de cancers, par exemple, sortir, voir leurs amis, est leur seul plaisir, soupire François Poulain. Quand on est déjà vulnérable à cause d’une maladie, la période s’avère encore plus compliquée.

En parler pour se soigner

Pour autant, l’ensemble des intervenants de la conférence de presse dressent la même conclusion : les problématiques de santé mentale et des facteurs qui peuvent entraîner sa dégradation sont peu connues, limitant l’accès aux informations utiles pour empêcher la chronicisation des symptômes liés aux états dépressifs ou anxieux. On réduit souvent la santé mentale aux maladies mentales et aux troubles psychiatriques, a expliqué Aude Caria, directrice de Pyscom, l’organisme national d'information sur la santé mentale. La santé mentale est un continuum qui va du mal être aux troubles psychiatriques avérés […]. Elle évolue tout au long de la vie. Et de noter que s’il est aisé d’admettre avoir contracté le Covid-19, il est plus délicat d’avouer que l’on a fait une dépression par la suite car les tabous autour de la santé mentale sont encore lourds ou que les conséquences de la pandémie ont un effet néfaste sur elle.

La santé mentale fait partie de la santé en général

Or, comme le formule François Poulain, la santé mentale fait partie de la santé en général. D’où l’importance pour les patients de parler de leur mal-être, insistent les professionnels de santé. Inciter à parler de l’état dans lequel on se trouve constitue la première étape pour se soigner, a rappelé Geneviève Chêne au cours de la conférence de presse. En parler fait du bien aux gens, soutient Myriam Dutal qui, depuis le premier confinement, a vu ses visites aux patients s’allonger car elle est leur référent en santé auquel ils se confient facilement.Souvent confronté à des problématiques psychiques et psychologiques, François Poulain relève de plus que, si verbaliser sa souffrance mentale a en premier lieu un effet bénéfique, elle peut également amener les patients à entamer un vrai parcours de soin. En parler dans un cadre médical, sans tabou, permet de faire réfléchir les patients, même lorsqu’ils n’ont auparavant jamais fait la démarche de consulter un psychologue ou un psychiatre, précise l’infirmier. Et pour faciliter les démarches et la recherche d’information, les pouvoirs publics ont mis en place, en plus du site Psycom, un numéro vert (0 800 130 000) pour orienter les personnes en souffrance.

Journaliste audrey.parvais@gpsante.fr


Source : infirmiers.com