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La coordination entre services d’imagerie et d’urgence ne serait-elle qu’un cliché ?

Publié le 08/09/2011
imagerie urgence manipulateur radio

imagerie urgence manipulateur radio

Bénédicte Lefebvre et Marie-Claire Chauvancy, toutes deux manipulatrices en radiologie et cadres de santé, régulièrement interpellées par leurs équipes pour des dysfonctionnements, voire des conflits avec les services des urgences, ont mené une étude portant sur la perception, par les professionnels concernés, de ces « tiraillements » inter services. Revue de détails et analyse.



Depuis quelques années, les services des urgences des établissements de santé sont confrontés à l’inexorable augmentation du nombre de passage dans leurs locaux. En effet, de plus en plus de patients dont la pathologie relève du domaine de la médecine de ville ont le réflexe « hôpital/service d’urgence ». C’est ainsi, l’urgence a perdu son caractère « vital » pour devenir une « réponse rapide à une demande de soins ». Force est de constater que cette déviance de la notion de l’urgence engendre une prise en charge « bobologique » tous azimuts responsable d'un allongement des délais d’attente.

« Tout le monde vient aux urgences pour tout ou n’importe quoi. » dit une infirmière (Inf.), « Je le tiens de certains médecins urgentistes, la problématique pour eux c’est surtout la bobologie » raconte une manipulateur en radiologie (cadre de santé Mer). Cette redéfinition du concept d’urgence impacte d’autres services hospitaliers, notamment les services prestataires de services, et entre autres, l’imagerie médicale.

Destinée à mieux comprendre les dysfonctionnements entre les services d'urgence et de radiologie, l'enquête menée par Bénédicte Lefebvre et Marie-Claude Chauvancy s’est déroulée sous la forme d’entretiens non directifs, d’une durée moyenne d’environ 40 minutes, sur cinq sites hospitaliers (AP-HP), auprès d’infirmières (Inf.), de manipulateurs en radiologie (Mer), de cadres de santé (Cs), de cadres supérieurs (Csup.) et d’un cadre paramédical de pôle (Cpp).

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?

C’est en tout cas ce que laisse entendre les réponses apportées spontanément quand la question posée est de savoir s’il existe des difficultés entre les deux services ; « Il n’y a pas de problèmes ». Propos rapidement contredits, au fur et à mesure de l’avancée des entretiens : « Nous sommes submergés de demandes inutiles, à se demander si les patients sont examinés !... Souvent on se déplace pour rien. Le malade pouvait venir en radio » (Mer). « De façon générale, cela fonctionne plutôt bien avec la radio... Petit bémol quant ici c’est la course, eux prennent leur temps… nous faire attendre pour une radio demandée au lit !!!!! Quand on la demande c’est qu’il y a une bonne raison. Pas uniquement parce que l’on ne veut pas leur emmener l’enfant... » (Inf.).

Se connaissent-ils vraiment ?

Les différents entretiens mettent en évidence que les différents professionnels rencontrés ne savent pas exactement en quoi consiste le travail réalisé dans le service partenaire. Les infirmiers et les médecins des urgences ne sont notamment pas très au fait des risques induits par l’irradiation lors de la prise des clichés. Ils ignorent que le manipulateur en radiologie, de par son décret d’exercice, est responsable de la dose de rayonnement qu’il délivre et soumis à une obligation d’optimisation. Il n’est donc pas étonnant que leur jugement sur la pertinence des prescriptions médicales soit plutôt sévère :

« Moi, ce qui me gêne, c’est que les doses que je balance, j’en suis responsable. Le calcul de dose reçue qui doit être noté sur le carnet de santé, ce n’est pas eux qui le remplissent. Quand je signe la dose reçue, je m’engage et ça ils ne le savent pas aux urgences.» (Mer). « Une radio par ci, une radio par là... Alouette !! Nous ne sommes pas dupes, les malades ne sont pas examinés. » (Mer)
«  Diagnostic parapluie…. Plus j’en demande, moins j’ai de chance de rater quelque choses » (Mer)

Ces prescriptions, jugées abusives par les manipulateurs, peu ou pas renseignées, compliquent encore la prise en charge du patient en radiologie. « Les demandes qui ne sont pas remplies obligent à comprendre ce qu’on va aller chercher. C’est un écueil dans la prise en charge, oui il n’y a pas de contexte, et pour nous en radio le contexte est essentiel. » (Mer).

 Nous sommes submergés de demandes inutiles, à se demander si les patients sont examinés !... Souvent on se déplace pour rien .Le malade pouvait venir en radio (Mer).

Le manque de temps : facteur de cloisonnement ?

Lorsque les manipulateurs en radiologie (Mer) se plaignent de recevoir des patients non déshabillés, ils n’ont pas notion de l’afflux de patients aux urgences et de la charge de travail que cela engendre au niveau des infirmières du secteur. Même si un cadre de santé infirmier souligne l’obligation faite aux urgences de déshabiller les patients, elle module le propos en y intégrant une procédure de protection des valeurs du patient : « Déshabiller les patients aux urgences, oui, on se doit de le faire, mais lorsque tu vois toutes les procédures que cela engendre (vol, coffre, papiers divers), il est évident que surbooké comme on est, on ne peut pas le faire. » (Inf. Cs).

Le manque de temps, de personnels, la multiplication du nombre des patients et des taches réalisées, sont facteurs de cloisonnement et source de conflits. « Comme le nombre de tâches à accomplir augmente de jour en jour dans les hôpitaux modernes, il y a davantage de frontières entre postes qu’il y en avait précédemment. Toutes sont le lieu d’une nécessaire coopération, et donc de conflit potentiel. » (Hugues, 1996). De la même façon, infirmières et manipulateurs en radiologie évaluent de manière approximative les contraintes des services partenaires et ne s’adaptent pas aux obligations de chacun. « De façon générale, on a une petite idée du travail des infirmières, c’est pareil pour nous… Mais quand on prend le temps de creuser, c’est là que l’on se rend compte que ce n’est pas tout à fait cela » (Mer).

« L’articulation de trajectoire » écrit Michel Crozier (1992) s’oppose au terrain puisque infirmiers et manipulateurs en radiologie ne connaissent pas leurs pratiques et rencontrent des difficultés concernant le suivi des actes de soins dispensés à leurs patients. Chacun des acteurs, polarisé sur sa propre activité, ne mesure pas l’importance de l’interface et de la coordination pour une qualité de soins optimale. Pourtant, dans le processus global de prise en charge, aucune activité n’est isolée, mais elle est bien le « maillon d’un chaîne » ( Montesinos, 1991) liée à l'activité en amont et en aval.
« Dans la chaîne de prise en charge, l’imagerie c’est une toute petite portion... Et pourtant ! » (Csup Mer).

Déshabiller les patients aux urgences, oui, on se doit de le faire, mais lorsque tu vois toutes les procédures que cela engendre (vol, coffre, papiers divers), il est évident que surbooké comme on est, on ne peut pas le faire. (Inf. Cs)

La solution : un rapprochement géographique ?

« L’incommunication s’impose comme un fait, la cohabitation comme un choix et une valeur. » nous dit le sociologue D. Wolton (2005). Lorsque les services d’imagerie installent une antenne intégrée aux urgences, il semblerait en ce qui concerne la prise en charge des patients que ce soit un facteur facilitant : moins de conflits, plus de coopération entre professionnels. Une relation d’appartenance aux urgences se développe chez les manipulateurs en radiologie (Mer) qui s’identifient plus au personnel du service des urgences qu'à celui de la radio.« Quand je suis ici j’ai l’impression de faire partie du service, un peu comme en radio centrale quand on est tous ensemble » (Mer). On peut évoquer la création d’une identité plus collective, ou tout au moins « Revaloriser l’identité collective aujourd’hui » au travers « l’ouverture à d’autres réalités... » écrit D. Wolton.

« Avant, quand les radios se faisaient à la radio centrale, régulièrement cela « fritait » avec les urgences. Maintenant, j’ouvre la porte, je râle, on s’explique et c’est tout de suite réglé… de visu c’est plus facile. » (Mer). On constate également que se connaître, partager le même espace, la même salle de repos crée des liens. « La proximité favorise les bonnes relations. Les gens parlent entre eux, fument leur « clope » ensemble. Le fait qu’ils se connaissent est un plus. » (Inf.).

L’importance de ce lieu de rencontre, lieu d’échanges et de reconnaissance, est soulignée par D. Wolton (2005) lorsqu’il écrit : « Et si dans l’entreprise le lieu de la « machine à café » est devenu le seul endroit convivial…, c’est bien parce qu’il symbolise le besoin de parler, de se rencontrer et d’échapper à l’anonymat ».

Une façon différente de faire par métier

Le personnel des urgences et les manipulateurs en radiologie, même s’ils se côtoient régulièrement et entretiennent, pour nombre d’entre eux, des relations amicales, ne sont pas toujours bien au fait des pratiques professionnelles de chacun. « On ne sait pas trop ce qu’ils font. Chacun son boulot mais, dans l’ensemble, ils sont sympas. A Noël ils ne nous oublient jamais. » (Mer). Peut être est ce dû à la formation, les instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi) et les Instituts de Formation des Manipulateurs en Electroradiologie Médicale (Ifmem) étant deux instituts bien spécifiques : centré sur la technique pour les uns, sur le prendre soin et les soins pour les autres.

Les manipulateurs en radiologie ont en effet une approche soignante basée sur des critères de qualité d’imagerie spécifiques et de traitement d’image, la relation avec le patient n’étant que ponctuelle, le temps de la réalisation des incidences.« Nous, c’est bonjour, bonsoir, respirez, ne respirez plus... Je schématise mais, en gros, cela ne dure pas longtemps…. efficacité et rapidité. » (Mer). Ils n’ont pas notion de l’attente subie en amont, ni même en aval, sauf en cas de « débordement ». «... Cela dépend de l’activité, quand on déborde, ils débordent... » (Inf.). « Quelquefois ils n’ont plus de place... Nous devenons une succursale de leur salle d’attente » (Mer).

La prise en charge du patient est liée aux problèmes de transport, aux difficultés de brancardage, de mobilisation et de réalisation d’examens. « La galère, jamais personne pour t’aider à pousser un brancard... Quant à porter le malade sur la table, tu n’y penses même pas » (Mer). Les critères de qualité sont, de façon générale, liées aux critères de réalisation d’un « bon cliché ».

« La technique, faire une belle radio, c’est hyper important. Le relationnel aussi... mais si ta radio n'est pas bonne tu peux passer à coté de tas de trucs. » (Mer).
Les infirmiers, eux, sont plus dans le prendre soin, dans l’empathie. L’importance de la relation avec l’autre faisant intégralement partie de la prise en charge du patient. « C’est pour soigner que j’ai choisi ce job… Je n’aurais pas pu travailler derrière une machine. » (Inf.).

Il y a parfois un amalgame entre la radio des urgences et les urgences. C’est la radio de toutes les urgences de l’hôpital. (Inf.).

Des conflits mais les relations sont cordiales

Il est intéressant de noter que s’il existe des conflits, des mécontentements de part et d’autre, tous les professionnels interrogés soulignent que leur relations sont cordiales, ce qui nous autorise a faire une distinction entre un mode de communication professionnel, qui peut se révéler dans certaines circonstances conflictuel, et une communication personnelle qui est souvent cordiale. Les relations de bon voisinage et amicales sont plus prégnante dans les établissements où l’imagerie est intégrée aux locaux des urgences. Les professionnels s’identifient alors comme appartenant aux « urgences ».

« Nous sommes une même équipe » (Inf.), « Il y a parfois un amalgame entre la radio des urgences et les urgences. C’est la radio de toutes les urgences de l’hôpital. » (Inf.).

De l’importance de la relation personnelle

De façon très globale, les personnels interrogés font au mieux avec leurs moyens. S’ils se plaignent de dysfonctionnements lorsque les secteurs sont éloignés ou imbriqués, la méconnaissance du travail des uns et la méconnaissance du métier des autres est largement gommée par les relations personnelles de bonne entente entretenue. « On a parfois quelques différents entre personnels, mais ça c’est personne dépendante. » (CsInf.), « Il y en a qui sont aidants, on a de bons contacts, ça se passe bien avec eux. D’autres, ce n’est pas le cas !! » (Inf.).

Pour conclure

Depuis des années, la première année de formation des manipulateurs en radiologie est étroitement liée aux soins. Il ressort pourtant des entretiens qu’aucun ne connaît exactement ce qui se passe en service d’urgences. Quant aux études d’infirmier, elles ont depuis peu intégré une période d’observation dans les services médico-techniques, mais il n'y a pas suffisamment de recul pour en mesurer l’impact dans la pratique professionnelle infirmière.

En fait, les problèmes de communication inter-services et les dysfonctionnements liés à la prise en charge du patient, s'ils sont en partie « humain-dépendants », basés sur des relations de bonne ou mauvaise entente interpersonnelles, sont également causés par une méconnaissance du travail de chacun.

Ainsi, la connaissance des pratiques professionnelles et des difficultés rencontrées, au travers des stages réalisés dans les différents services medico-techniques par les étudiants pendant leur formation initiale, pourrait être un levier sur lequel s’appuyer pour comprendre les pratiques professionnelles des autres acteurs hospitaliers et ainsi améliorer la coordination et les relations entre services.

Ce texte est une synthèse du mémoire de Bénédicte Lefebvre « Coordination service d’imagerie et service d’urgence : Un cliché ? », dans le cadre de (sa formation à l'IFCS de la Salpétrière (Paris).

Bénédicte LEFEBVRE,
manipulatrice en radiologie, cadre de santé,
hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP)
Marie-Claire CHAUVANCY,
manipulatrice en radiologie, cadre de santé, Centre hospitalier du Sud Francilien (Evry)


Source : infirmiers.com