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Judiciarisation hospitalière et médiatisation : Je t’aime moi non plus ?

Publié le 19/11/2010

La judiciarisation des hôpitaux est un sujet sensible, d’actualité et très médiatisé. A quelle réalité correspond elle ? Le point de vue d’une cadre de santé.

Les gros titres des journaux mettent en avant la responsabilité des professionnels. Est-elle seule en cause ?

Je ne le pense pas. C’est tout un ensemble de facteurs qui, conjugués les uns aux autres, aboutissent à l’irréparable.

Ce sont, sans exhaustivité : le manque de moyens et de personnels, les conditions d’exercice de plus en plus contraignantes et difficiles, une crise identitaire, la remise en cause des pratiques professionnelles et des valeurs portées par les professionnels,  les difficultés à gérer le paradoxe entre l’autorité hiérarchique de l’État et l’autonomie des professions médicales, la main mise de la loi du marché sur la santé, la demande de soins de plus en plus inflationniste, l’exigence sécuritaire de la délivrance des soins, etc.

Les textes légaux invoqués

Le recours aux instances judiciaires en cas de litige va de pair avec la désacralisation de l’hôpital, éclaboussé par différents scandales, notamment ceux du sang contaminé ou des hormones de croissance, et par une demande mercantile d’indemnisation pour un dommage subi.

La loi du 4 mars 2002 relative « aux droits du patient et à la qualité de la prise en charge » étend la notion de préjudice réparable à l’activité médicale non fautive (aléa thérapeutique, infection nosocomiale). Elle affirme aussi le principe de la responsabilité pour faute des professionnels et des établissements de santé :

« article L 1142-I et II du Code de la santé publique, les professionnels de santé, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont pratiqués des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables de leurs actes qu’en cas de faute. »

La responsabilité  des établissements de santé est engagée en cas d’infections nosocomiales (principe de la responsabilité sans faute.) De plus, l’obligation de réparer les préjudices résultant des maladies nosocomiales est à la charge des établissements de santé, à moins qu’ils ne soient en mesure d’apporter la preuve qu’elles sont dues à une cause étrangère.

C’est également la création de la  commission régionale de conciliation et d’indemnisation qui est chargée de faciliter le règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux, aux affections iatrogènes et aux infections nosocomiales.

La solidarité nationale indemnisera  les victimes des  accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (celles pour lesquelles une cause étrangère a été prouvée). Cependant cette indemnisation est soumise à conditions.

Les modalités de réparation des préjudices subits sont le recours judiciaire (voie pénale, civile ou administrative) ou la conciliation au travers des CRCI (Commissions régionales de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales).

La CRCI et la CRUQPC1 : une réponse alternative au recours judiciaire

Les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) ont été créées par un décret du 3 mai 2002.
Leur mission est de développer le recours à la conciliation pour la résolution des conflits et de permettre ainsi l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux dont le préjudice représente un certain degré de gravité (le seuil a été fixé par le décret du 4 avril 2003). Ainsi toutes les victimes d'un accident médical grave, qu’il y ait eu faute ou non et quel que soit son origine (acte de prévention, acte de diagnostic ou acte thérapeutique) peuvent en bénéficier.

Les CRUQPC ( Commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge) sont constituées dans chaque établissement de santé, public ou privé, et se substituent aux commissions de conciliations. Leur composition et missions sont fixées par décret (N°2005-213). Ces missions ne sont plus de conciliation puisque les CRCI jouent maintenant ce rôle, mais de contribution à l’amélioration de la qualité de l’accueil et de la prise en charge de l’usager, ainsi qu’à la surveillance du respect des droits des patients.

Les CRUQPC rédigent chaque année un rapport qui est présenté au conseil d’administration de l’établissement dont elles dépendent. Il est transmis aux ARS (Agences régionales de santé), ce qui est supposé permettre à ces dernières de disposer d’une vision globale du respect des droits du patient et de la qualité de l’accueil de la personne malade sur leur territoire.

La judiciarisation en chiffres

Les chiffres fournis par la MACSF2 montrent une augmentation importante des dossiers de déclaration d’accidents corporels pour les médecins (tous exercices et spécialités confondus) sur la période 1985/2000, puis une stagnation en marge haute. En 2002, le coût moyen par sinistre corporel consécutif à une faute  était de 120 000 euros ; il était de 256 000 euros en 2007, soit une augmentation de plus de 112% sur 5 ans.

Le coût d’indemnisation d’un IMOC3 s’élève en moyenne à 6 331 486 euros.

En 2008, les déclarations de dommages corporels représentaient 5% des plaintes en pénal, 10% des procédures ordinales, 35% des procédures amiables et 25% des procédures CRCI.
En  moyenne, un médecin sera mis en cause 1 fois dans sa carrière, alors qu’un architecte le sera 3 fois et un avocat 5.

Les secteurs médicaux les plus touchés par la sinistralité sont : la chirurgie, l’anesthésie-réanimation et l’obstétrique. Ces professions représentent 5% des professionnels assurés et 80% des dépenses pour réparation.
Certains assureurs jouent sur ce « risque » pour augmenter les  cotisations de leurs assurés, à un point tel que certaines spécialités deviennent « inassurables », les primes étant trop élevées pour les professionnels concernés. Le problème se pose particulièrement pour les libéraux.

La judiciarisation : les causes

La judiciarisation à l’hôpital est liée à différents facteurs :

  • l’évolution des rapports entretenus entre établissements, professionnels de santé et patients ;
  • l’évolution du droit de la santé ;
  • l’obligation de déclaration des accidents médicaux aux autorités de santé ;
  • la construction d’une « démocratie sanitaire » au travers des associations d’usagers ;
  • la notion de sécurité sanitaire (la règle étant facteur de déviance)
  • la médiatisation des scandales sanitaires et des procès, « chou gras » «  de journalistes » avides de sensationnel, contribuant au sentiment des professionnels de santé d’être menacés en permanence d’une condamnation ;
  • la méfiance du public envers les soignants teintée du « on me cache quelque chose » ;
  • les assureurs prétextant l’augmentation de la sinistralité pour augmenter les primes d’assurances professionnelles.

La réponse des établissements de santé

Les établissements de santé répondent à cette judiciarisation par la normalisation des pratiques professionnelles au moyen de règlements, protocoles et procédures.
Cependant, force est de constater que si la réglementation se veut  protectrice, elle est avant tout impérative.

En effet, la multiplication des règles implique une recentralisation de l’organisation et un renforcement du fonctionnement de type bureaucratique qui va à l’encontre de l’exercice de la médecine puisque cette dernière ne peut s’exercer que dans le cadre d’une profession indépendante.

Les professionnels se trouvent devant une hydre à deux têtes : répondre aux injonctions administratives et  exercer une pratique médicale autonome.

Et les professionnels ?

S’il est vrai que la médiatisation de certaines affaires « porteuses » en termes journalistiques, car « vendeuses », font les gros titres d’une presse avide de sensationnel et d’un certain public réceptif, il n’en demeure pas moins que le service public hospitalier , engagé dans une démarche de qualité et de transparence, continue à avoir la confiance d’une grande partie de ses « Clients ».
Pourtant, au travers ces articles, c’est tout une profession qui est stigmatisée.

« Les statistiques contredisent l’idée de judiciarisation, judiciarisation qui est perçue au travers un prisme médiatique particulièrement déformant »

Tiraillés entre le paradoxe du « prendre soin » et de la rentabilité, les professionnels sont quelque peu dubitatifs et surtout démunis.
Les pouvoirs publics, après une campagne de sensibilisation bien orchestrée, ont mis l’accent sur la garantie de soins « de qualité accessibles à tous», sous tendant une obligation de réussite, de résultat.
En introduisant la loi du marché à l’hôpital et le principe de la concurrence, ils ont introduit à l’hôpital le raisonnement économiste de l’entreprise.

Pourtant, le soin n’est pas un produit de consommation courante auquel la loi du marché peut être appliquée. De par sa nature, le produit « soin » est un produit « spécifique et sensible » dont l’aléa « Humain dépendant » est loin d’être négligeable.
C’est donc à ces professionnels de gérer le paradoxe de la mainmise de l’État avec ses injonctions en terme de rentabilité et du « bien soigné » qui, par essence, ne peut être ni canalisé ni comptabilisé.

Alors, la judiciarisation : mythe ou réalité ?

S’il est vrai que les médias ont leur part de responsabilité dans la judiciarisation de l’hôpital, il n’en demeure pas moins que les affaires portées au niveau  judiciaire ne représentent que 5% des dossiers traités. Une majeure partie est réglée par les voies de la conciliation qui, moins traumatisantes pour les deux parties, permettent aux victimes une indemnisation plus rapide.

La  judiciarisation est un mythe fondé sur une méconnaissance du droit de la responsabilité et sur la dramatisation. La solution serait portée par un accès à une formation juridique sur le droit et sur la responsabilité tout en mettant un accent fort sur la communication, ce qui permettrait d’éviter une dramatisation qui n’a pas lieu d’être.

Nous conclurons en disant que la judiciarisation est surtout dans les esprits et qu’elle est plus fortement perçue que constatée.

Notes

1 La commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge
2 MACSF Mutuelle d’Assurances du Corps de Santé Français
3 Insuffisant moteur cérébral

 

Marie-Claire CHAUVANCY
Cadre de santé
marieclaire.chauvancy@wanadoo.fr


Source : infirmiers.com