Depuis maintenant plus d'une décennie, les professionnels de santé œuvrent pour éradiquer les violences institutionnelles, les risques de dérives maltraitantes et à promouvoir la bientraitance. Dans une même temporalité, ces professionnels font face à l'exacerbation des manifestations agressives de la part des personnes accueillies et de leurs proches. Nadia PEOC’H, Ph.D Directrice des soins au CH du Val d’Ariège, analyse l’agressivité et de la violence institutionnelles et soignante, revient sur leurs causes et propose des pistes pour en sortir. Cette communication a été présentée lors des Journées Francophones des aides-soignants (JFAS) les 25 et 26 janvier à Paris. Après le succès de cette 4ème édition, l'événement aura également lieu en région, toujours sur le thème de "l'agressivité et la violence dans les soins, comment rester dans la bientraitance". Rendez-vous le 4 octobre 2018 à Montpellier.
Le contexte sociétal couplé aux contraintes budgétaires qui visent à médicaliser le financement tout en équilibrant l'allocation des ressources financières et en responsabilisant les acteurs de santé (Tarification à l’activité issue de la réforme hospitalière du plan hôpital 2007) bouleversent le paradigme du « prendre soin ». Ce soin qui représente une activité humaine singulière et essentielle, inscrite dans une logique d’écoute, de réciprocité, de confiance et qui se confronte à la logique des coûts, de la violence au travail à travers l’injonction paradoxale d’un juste soin, conforme et à moindre coût.
La tarification à l’activité, pour qui, pour quoi ?
La tarification à l’activité (T2A) a ouvert l’ère d’une nouvelle rationalisation du soin et de son corollaire l’accompagnement dans cette approche où la logique des coûts s’est trouvée en confrontation avec la logique d’écoute. Véritable « repoussoir » pour les professionnels de santé, la T2A a introduit cette notion selon laquelle le soin doit être pensé selon une tarification. Le fait de placer un malade dans un Groupe Homogène de Séjour (GHS) qui a un coût et un remboursement bien précis, sans tenir compte de ses antécédents pathologiques, conduit à l’expression d’une profonde inquiétude sur le sens même du travail chez les soignants (médecins et paramédicaux) car il est difficile de « quantifier » une maladie car celle-ci ne relève pas tout à fait de la même pathologie si le malade est cardiaque, diabétique ou présente une allergie. La question actuelle étant alors de savoir si l’organisation de notre système de santé centré sur la culture de la gestion financière est compatible avec la rencontre, l’accompagnement, le soin et la bientraitance.
Dans un contexte où la sacralisation de la science positiviste et de la médecine technoscientifique en termes de recommandations, de circulaires, de procédures, de normes et de critères nous invite à traiter l’être en tant que personne support d’une maladie au risque de la réduire à cet état, il convient de ne pas banaliser l’irréversibilité du temps et la finitude inhérente à toute vie. Il est important de veiller sur la vie et de bien traiter l’humain. Il s’agit de rappeler également que la pratique soignante reste une activité humaine soumise à l’immédiateté, la contingence, et qu’au-delà de la délivrance d’une série d’actes, cette activité s’inscrit dans une démarche continue d’adaptation à une situation donnée.
La question actuelle est de savoir si l’organisation de notre système de santé centré sur la culture de la gestion financière est compatible avec (…) le soin et la bientraitance.
La démarche de bientraitance
Dans cette contribution, nous nous proposons de porter un regard réflexif sur la construction de la notion de violence dans les politiques publiques et dans les politiques institutionnelles des établissements, puis d’éclairer la notion du soin bientraitant dans son acception d’un « socialement acceptable » du comportement d’un individu envers une société considérée, en termes de « ce que je dois être et ce que je dois faire en continuant à respecter l’autre », pour convoquer le management bientraitant dans ses « fondamentaux » et les actions prioritaires, autour :
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des principes éthiques et des valeurs d’humanité, de respect, de tolérance et de sollicitude en plaçant la personne soignée et ses proches au centre de la prise en charge, en permettant à la personne soignée d’être co-auteur de son projet de vie, de soins et de santé.
Comment : Il s’agit d’identifier les valeurs, les compétences, les ressources et les actions qui donnent du sens au projet et à la démarche bientraitante.
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de l’identification et de la détection des situations pouvant générer de l’insatisfaction et/ou de la démotivation des professionnels de santé dans les unités de soins à travers le soutien aux professionnels de santé et en encourageant la prise de recul nécessaire en accompagnant la prise de parole autour d’Analyse de Pratiques Professionnelles (APP).
Comment : Grâce à des questionnements : Est-il maltraitant de hausser la voix envers un patient insolent ou agressif ? Est-il maltraitant de réveiller un résident pour lui changer sa protection ? Serait-il bientraitant de ne plus appeler, alors que je le fais depuis des années, une résidente par son prénom ?
Serait-il bientraitant de ne plus embrasser les résidents au coucher dans leur chambre alors qu’ils me le demandent ? Autant de questions qui interrogent la pratique professionnelle et nécessitent ce retour réflexif.
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de la valorisation des compétences professionnelles à travers l’accompagnement des professionnels de santé dans des parcours de formation adaptés, individualisés, et ce pour donner du sens et rendre à la conscience de chacun l’agir professionnel.
Comment : en co-construisant avec les équipes soignantes des parcours de formation-action individualisé, en travaillant sur le sens, l’engagement de façon collective afin de redonner une stabilité à travers le travail sur le projet de service. Quelques exemples :
* mieux se connaitre soi-même dans ses modes de communication et de style relationnel
* réagir aux comportements agressifs, passifs, déstabilisants, sans répondre par de l’agressivité, ou entrer en conflit ;
* analyser dans quels contextes les attitudes professionnelles problématiques ont été adoptées,
* Savoir formuler une critique assertive, recevoir une critique, exprimer un désaccord, sans développer d’agressivité ;
* organiser de façon intégrante les diverses dimensions de sa vie professionnelle (intellectuelle, émotionnelle et relationnelle) pour avoir au quotidien une qualité de vie professionnelle.
La bientraitance s’inscrit dans (…) cette posture de questionnement qui soumet "les vieilles habitudes", à une interrogation constante de nos pratiques professionnelles.
Une vigilance pratique de tous les instants
La bientraitance s’inscrit dans la quête du sens, dans la vigilance critique intemporelle et dans cette posture de questionnement qui soumet « les vieilles habitudes » à une interrogation constante de nos croyances, de nos attitudes, de nos comportements et de nos pratiques professionnelles. Loin d’être seulement une intention, la bientraitance engage notre responsabilité d’acteurs de santé dans l’exemplarité, l’équité, l’autorité et la présence. Il ne sera pas aisé de préciser les caractéristiques précises de la notion de bientraitance tant celles-ci paraissent peu systématiques et non spectaculaires. Peu spectaculaires en effet tant la notion touche à ces petites choses, ces menues choses (un ensemble de comportements respectueux ; un professionnalisme avisé ; une bienveillance tout au long du séjour du patient ; la recherche d’un environnement sécurisé...) qui lorsqu’elles sont mises bout à bout ne sont jamais anodines pour une personne soignée tant elles témoignent de la qualité du service rendu et de cette grande attention portée à l’humain.
« C’est au moment du Je ne sais pas quelle est la bonne règle que la question éthique se pose. Donc, ce qui m’occupe, c’est ce moment […] où je ne sais pas quoi faire, où je n’ai pas de normes disponibles, où je ne dois pas avoir de normes disponibles, mais où il me faut agir, assumer mes responsabilités, prendre parti. D’urgence, sans attendre ». En dépit de sa finitude, de sa vulnérabilité, de sa faillibilité, de ses incertitudes et de ses pauvretés, l’être qu’il soit soignant ou soigné a l’insigne faculté de penser sa vie, sa condition, son existence en faisant des choix parmi « la possibilité de l’impossible » (Derrida, 2004). En cela la promotion d’une démarche de bientraitance convoque la nécessaire réflexion éthique autour du soin et du prendre soin.
Vos rendez-vous à venir !
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Après le succès de la 4ème édition des JFAS, l'événement se déplace en région. Toujours sur le thème de « l'agressivité et la violence dans les soins, comment rester dans la bientraitance », une journée de formation se déroulera le 4 octobre 2018 à Montpellier. N’hésitez pas à vous inscrire.
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Rendez-vous les 24 et 25 janvier 2019 pour la 5ème édition nationale des JFAS cette fois autour du thème : L' aide-soignant et le temps de soin .
Références
- Bressand, M., Chriqui-Reinecke, M. et Schmitt, M. (2011). Promouvoir la bientraitance dans les établissements de santé, Rapport de la mission ministérielle, Année des patients et de leurs droits.
- Derrida, J. (2004). « Entretien avec Jacques Derrida – penseur de l’événement » avec J.-A. Nielsberg in L’Humanité du 28/01/2004.
- Péoc’h, N. (2016). « La démarche de bientraitance au sein d’un cadre institutionnel ». Soins, Volume 61, n° 805, pp. 36-38
- Péoc'h, N. (2011). Bientraitance et éthique du care... Similitudes et différences autour d'une recension des écrits scientifiques. Recherche en soins infirmiers, (2), 4-13.
- Ricœur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris : Le Seuil
Nadia PEOC’HPh.D Directrice des soins au CH du Val d’Ariège, FoixDocteur en Sciences de l’EducationChercheur associé UMR-EFTSUniversité TOULOUSE 2
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