Dans son récit intitulé "Etre soignant", en format court, sur le site communautaire Raconter la vie, Rod l'aide-soignant, nous raconte comment, au quotidien, « il accompagne les vieillards, dans la maladie qu’ils n’ont pas choisie. ». Extraits.
Les textes publiés sur le site Raconter la vie, site communautaire de ceux qui s'intéressent à la vie des autres - témoignages de patients, de leurs proches, de soignants... sont régulièrement présentés sur nos pages ; une très belle source éditoriale que nous avons choisi de partager entre nos deux sites.
Soigner n'est pas un acte de bravoure…
Je suis aide-soignant. Mon quotidien c’est l’hôpital gériatrique. J’accompagne les vieillards, dans la maladie qu’ils n’ont pas choisie. En compagnon discret de leurs souffrances. Je ne suis pas le superman du soin ni l’Abbé Pierre de la gériatrie ; juste un soignant comme tant d’autres. Avec mes faiblesses, mes colères et mes actes de bravoure (…) Je suis devenu aide-soignant par hasard. Rien ne m’y prédisposait. Graphiste dans une agence de communication puis licencié à la suite de son dépôt de bilan, je me retrouvais sur le carreau. (…) Quelques mois passèrent à me démener dans une quête inespérée d’un nouveau job. (…) Je savais que je pouvais compter sur l’être le plus indispensable de ma vie, un coach aux compétences rares, doté d’un moral d’acier : ma femme. C’est en elle que jaillit l’idée de ce merveilleux métier : aide-soignant. Ma vie ne sera jamais assez longue pour l’en remercier. J’ai découvert cette profession par un beau matin de juin, alors que je suivais un stage d’observation dans une maison de retraite.
Il n’y a pas meilleur remède à l’aigreur et à la morosité que de donner de soi et d’aider ceux qui n’ont plus rien à attendre.
Ce métier est fait pour moi...
– Alors, ça te plait ?
– Franchement, tu veux que je te dise : oui, j’aime. C’est fort, c’est humain c’est dur, c’est émouvant. On se sent utile, indispensable.
– Tu aimes quoi !
C’est un déclic qui fit surgir au plus profond de ma conscience de licencié économique une révélation qui ne devait plus me quitter : ce métier était fait pour moi. (…) Aujourd’hui, je ne regrette en rien mon ancien costard cravate, mon siège de bureau ultra molletonné et mon ordinateur dernier cri. Finie cette course à la rentabilité, ce stress destructeur et compétition vaine. Dans ma blouse blanche immaculée, armé de mon sourire et d’une joie de vivre que j’aimerais aussi contagieuse qu’une gastro-entérite, je soigne les maux avec des mots. Je vais être sincère avec vous : je suis un aide-soignant heureux. (…) Deuxième stage. Première MSP (Mise en Situation Professionnelle). (…) C’était la première fois que je lavais un aveugle obèse et quasi dément dans une maison de retraite sous le regard inquisiteur et pour le moins perturbateur de 2 jeunes femmes en tunique blanche. J’ai peut-être été dérangé par sa nudité face à ces femmes. Surtout lorsqu’il arbora une puissante érection. N’ayant jamais eu de précédents en la matière, je me laissai aller dans un vent de panique grandiloquent. (...) J’ai donc accumulé les fautes, les oublis, débordé que j’étais par l’émotion, le stress, l’angoisse, enfin tout, quoi. Le pire des cauchemars ne m’avait jamais fait autant transpirer. (…) Cette expérience m’aura appris certainement que les meilleurs soignants sont souvent ceux qui s’émeuvent et rougissent, ceux qui ont les larmes aux yeux attendris par les malheurs du monde, ceux qui se trompent et se remettent en question.
Je suis aide soignant. Je suis le confident. Le proche. Presque l’ami. Je suis celui qui vous voit nu tous les jours. Celui qui pénètre dans votre intimité. Celui à qui on peut confier l'impensable...
« Putain, merde ! » Parfois, la mort ça me rend grossier.
Chambre 56. Comme chaque soir je vais aider Madame G. à se coucher. Elle a 73 ans et reste d’un abord assez distant. Elle m’aime bien, Madame G. Peut-être parce que je suis le seul homme aide-soignant du service. Peut-être aussi parce que je suis le seul à se plier sans broncher à toutes ses exigences. (…) Je l’aime bien, Madame G. Même si j’aime repousser les limites de ma compassion et de mon dévouement toujours plus loin, grand est mon bonheur quand je quitte enfin sa chambre après que ma patience a été mise à dure épreuve. (…) « Putain, merde ! » Parfois, la mort ça me rend grossier. L’infirmière, la tête plongée dans ses piluliers, se précipite dans la chambre pour constater le drame. Juliana, l’agent de service roumaine qui roule les « r » comme elle tartine les biscottes, vient nous prêter main forte pour redresser le 1,90 mètre de Monsieur Fernelle. On le recentre sur le lit. Il rebondit sur le matelas. Rictus amusé de la stagiaire. Raoul, notre stagiaire aide-soignant reste statufié, l’air hagard avec le plateau d u petit déjeuner dans les mains : Je lui sers pas son plateau alors, s’il est mort ? (…) la mort Raoul, il ne peut pas.
Les soignants sont comme des éponges, ils absorbent toute la souffrance de l’humanité malade
Les familles que l'on ne voit jamais et puis un jour…
Ils arrivent avec leurs petites idées stéréotypées, leur vision souvent négative sur la gériatrie. Ils jugent, fustigent, critiquent avec dédain souvent. Ces petits enfants que l’on ne voit jamais et que l’on croise un jour au détour d’une chambre, qui se souviennent soudainement qu’ils ont un ancêtre qui sèche à l’hospice. Ils font une apparition furtive, c’est tout. Juste pour se donner bonne conscience, enfin juste un peu. (…) En revanche s’ils ne viennent jamais ils ne se gênent pas pour asséner aux visages des soignants, critiques et remarques désobligeantes. (…) Il y a ceux qui disent aussi : « Mamie nous a dit qu’on lui fait mal quand on s’occupe d’elle, que les soignants sont brutaux avec elle. » Moi je sais que tout le monde est doux et respectueux avec la petite grand-mère.(…) Il y a ceux qui arrivent endimanchés, bien engoncés dans leurs vêtements bourgeois dernier cri. Ce jour-là, un neveu tout habillé de blanc comme s’il revenait d’une soirée de chez Eddy Barclay et fraîchement débarqué de la Riviera vient voir si sa vieille tante a enfin déposé les armes. Eh bien non. Elle est en fin de vie mais respire encore. (…) Il y a aussi les familles présentes. Trop présentes. C’est beau, l’esprit de famille. Ça fait chaud au cœur de voir le malade entouré comme ça. Mais certaines fois c’est trop.
Être vieux c’est tabou. On ne les voit pas souvent nos anciens dans la réalité de ce qu’ils sont, sur la fin de leur vie. On les cache, on cherche à les oublier.
Quand les patients meurent, les soignants pleurent...
Dans la chambre 66, Lisa a déjà commencé le massage cardiaque. La patiente est à terre. Madame B. est toute bleue. Cyanosée. Inconsciente. Aréactive. Plus de pouls. Massage encore et encore. On se succède. Julia tient le masque à oxygène sur le visage de Madame B. On masse encore. Les gouttes de sueurs perlent sur les fronts. Des situations d’urgence, j’en n’ai jamais vu. Juste en faux à la télé. Mais ce n’est pas le même trip (…) Plus rien à faire. Le toubib arrive avec sa trombine de circonstance, son inutile stéto autour du cou. On ne masse plus. Elle est morte. AVC massif. C’est le toubib qui l’a dit. Donc c’est vrai. Silence. On se regarde. C’est fini. (…) La mort nous a encore joué un sale tour. (…) Pourtant il faut bien la négocier cette fin de vie. Malgré la déchéance, la démence, la tristesse. Se confronter à tous ces états est une tâche difficile, voire insurmontable. Cette confrontation perpétuelle à la souffrance : c’est le lot quotidien de cette armée de l’ombre, les aides-soignants. Ceux que l’on ne voit pas agir mais qui encaissent les dures réalités de la vie des malades. (…) Soigner l’humain malade c’est aussi lui recommuniquer sa joie de vivre. C’est lui insuffler son bonheur.
Je suis la vie et vous devez compter sur moi.
Lire "Etre soignant" dans son intégralité par Rod l'aide-soignant, Raconter la vie.
Découvrir aussi le blog de Rod « Journal d'un "être" soignant »
Raconter la vie : la communauté de ceux qui s’intéressent à la vie des autres
Par les voies du livre et d’internet, Raconter la vie a l’ambition de créer l’équivalent d’un Parlement des invisibles pour remédier à la mal-représentation qui ronge le pays. Il veut répondre au besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, les aspirations quotidiennes prises en compte. Pour « raconter la vie » dans toute la diversité des expériences, la collection accueille des écritures et des approches multiples - celles du témoignage, de l’analyse sociologique, de l’enquête journalistique et ethnographique, de la littérature. Toutes les hiérarchies de « genres » ou de « styles » y sont abolies ; les paroles brutes y sont considérées comme aussi légitimes que les écritures des professionnels de l’écrit. Raconter la vie est la communauté de ceux qui s’intéressent à la vie des autres.
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
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