Les relations n'ont pas toujours été faciles entre les pompiers et les SAMU et au fil des années, les piques se sont multipliées. Les relations s'étaient pourtant apaisées avec la signature de conventions tripartites (SDIS / SAMU / Ambulanciers) autour des secours d'urgence. Avec le récent discours de Marisol Touraine au congrès Urgences 2014, les braises ont été attisées et le feu s'est à nouveau déclaré. Voici quelques clés pour comprendre ce conflit.
Pour bien comprendre ce qui se passe aujourd'hui entre le SAMU et les pompiers, il faut revenir sur le fonctionnement du secours à personnes en France. Il ne s'agit pas ici de comprendre le système en son entier (qui est d'une complexité rare), mais de l'éclairer par quelques rappels...
Les pompiers, un service de proximité incontournable
Depuis de nombreuses années, les sapeurs-pompiers effectuent toujours plus d'interventions de secours à personnes. La présence de nombreux centres de secours et leur gestion historique par localité (avant la départementalisation ce sont les villages qui avaient « leur » caserne), en ont fait des acteurs très rapides pour porter secours.
Le maillage territorial et les moyens dont ils disposent sont des atouts majeurs pour gagner du temps et sauver des vies. De nombreux SDIS (service départemental d'incendie et de secours) l'ont compris et se sont adaptés à cette demande toujours plus croissante en secours à personnes (cela représente 65% des interventions à ce jour). Les Services de Soins et de Secours Médicaux (SSSM) ont ainsi pris une importance croissante et développés de nouvelles mesures pour apporter un service plus performant.
Les médecins de sapeurs-pompiers font bien entendu partie des SSSM mais, à l'image de la pénurie qui touche les médecins libéraux, ils ne sont pas en nombre suffisant pour répondre à la demande. C'est ainsi que l'activité des infirmiers de sapeurs-pompiers s'est développée, protocoles de soins d'urgence à l'appui. Ces protocoles permettent en effet aux infirmiers d'administrer des soins plus avancés en attendant l'intervention d'un renfort médical. Ils ont non seulement fait leurs preuves pour le secours d'urgence, mais également pour soulager la douleur des victimes. Ainsi, les sapeurs-pompiers ont-ils tenté d'adapter leur offre de secours à la demande des populations. Seulement voilà, ce ne sont pas eux qui doivent gérer et organiser le secours à personnes en France, mais les SAMU.
L'activité des infirmiers de sapeurs-pompiers s'est développée, protocoles de soins d'urgence à l'appui
Le SAMU, chef d'orchestre du secours à personnes
En France, quel que soit le secours apporté à une personne, ce sont en effet les SAMU qui doivent organiser l'orientation et la prise en charge de la victime en fonction des éléments dont ils disposent sur son état. Des médecins, au sein des Centres de réception et de Régulation des Appels (CRRA), en décident. Ils ont également à leur disposition des antennes de Services Médicaux d'Urgence et de Réanimation (SMUR), des ambulances et des véhicules légers capables de se rendre au chevet d'un patient avec un médecin, un infirmier et un ambulancier à leur bord. Selon la gravité liée à un appel qui arriverait au CRRA, le médecin peut également décider d'envoyer les sapeurs-pompiers, une ambulance privée ou un médecin en consultation. Si l'urgence n'est pas réelle, un simple conseil médical peut également suffire.
Cette organisation engendre un certain nombre de points de frictions entre ces différents services. Un appel urgent arrivant au 18 déclenche souvent un départ dit « réflexe » d'une équipe de pompiers. Même si le SAMU sera réceptionnaire du bilan de l'équipe et décidera, in fine, de l'avenir du patient, ce n'est pas lui qui aura déclenché les secours. Lorsque l'appel au secours arrive au 15 (au CRRA), le médecin peut décider d'envoyer une société privée et non forcément un véhicule pompier. L'un mise sur la rapidité à tout prix au risque de partir trop souvent sur de fausses alertes, l'autre sur la recherche d'efficience, cette fois au risque de perdre du temps sur une urgence avérée.
Ces disparités d'organisation ont amené les gouvernements précédents à demander la mise en place de conventions tripartites entre les SDIS, les SAMU et les association ambulancières, afin de déterminer le champ de compétence de chacun. Ces dernières n'ont pas souvent donné satisfaction à tous les intervenants, mais elles ont eu le mérite de clarifier les choses et de tenter de les ordonner.
Les disparités d'organisation ont amené les gouvernements précédents à demander la mise en place de conventions tripartites entre les SDIS, les SAMU et les association ambulancières
Deux ministères, deux budgets, un gros problème
Plus encore que ces disparités politiques, l'organisation du secours à personnes en France est quelque peu "schizophrène". En effet, les moyens de sécurité civile (sapeurs-pompiers) dépendent du ministère de l'Intérieur, ceux de l'aide médicale urgente des Affaires sociales et de la Santé. Dans ces conditions, une mise en concurrence est presque inévitable, les uns ayant forcément l'impression que les autres dilapident les ressources de l'état. Dans un contexte de restrictions budgétaires de plus en plus drastiques, les esprits s'échauffent vite.
Les exemples sont nombreux et viennent des syndicats de chaque entité. Le Syndicat National de l'Aide Médical d'Urgente, plus connu sous le titre de « SAMU de France » (qui le fait passer pour une société savante et non pour un syndicat), a déjà attaqué de façon virulente la présence des infirmiers dans le secours à personnes. Pour eux, cette présence met en danger la vie des patients, retarde la médicalisation des SMUR et désorganise les services d'urgence. De leur côté les associations comme l'Association Nationale des Infirmiers de Sapeur Pompiers (ANISP) répondent point par point (et œil pour œil) à ces accusations.
Il faut dire que certaines évolutions ont de quoi faire réfléchir. La mise en place de correspondants SAMU médecin et infirmiers, intervenant dans les mêmes conditions que les médecins sapeurs- pompiers et les infirmiers de sapeurs-pompiers, est assez logiquement vécue comme une concurrence directe entre les deux services.
Les moyens de sécurité civile (sapeurs-pompiers) dépendent du ministère de l'Intérieur, ceux de l'aide médicale urgente des Affaires sociales et de la Santé
Les raisons de la colère
Que s'est-il donc passé au congrès « Urgences 2014 » pour que la Fédération Nationale des Sapeurs- Pompiers demande à ce que tout contact soit rompu avec les ARS et les SAMU ?
La ministre, Marisol Touraine, a réaffirmé un engagement présidentiel fort de début de mandat : chaque Français doit pouvoir bénéficier d'un accès aux soins d'urgences en moins de 30 minutes. De par leur maillage territorial, les sapeurs-pompiers semblent excellemment placés pour répondre à ce cahier des charges. Or, il semble que le ministère de la santé et les ARS ne prennent pas en compte ces partenaires dans l'élaboration de leur plan national.
A aucun moment, la ministre ne semble avoir parlé des sapeur-pompiers dans le cadre de l'engagement du secours à personnes et de la prise en charge des urgences. Pire, en appuyant la multiplication des hélicoptères de transport sanitaire (gérés directement par les SAMU), la rumeur de diminution des hélicoptères de la sécurité civile semble prendre forme. Évidement les hélicoptères « blancs » dépendent du ministère de la santé et les « rouges » de l'intérieur. Un autre secteur de concurrence.
Marisol Touraine l'a rappelé, chaque Français doit pouvoir bénéficier d'un accès aux soins d'urgences en moins de 30 minutes
Sur le terrain (presque) tout le monde travaille pour le patient
S'il est normal que sur le terrain certaines tensions puissent naître de ces discussions en haut lieu, c'est plus logiquement une certaine incompréhension qui règne. Les collaborations sont nombreuses entre les SDIS, SSSM et SAMU. Les hélicoptères de la sécurité civile sont régulièrement pourvus en personnels aussi bien issus du SAMU que du SSSM. Ces derniers ont d'ailleurs souvent la « double casquette ». Il est à ce titre particulièrement cocasse de voir que les mêmes infirmiers, si excellents et formidables lorsqu'ils travaillent dans un « camp », deviennent de dangereux irresponsables lorsqu'ils changent d'uniforme.
Autour d'une victime se retrouvent souvent des médecins, des infirmiers, des ambulanciers et des sapeurs-pompiers qui n'ont qu'un but ; administrer les soins les plus efficaces possibles. Pour qu'ils puissent travailler ensemble, ils font souvent l'effort de se connaître. Lorsque c'est le cas, le patient en sera le premier bénéficiaire. Mais tant que les uniformes ne seront pas les mêmes, tant que deux ministères auront besoin de gérer simultanément les mêmes problèmes sans se concerter, il pourra exister une concurrence. Ils faudrait une volonté politique très forte et une réforme en profondeur pour que les choses changent. Reste aux gens sur le terrain à gérer ces problèmes de façon intelligente et à ne pas perdre de vue que derrière ces luttes intestines, il y a une personne à soigner.
A lire pour en savoir plus
- Communiqué du 13 juin 2014 de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSP) Secours d'urgence aux personnes : les sapeurs-pompiers de France réaffirment leur détermination et demandent le respect des directives du Président de la République
- Urgences : ça va chauffer !
- Urgences : les pompiers tirent la sonnette d'alarme
- Dossier "Infirmiers de sapeurs-pompiers - acteurs des secours d'urgence "
Vincent ELMER Infirmier anesthésiste Diplômé d’étatInfirmier de sapeur-pompierInfirmier SMUR Rédacteur infirmiers.comvincent.elmer@infirmiers.com
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?