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La coopération : une clé pour redonner du sens à la mission soignante

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Publié le 04/05/2022

Dans un secteur de la santé malmené par la crise et des difficultés structurelles, la perte de sens de la mission soignante est une réalité. Une organisation qui favoriserait la collaboration et la coopération des professionnels pourrait toutefois en partie remédier à cette problématique.

Comment redonner du sens à la pratique soignante ? C’était le sujet de l’épisode du mois d’avril des Contrepoints de la santé. La question est cruciale. Entre pénurie de soignants, difficultés mises exergue par la crise sanitaire, nécessité de réorganiser un système de santé à bout de souffle, aussi bien dans sa composante hospitalière que libérale, le malaise des professionnels de santé est de plus en plus préoccupant. En témoignent les résultats d’un sondage sur la perception qu’ont les Français de ceux qui les soignent (voir notre encadré). Et au cœur de ce malaise, un sentiment de perte de sens de la mission soignante, parasitée entre autres par des contraintes administratives et une gestion économique soumise à des logiques de rendement. Dans ce contexte, la collaboration et l’exercice coordonné apparaissent comme deux des leviers susceptibles de redonner du sens aux activités de ces professionnels.

Une crise malgré tout riche d'enseignements

Si la crise a mis en lumière et creusé les failles du système de santé (manque de personnel, conditions de travail dégradées, défaut d’équipements, difficultés d’accès aux soins…), elle a aussi été malgré tout source d’innovations, et notamment d’innovations organisationnelles. La pandémie a été une catastrophe sanitaire. Mais elle a donné une impulsion nouvelle. Elle nous a appris à nous coordonner dans l’urgence, à travailler ensemble, observe Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats de médecins français (CSMF). Un constat que partagent Tatiana Henriot, présidente de l’UNIPA, et Thierry Godeau, médecin hospitalier à la tête de la Conférence nationale des Présidents de Commissions médicales d'établissements (CME) des Centres hospitaliers, qui ajoutent que les soignants ont largement démontré leurs capacités à s’organiser entre eux pour faire face à la crise et à ses conséquences. Dès lors qu’on les laissait libres de le faire. Les soignants ont montré qu’ils étaient capables d’innovation dès qu’on levait les freins administratifs, et dans des conditions qu’on n’avait jamais connues, relève en effet ce dernier.

La perception des Français de l’état des professionnels de santé
Selon un sondage BVA présenté en exclusivité lors de cet épisode des Contrepoints de la santé :
•    Pour 54% des sondés, le dernier professionnel de santé rencontré est apparu « fatigué, physiquement et psychiquement ».
•    Les professions les plus touchées sont : les infirmiers en établissement de santé (69%), les infirmiers en médecine de ville (63%), les médecins exerçant à l’hôpital (59%), les spécialistes exerçant en ville (56%) et les généralistes (54%).
•    86% des Français estiment que la qualité de vie des soignants s’est dégradée, de même que leurs conditions de vie matérielle (81%).
•    Donner plus de temps pour prendre en charge les patients (64%), instaurer une meilleure organisation (34%), et offrir plus de reconnaissance (33%) sont les trois pistes privilégiées pour redonner du sens aux métiers de la santé.
 

Pour Franck Devulder, cette période aurait même été marquée par une lueur de bien-être, née de la collaboration renforcée entre les professionnels. Or les enseignements de la crise n’ont pas su être tirés, ajoute-t-il, déplorant un retour à une organisation en silo. Et la désillusion a été d’autant plus grande, creusant encore plus le mal-être des soignants, qui espéraient une vraie remise à plat des modes de fonctionnement. On voit bien que l’arrêt de la crise a entraîné un rebond du malaise. C’est donc pire qu’avant, car l’espoir qu’on a pu entretenir pendant la période, on ne le voit plus, regrette Thierry Godeau.

Une coopération sous condition de réorganisation…

Renouer avec la coopération et la collaboration serait donc l’un des leviers pour redonner du sens au métier de soignant. Une nécessité, en réalité, car nous sommes passés d’un système qui prend en charge des maladies aigües à un système qui doit prendre en charge des maladies chroniques, où nous sommes plusieurs professionnels autour d’un même patient, résume Thierry Godeau. Il y a un élément de réflexion fort que nous devons avoir : on ne peut pas travailler les uns à côté des autres. Cette collaboration doit pouvoir s’effectuer à trois échelles : entre secteurs public et privé, entre ville et hôpital, et entre professionnels de santé.

Thierry Godeau réclame ainsi plus de coopération entre les services à l’hôpital – La base de l’hôpital, c’est l’équipe, martèle-t-il – et y voit d’ailleurs l’un des éléments d’attractivité du secteur, malmené par des modes de fonctionnement qui tendent à rapprocher le modèle de l’hôpital à celui de l’entreprise. Tatiana Henriot, elle, défend également la coordination entre professionnels libéraux. Mais celle-ci repose sur une condition, primordiale : Il faut connaître les professions de chacun, afin de déterminer les compétences qui doivent intervenir au bon moment dans le parcours de soin, explique-t-elle en effet. Travailler ensemble, cela signifie également monter des projets de santé communs afin de dégager des axes de travail qui répondent aux besoins de santé. C’est cela qui va donner du sens aux professionnels, et il faut également faire en sorte que la qualité des soins soit intégrée dans les parcours. Se pose ainsi la question de l’organisation des professionnels de santé, de la répartition des missions, auxquelles est corrélé un nécessaire réinvestissement de ces derniers dans la définition des projets de santé. Il faut qu’on sache comment mieux s’organiser afin de casser les murs entre les professionnels et la ville et l’hôpital, confirme Thierry Godeau.
 

La solution se trouve sur le terrain, avec les gens qui travaillent ensemble au quotidien.

… et de financements adaptés

Reste que, pour que cette coordination soit possible, il faut pouvoir en poser les conditions, à commencer par des modes de financement adaptés. L’Etat doit prendre la mesure de la problématique. Il faut qu’on ait les moyens de décloisonner ; la coopération entre ville et hôpital n’est pas possible avec le financement actuel, pointe Thierry Godeau, qui souligne que, si l’organisation doit se décliner en réponse aux spécificités territoriales, les grandes lignes du financement doivent être définies au niveau national. Il s’agit notamment de rémunérer les temps consacrés aux activités de coopération, mais aussi ceux dédiés aux transmissions et au management, en particulier au sein des services hospitaliers. Il faut des leviers incitatifs pour développer des modes de coopérations qui n’existent pas encore, ajoute-t-il.

En libéral, Franck Devulder plaide pour le développement d’un esprit entrepreneurial au sein des différents modèles d’exercice coordonné (cabinets de santé, maisons de santé, CPTS …) afin de pouvoir offrir une réponse adaptée aux besoins de santé. Il faut aussi que les professionnels de santé puissent acquérir une culture managériale pour améliorer l’offre de soins, défend-il. L’idée étant, là encore, d’imaginer des modes d’organisation pertinents et qui favorisent la coopération tout en préservant la qualité des soins. Une vision que ne partage pas vraiment Tatiana Henriot. Il faut voir le sens que l’on va donner aux CPTS, par exemple. Évoquer le sens de l’entreprise, ça ne parle pas aux soignants. La collaboration pour retrouver du sens, oui, mais à condition donc qu’elle bénéficie d’un accompagnement adapté. Et qu’elle ne sacrifie pas le lien entre patients et professionnels de santé. La solution se trouve sur le terrain, avec les gens qui travaillent ensemble au quotidien, conclut Thierry Godeau.


Source : infirmiers.com