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BELGIQUE

Le PIT, un véhicule d’urgence sans médecin où l’infirmier exerce en toute autonomie

Publié le 29/04/2024

En Belgique, les PIT, véhicules dédiés à l’aide médicale d’urgence, reposent sur un binôme infirmier-ambulancier. L’infirmier y exerce en toute autonomie grâce à un dispositif d’ordres permanents qui cadre les traitements qu’il est autorisé à administrer.

ambulance, brancard, soignant

Un véhicule, un infirmier, un ambulancier et des prescriptions pré-écrites sous forme d’ordres permanents (OP) : c’est le concept du PIT, pour « Paramedical Intervention Team », un véhicule d’aide médicale d’urgence mis en place en Belgique. Le principe : « répondre à un besoin d’élargir l’offre de soins pré-hospitaliers en proposant un vecteur intermédiaire entre l’ambulance et le SMUR », explique Stefano Crainich, infirmier au service d’urgences de l’hôpital de Charleroi exerçant en PIT et par ailleurs coordinateur du dispositif dans la zone de secours Val de Sambre (voir encadré). Chaque véhicule est rattaché à un hôpital, les infirmiers qui y exercent travaillant généralement en parallèle dans son service de médecine d’urgence. Ils sont aujourd’hui 59 sur le territoire belge.

Suppléer au SMUR

Imaginé en 2007 et expérimenté jusqu’au mois de janvier 2024, le PIT est censé répondre à deux impératifs. Le premier est de pouvoir suppléer au SMUR quand celui-ci ne peut pas intervenir rapidement, notamment dans des zones éloignées du soin. Le second est de « rationaliser les coûts » en évitant au SMUR de prendre en charge des situations qui ne nécessitent pas réellement son intervention. « Un patient en hypoglycémie pouvait bénéficier d’un SMUR, composé d’un médecin, d’un infirmier et d’un ambulancier », donne en exemple Stefano Crainich. « C’était beaucoup de moyens très coûteux pour un acte dont la plus-value médicale était très peu justifiée. » L’infirmier, qui doit disposer du titre Soins intensifs soins d’urgence (SISU, voir encadré) pour y exercer, intervient donc auprès des patients en toute autonomie, bien qu’il reste en lien avec un médecin référent.

Un manuel de régulation pour l’évaluation des patients

Le déploiement du PIT s’opère via le 112, le numéro d’urgence qui permet en Belgique de faire appel à une ambulance ou aux pompiers, en fonction du degré d’urgence. Les opérateurs, qui ne sont pas nécessairement des soignants, s’appuient sur un manuel de régulation médicale pour évaluer la situation des patients. « Il y a 5 niveaux de déclenchement de moyens d’aide médicale urgente en Belgique », explique Stefano Crainich. Le PIT peut ainsi intervenir sur les niveaux 2, 3 et 4, le niveau 2 signalant une situation où la vie du patient est potentiellement en jeu et où il peut faire tampon en attendant le SMUR, le niveau 4, une situation où sa plus-value médicale peut être profitable mais pour laquelle une ambulance simple peut suffire. « Le niveau 3 correspond typiquement à une mission PIT », précise-t-il. « Nous avons un rôle tampon et d’éclaireur pour les interventions », ajoute Germain De Meester, infirmier PIT depuis 2012. « Quand le centraliste ne peut pas mettre un degré exact sur l’urgence et qu’il n’a pas envie d’envoyer un SMUR ou qu’il n’y en a pas, il envoie le PIT. » Le PIT peut aussi intervenir en niveau 1 sur des missions normalement dévolues au SMUR pour stabiliser au maximum le patient en attendant son arrivée.

Le PIT prend en charge un large nombre de pathologies et de situations cliniques : détresses respiratoires, arrêts cardio-vasculaires, chocs traumatiques (luxations, fractures ouvertes) et non-traumatiques (décompensations cardiaques, hémorragies, embolies pulmonaires, pneumothorax…), liste-t-il. « L’antalgie reste la principale forme d’intervention. »

Le titre SISU, un prérequis pour exercer en PIT
Pour exercer en PIT, explique Stefano Crainich, un infirmier doit être « titré SISU ». « Il y a une distinction entre le diplôme soins intensifs et aide médicale urgente (SIAMU) et le titre SISU. » Si le premier est acquis à vie, le second est conditionné à l’exercice de l’infirmier. « Pour maintenir ce titre, il faut travailler dans un service aigu (urgences, soins intensifs, centres de grands brûlés, néonatologie) », à hauteur de 1 500 heures sur 4 ans. Il lui faut également suivre des formations continues et se maintenir à niveau. « Le fait d’avoir le titre SISU donne accès à certaines fonctions, notamment pré-hospitalières », dont l’exercice au sein du SMUR ou du PIT. « Si un infirmier part travailler 5 ans en gériatrie par exemple, il ne pourra pas exercer en PIT » car il aura perdu son titre. Il lui faudra alors reprendre une activité en service aigu, dont 60 heures de formation, pour le récupérer.

Un exercice en autonomie cadré par des ordres permanents

Une fois sur place, l’infirmier agit en toute autonomie. À lui la responsabilité d’évaluer l’état du patient et d’appliquer les procédures et traitements dont il a besoin. « On travaille avec le système ABCDE*, dans un ordre logique de prise en charge », poursuit-il. Aucun médecin n’étant présent, l’infirmier s’appuie sur un système d’ordres permanents, sorte de prescriptions qui l’autorisent à délivrer des médicaments en fonction de la situation. Ils ont été élaborés au niveau fédéral par des groupes de travail composés d’infirmiers et de médecins. « Ils sont au nombre d’une trentaine et comprennent différentes situations cliniques : « Antalgie adulte et enfant », « prise en charge du brûlé », « choc non traumatique », « convulsion de l’adulte », « électrisation », « état d’agitation » etc… », explique Stefano Crainich. Pour chacune, l’ordre permanent décline les traitements possibles à administrer en fonction du profil du patient (âge, poids, adulte ou enfant). « Ces ordres vont de la prise en charge de la simple douleur, de la gêne, jusqu’à l’accouchement imminent », ajoute Germain De Meester.

exemple d'un ordre permanent autour de la prise en charge des convulsions chez l'adulte
Exemple d'un ordre permanent, dédié à la prise en charge des convulsions chez l'adulte. © Zone de secours du Val de Sambre

Nous avons un rôle d’autorité de compétences donc, même si ça reste un travail d’équipe, la dernière décision est prise par l’infirmier.

Pour autant, l’infirmier ne les applique pas mécaniquement. Plusieurs ordres permanents peuvent ainsi être mobilisés parallèlement en fonction de l’état du patient et en-dehors de la cause première pour laquelle le PIT a été sollicité. « Il y a donc toute une réflexion infirmière à avoir », insiste-t-il. Si la situation du patient le nécessite mais qu’appeler un SMUR ne se justifie pas totalement, l’infirmier peut outrepasser ses ordres permanents, avec l’accord express du médecin urgentiste référent. Celui-ci, joignable par téléphone, « est disponible 24h/24. Ce sont des gardes de plusieurs médecins attitrés », explique Germain De Meester. « Je lui demande si je peux compléter mon ordre permanent avec tel médicament, et il me donne son accord ou pas. » L’infirmier a également la possibilité de le solliciter « pour des questions plus simples, comme une analyse d’électrocardiogramme. »

L’absence d’un médecin dans le véhicule induit donc une totale autonomie de l’infirmier, qui est entièrement responsable de ses actes. « Nous avons un rôle d’autorité de compétences donc, même si ça reste un travail d’équipe, la dernière décision est prise par l’infirmier », déclare Germain De Meester. « Nous engageons notre responsabilité dès que nous ouvrons l’ambulance et nous rendons auprès du patient. »

Entre infirmier et médecin référent, un lien de confiance primordial

Cette autonomie suppose également qu’un lien de confiance se soit instauré entre l’infirmier PIT et son médecin référent, notamment lorsque l’infirmier demande à outrepasser ses ordres permanents. Car c’est alors la responsabilité du médecin qui est engagée. « Notre relation de confiance avec lui se travaille », poursuit-t-il. « Quand je choisis un ordre permanent, je le rappelle après pour lui donner le résultat de mon évaluation. Ça le rassure et il sait ainsi que, la prochaine fois, il pourra me faire davantage confiance. » Ce principe est d’autant plus essentiel qu’il n’existe pas réellement, dans ce cas, de dispositif formalisé et généralisé de traçabilité. Tout dépend du PIT et des professionnels qui y travaillent : certains passent ainsi par le 112 afin d’enregistrer la conversation entre médecins et infirmiers, d’autres ont recours à Whatsapp pour garder une trace écrite. Mais, en cas d’erreur, si aucun dispositif de ce type n’est mis en place « alors c’est parole contre parole », souligne Stefano Crainich. « Mais ça n’arrive presque jamais », nuance-t-il, rappelant que, au sein des services d’urgence, les professionnels sont déjà contraints de se passer de prescriptions écrites et se contentent de prescriptions orales en raison de leur mode d’exercice.

On doit être à la fois la tête et les mains, poser les actes et en même temps faire une analyse complète de la situation.

Un moyen pour les infirmiers de mobiliser pleinement leurs compétences

Le PIT présente ainsi l’avantage  de permettre aux infirmiers de soins d’urgences de mobiliser pleinement leurs compétences. « C’est l’endroit où l’infirmier SISU a le plus d’autonomie et peut utiliser toutes ses compétences », fait valoir Stefano Crainich. « On doit être à la fois la tête et les mains, poser les actes et en même temps faire une analyse complète de la situation. C’est là que ça devient passionnant et épanouissant. » L’infirmier est souvent formé à un certain nombre de situations mais a rarement l’opportunité de mobiliser l’ensemble de ses savoirs et de son expertise. « On souffre vraiment d’un manque de reconnaissance, parce que c’est toujours le médecin qui est mis en avant. Alors qu’en pratique, sur le terrain – et je ne dénigre pas du tout les médecins – l’infirmier fait tout autant que lui », déplore-t-il.  « Je me sens assez libre dans le PIT. J’ai l’impression que c’est un réel plus pour la population, qu’on a une vraie plus-value », abonde Germain De Meester. Et qu’en est-il du côté de l’hôpital ? « Le but du PIT n’est pas de faciliter le travail de l’hôpital, mais par notre fonction et par notre autonomie et nos ordres permanents, on y arrive », conclut-il.

Un renfort pour le Val de Sambre
En Belgique, les zones de secours constituent l’équivalent des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) français. Celle du Val de Sambre est la première à accueillir un PIT qui ne dépend pas d’un hôpital. Dans cette région, le SMUR peut mettre entre 20 et 35 minutes pour arriver sur le lieu d’intervention. « Nous avons interpellé le ministère de la Santé pour lui dire que nous souhaitions mettre en place un PIT », relate Stefano Crainich. « Nous nous sommes engagés à avoir la même qualité de contrôle et de mise en œuvre qu’un hôpital. » La supervision médicale est appliquée, elle, par des médecins de garde de deux hôpitaux, une semaine sur deux. « On a un planning de garde au sein du véhicule, et l’infirmier sait quel médecin de quel hôpital est de garde. »

*Méthode d’évaluation venue des États-Unis appliquée dans les prises en charge en soins d’urgence, les lettres signifiant : A pour « Airway » (libération des voies aériennes), B pour « Breathing » (respiration et ventilation), C pour « Circulation » (contrôle de l’hémorragie), D pour « Disability » (état neurologique), et E pour « Exposure ».


Source : infirmiers.com