À l’heure où les hôpitaux approchent d’une saturation de leurs capacités, il est fort probable que de nombreuses infirmières soient appelées en renfort, notamment dans les services de réanimation. Dans un contexte sous tension, nous nous sommes demandé comment elles arrivaient à s’adapter et à prendre leurs marques une fois en situation. L’exemple des infirmières travaillant dans les villages inuits de l’Arctique québécois que nous avons suivies lors d’un travail de thèse, est à ce sujet éclairant. En effet, elles offrent des soins infirmiers classiques mais doivent aussi gérer de nombreuses situations d’urgence et de traumatologie.
Les 5 stratégies d’onboarding
Parce que le rôle de l’organisation est assez faible, l’essentiel de l’onboarding (ou capacité à s’intégrer et à tenir son rôle dans une organisation) repose sur les infirmières elles-mêmes. Nous avons observé cinq objectifs essentiels que les infirmières tentent d’atteindre, que nous qualifions de stratégies d’onboarding. Les deux dernières sont particulièrement saillantes dans ce contexte extrême et rarement mises en avant jusqu’ici.
Apprendre son rôle
La première stratégie vise de manière naturelle l’apprentissage du rôle, principalement dans sa dimension technique. Plusieurs pratiques sont associées à cette stratégie comme lire (il a fallu apprendre par certains livres ou manuels
), demander (les autres infirmiers étaient très ouverts, ça leur faisait plaisir de répondre à mes questions
), valider (on cherche l’opinion des autres pour valider les nôtres
), suivre les attentes des autres (c’est elle une [infirmière] qui va gérer. Je vais faire ce qu’elle me demande de faire pour l’aider et la soutenir
), et observer (je regardais l’autre infirmière [d’expérience] agir avec elle et j’ai un peu essayé de copier son approche par mimétisme
).
.
Ce qu’il est intéressant d’observer, c’est qu’au-delà de l’apprentissage technique du rôle, le changement du contexte social crée le besoin de découvrir, de comprendre le fonctionnement de la communauté avec laquelle les infirmières interagissent (je vais à l’église, je discute avec les Inuit, je vais pêcher avec eux, je me fais un devoir de tout goûter. J’essaie de m’intégrer à mon village
).
Aménager son rôle
L’apprentissage n’étant pas toujours suffisant pour faire face aux situations rencontrées, des tentatives d’aménagement du rôle sont mises en place en répartissant le travail selon les compétences disponibles (ça m’est arrivé de ne pas me sentir à l’aise [avec un patient], l’autre infirmière a pris les choses en main
), en modifiant une répartition classique des rôles notamment avec les médecins (avec le médecin, tu peux suggérer des choses, ils te laissent aller, on a de la latitude
), ou encore en changeant les procédures de travail (beaucoup d’Inuit ne mangent pas trois fois par jour. Alors pour les diabétiques, leur demander de manger trois fois par jour et de prendre des collations, ça n’a pas de sens. Alors, on regardait les guidelines et on se disait : qu’est-ce que cette patiente est capable de faire ?
).
Créer son réseau de soutien
Comme pour l’apprentissage du rôle, on retrouve ici une double composante dans la création de réseau. Si, comme pour tous les salariés, le réseau interne est clé (« c’est important de ne pas rester seul, il faut s’entourer de mentors… »), on retrouve pour ces infirmières une volonté d’élargir ce réseau dans la communauté inuit afin de s’appuyer sur elle pour réaliser leurs missions (« cet été, pendant une semaine, on avait des patients qui faisaient des convulsions, probablement du THC contaminé. J’ai appelé la mairesse, elle m’a dit “ je m’en occupe ” et une semaine après on n'avait plus de cas »).
Gérer son image
Les infirmières doivent également gérer leur image auprès des différents acteurs qui les entourent à deux niveaux : avec le personnel soignant en ayant de la crédibilité médicale (avec le médecin au téléphone, tout est dans la présentation du cas, si tu ne le présentes pas d’une façon solide, t’es fait !
) et avec le patient, la famille et la communauté en ayant une crédibilité communautaire (parfois même si tu as un médecin dans le village, la famille veut te parler à toi parce qu’ils te connaissent. Avec les années dans la communauté, tu vas devenir plus un pivot
).
Absorber le choc
Les expositions à des situations médicales et sociales difficiles peuvent être vécues comme choquantes à cause du stress, de la fatigue ou de l’environnement pouvant parfois paraître hostile. Ces situations fréquentes sont des enjeux majeurs de leur processus d’onboarding et la durée de leur parcours professionnel dans le Nord en dépend.
Il s’agit de reconnaître et d’absorber ces chocs, par une palliation physiologique et psychologique. La palliation physiologique consiste par exemple à profiter des grands espaces pour se ressourcer (la toundra, je m’y sens bien : c’est ma “toundra thérapie”
), et à alterner les périodes hyperactives en situation et les périodes de coupure par un système de rotation, avec une alternance entre missions et vacances qui ressourcent (les vacances sont essentielles, elles aident à se ressourcer et à recharger ses batteries
).
Besoins sous-jacents
La palliation psychologique se traduit ici de deux manières distinctes : la prise de distance (je ne suis pas sans émotion, mais depuis le temps, j’ai appris que [ces problèmes] ne m’appartiennent pas. En ce sens, je dois être objectif, je ne dois pas être empathique
) et la rationalisation (j’offre ce que je peux offrir [comme soins] et c’est déjà suffisant. J’offre déjà beaucoup
). Et c’est justement parce qu’elles sont capables de mettre en place ces stratégies de palliation que les infirmières peuvent continuer à pratiquer dans ce contexte particulier (c’est la capacité de rationaliser les choses, ou non, qui fera la différence et qui leur permet, ou non, de pratiquer plus longtemps
).
Cette plongée dans l’univers des infirmières de l’Arctique québécois nous a permis de révéler 5 stratégies d’ajustement qui traduisent autant de besoins sous-jacents des nouvelles recrues. Certaines témoignent du côté extrême
des situations vécues, mais peuvent se retrouver dans de nombreux contextes professionnels à des degrés divers. Au-delà de l’intérêt intrinsèque de l’étude, ces résultats constituent donc une grille de lecture des pratiques d’onboarding quant à leur capacité à répondre aux besoins clés des nouvelles recrues. Cela ne signifie pas que les pratiques d’onboarding doivent se limiter à cela, mais qu’elles doivent inclure une réponse à ces besoins.
Serge Perrot, Professeur de Management, Université Paris Dauphine – PSL et Céleste Fournier, Enseignant-chercheur, IGS-RHCet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original publié le 20 novembre 2020.
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