"Après six mois en médecine et en soins de suite et de réadaptation, je voulais sortir de ma zone de confort, découvrir une autre culture, une autre manière de vivre et de soigner. Partir oui, mais dans des conditions encadrées (être reconnu par l’Etat et bénéficier de formations avant le départ) ; je me suis donc engagé dans une démarche de volontariat de solidarité internationale auprès de la Délégation Catholique pour la Coopération de mars 2017 à juin 2019. Direction le Togo au centre médical du puits de Jacob, où mes premiers mois n’ont pas été simples, malgré un centre de santé doté de tout – ou presque – ce qu’on peut trouver en France : bien qu’intéressant, le choc culturel était parfois abrupt, en particulier par rapport aux patients infectés par le VIH". Konogan Desvaux, infirmier, raconte son aventure personnelle, portée par ses convictions.
Au Togo, le « parcours patient » est bien différent du nôtre et le nomadisme médical est chose courante : il commence par la médecine traditionnelle, se poursuit par les dispensaires, l’hôpital préfectoral, et enfin le CHU – sans oublier le centre de santé privé, souvent tenu par des congrégations religieuses. Et chaque fois ou presque, le soignant doit reconstruire, à partir de rien, l’histoire du patient au fur à mesure des discussions. Pour un jeune venu consulter, la tâche est accessible ; pour une personne âgée, elle est titanesque. Et puis la maladie se soigne certes par un traitement. Mais le traitement fini, les croyances locales veulent que la maladie se soit envolée. Pourquoi prendre un traitement alors qu’on se porte bien, du moins en apparence ? Une logique dévastatrice qui favorise l’augmentation de l’incidence de maladies chroniques (hypertension, cholestérol, diabète...). Sans oublier le manque d’argent, qui rebat les cartes des besoins fondamentaux, celui de se nourrir arrivant en tête.
Tout en débutant la prise en soins de ma patiente, je la compare mentalement à un funambule sur sa corde, qui avance en sachant qu’il peut à tout moment basculer et tomber. D’ailleurs, ne dit-on pas que "la vie ne tient qu’à un fil" ?
Un funambule sur sa corde
Ce jour-là, nous accueillons une patiente d’une trentaine années dans un état très précaire – « la peau sur les os », au sens littéral du terme. Les joues creuses, une perte de la masse musculaire au niveau des bras et des jambes, des tâches cutanées violacées qui ont l'aspect de plaies, un ventre gonflé, une bouche mycosique, une langue chargée… autant de symptômes qui m’alertent sur la gravité de la situation. Elle ressent une fatigue extrême et chaque geste simple, comme boire ou manger, lui demande un effort considérable. Tout en débutant la prise en soins de ma patiente, je la compare mentalement à un funambule sur sa corde, qui avance en sachant qu’il peut à tout moment basculer et tomber. D’ailleurs, ne dit-on pas que « la vie ne tient qu’à un fil » ? Malgré la gravité de la situation, la mission du soignant prend le pas et il faut tout mettre en œuvre pour aider cette patiente. Cela peut paraître simpliste, pourtant face à ce genre d’évènement, quelques mots simples peuvent aider l’entourage à mieux comprendre la situation, surtout chez des personnes qui ont peu fréquenté l’école.
Aucun membre de sa famille n’est au courant de sa séropositivité ; car ne pas la taire, c’est risquer d’être exclue. Une véritable mort sociale qui favorise la perte de chances.
Mort sociale, mort tout court
Nous comprenons assez rapidement la situation, confirmée par la biologie : la patiente est déjà au stade S.I.D.A. A l’issue de l’entretien avec elle, tout s’éclaire. Aucun membre de sa famille n’est au courant de sa séropositivité ; car ne pas la taire, c’est risquer d’être exclue. Une véritable mort sociale qui favorise la perte de chances. La solidarité africaine a parfois ses limites car elle cohabite avec de nombreuses croyances (ethniques, traditionnelles, religieuses, voire médicales…). Au Togo, les patients séropositifs sont rejetés par leur famille, laquelle refuse de les toucher ou de manger dans les mêmes plats. Il s’agit pour elle d’éviter tout contact, de peur d’être à son tour contaminée. Ma patiente qui habite en pleine campagne, n’a pas pu faire le trajet depuis un moment pour venir en centre-ville récupérer ses traitements antirétroviraux mensuels à cause de problèmes au sein de son village. Murée dans son silence, son état de santé se dégrade assez rapidement... La mort sociale devient la mort tout court, comme c'était le cas en France il y a quelques années seulement.
#VIH : "Il y a 10/20 ans, on mourrait d'abord d'une mort sociale, avant de mourir physiquement". -> https://t.co/veEPNZp4Sg #serophobie
— Vivre avec le VIH (@VIHRadio) January 12, 2016
Education à la santé
Dès lors, la notion d’éducation, et plus précisément d’éducation à la santé, devient capitale. Savoir lire, parler la langue ou même compter, sont des éléments primordiaux pour éviter la propagation du virus. En plus de l’école, savoir lire une affiche et comprendre un message radiophonique sont des atouts non négligeables. Des travaux de recherche menés dans 42 pays d’Afrique montrent que l’essentiel de cette éducation a été reçu dans la rue ou avec les pairs, eux-mêmes peu ou pas informés, avec tout ce que cela comporte de fausses idées reçues et d’interprétations erronées. Ainsi, plus tôt les individus commencent leur vie sexuelle, moins ils sont à même de le faire en se protégeant de manière appropriée.
#Burundi #WorldAIDSDay "Il faut investir davantage dans la santé et l’éducation des adolescents et des jeunes femmes en vue d’accroître leur accès aux services et de réduire leur vulnérabilité à l’infection par le VIH" Directrice de l'#OMS pour l'Afrique pic.twitter.com/SFamREfnP2
— Ikiriho (@Ikiriho) December 1, 2017
Déconstruire pour reconstruire
Les apports théoriques reçus et les stages de terrain effectués lors de mes études en soins infirmiers ont été fondateurs de ma pratique. Mais mon histoire s’est aussi construite grâce à mon éducation et mes liens amicaux, français et européens. Sortir d’Europe, vivre d’une autre manière et soigner des personnes aux cultures différentes m’ont fait prendre de la hauteur, élaborer une autre vision du soin, une autre manière de « prendre en soins ». Au début de ma mission, j’ai été profondément bousculé car mes représentations sociales et culturelles ont été remises en causes. Pour comprendre les patients – atteints du VIH ou non – il m’a fallu déconstruire pour reconstruire certains concepts propres en lien avec mon éducation et mon travail. Sans jamais oublier mes racines ni les bases culturelles qui font de moi ce que je suis aujourd’hui, j’ai compris en mission au Togo l’intérêt grandissant de prendre en soins le patient dans la globalité à travers sa religion, ses moyens financiers, son niveau d’étude, son travail ou encore sa place au sein de sa famille. Je recommande vivement cette expérience qui m’a forgé, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel.
Konogan Desvaux
Infirmier Diplômé d’Etat
CHU d'Angers, pôle Neurosciences, Vieillissement, Médecine et Société (NVMS) depuis septembre 2019
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