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HUMOUR

Humour - Manuel de survie en milieu (in)hospitalier...

Publié le 01/10/2012
Manuel de survie en milieu (in)hospitalier...

Manuel de survie en milieu (in)hospitalier...

Didier Morisot est un contributeur apprécié de la communauté d’Infirmiers.com au travers de ses chroniques « déglinguées ». Il nous livre une fois encore le fruit de son imagination débordante et légèrement subversive... Son lexique hospitalier, manuel de survie en milieu hostile, donc (in)hospitalier, en atteste une fois encore. Enjoy !

Chers collègues, chers amis, il n’aura échappé à personne que si l’hôpital est performant dans le domaine du soin, il ne l’est pas forcément dans celui de la communication. La langue de bois hospitalière, assez proche de sa cousine la langue de bois politique, obéit en effet à des codes subtils qui désorienteront facilement le non initié. Afin d’éviter à certains le douloureux écueil du malentendu et les non moins cruels récifs de la désillusion, je vous propose humblement le fruit de longues années de décryptage professionnel…

Pour conserver son équilibre intérieur, l’infirmier(e) doit déjà prendre conscience des affirmations aléatoires - quand elles ne sont pas foireuses - qui vont rythmer son quotidien. Celle sur la ponctualité, par exemple, avec laquelle on le culpabilisera d’emblée.

Ex n° 1, donc : « Si vous arrivez trois minutes en retard le matin, vous serez sanctionné car le personnel hospitalier se doit d’être particulièrement rigoureux dans l’exercice de sa mission. » Comprenez bien que ce raisonnement est à sens unique, car si vous quittez le boulot en faisant une heure de rab tous les jours, c’est pour votre pomme ; le fonctionnement du service n’est pas en cause. Cela prouve simplement que vous êtes un gros nul en terme d’organisation…

Ex n° 2, un autre grand classique : « Pour ce qui est du repas, c’est très simple ; vous le prendrez en fonction des nécessités de service. » En fait, le message est limpide : si vous êtes anorexique vous allez a-do-rer…

Ex n° 3 : « Afin de faire des économies, nous privilégions les génériques dans notre pharmacie ; le personnel doit donc faire de (légers) efforts d’adaptation... » Tout ce qu’il faut pour te simplifier la vie, coco : le Tulassenmol 75 mg a donc été remplacé par 2 gélules de Rigidéria 37,5 mg, qui lui-même se substitue à 1/2 comprimé de Testostéronium 150 mg ou à 30 gouttes de Nitrocavernine. Le corps médical continuant bien sûr à prescrire l’un ou l’autre de ces produits, au gré de ses humeurs fluctuantes. Non, ce n’est pas source d’erreur.

Ex n° 4, où l’humeur évoquée est volontiers morose : « Si vous avez un souci durant la nuit, vous devez réveiller le chirurgien de garde »... surtout si vous avez envie de vous faire engueuler…

Ex n° 5 : « Les prescriptions par téléphone sont strictement interdites ! » mais si vous aimez vraiment vous faire pourrir la tête, c’est à vous de voir. Déjà que le gars au bout du fil est gracieux comme un pitbull en pleine crise d’hémorroïdes…

Ex n° 6, le syndrome du service archi-plein où tu regrettes de ne pas être payé en fonction de l’affluence : « …allo, la gastro-entérologie ? On va vous envoyer deux entrées… je sais que vous n’avez pas de place, mais on ne peut pas faire autrement, c’est comme ça ! » Inutile de résister, tu la fermes et tu installes deux lits superposés, en prenant bien en compte la pathologie des patients. Celui qui est constipé doit être couché en haut, tandis que l’autre, diarrhéique, doit être installé au niveau inférieur, histoire de limiter les dégâts collatéraux.

« Si vous avez un souci durant la nuit, vous devez réveiller le chirurgien de garde »...
surtout si vous avez envie de vous faire engueuler…

Des progrès substantiels... quoi que...

Heureusement, afin d’aider le personnel dans l’accomplissement de sa mission, l’Administration hospitalière développe de plus en plus un management de qualité en organisant le travail de manière quasi scientifique…

Ex n° 7 : « Nous avons un service de suppléance pour palier l’absentéisme de dernière minute, mais il est bien sollicité… » Même que la bête est moribonde, tellement elle est sollicitée. Alors si t’as besoin de rien, tu peux appeler la suppléance…

Ex n° 8, où l’on flirte avec une forme subtile de bizutage : « …rassurez-vous, au début vous serez doublé dans votre nouvelle affectation. » Au moins pendant une demi-heure, le temps que prendra la fille de nuit sur son sommeil pour te faire visiter le service. Après, roule ma poule…
Mais si l’organisation du travail proprement dite est perfectible, il faut quand même souligner les progrès réalisés dans le domaine de la gestion du matériel…

Ex n° 9 : « Pour commander un nouveau câble d’alimentation d’ECG, c’est très simple, il suffit de remplir le formulaire… » C’est d’ailleurs le formulaire X12-B modifié 2011-42, disponible au bureau 5437 au troisième étage du CH. La personne responsable tient une permanence les premiers mardis de chaque mois, entre 14 h 15 et 15 h 40. Mais pensez bien à lui envoyer une demande faxée le jeudi de la semaine précédente. Un jeu d’enfant… Par contre, soyons honnêtes, le management hospitalier souffre toujours d’un léger manque de rigueur en terme d’échéances précises…

Ex n° 10 : « Votre affectation en chirurgie est acceptée, mais auparavant nous vous demandons de remplacer une de vos collègues en géronto-psychiatrie, un petit moment. Pas très longtemps ; deux ou trois mois… » Effet inattendu de l’Administration qui vous entraîne dans le monde magique d’Einstein et de la Théorie de la Relativité ; trois mois, trois ans… le temps est bien une notion floue et élastique. Ah, vous étiez pressé(e) ? Dommage… Le rapport à l’écrit est également source de malentendu potentiel…

Ex n° 11 : « Tout acte effectué doit laisser une trace écrite, ce qui n’est pas marqué est censé ne pas avoir été fait ! » Si vous pouvez écrire tout ce que vous faites, c’est que vous avez le temps de vous poser devant un bureau. Finalement, vous ne bossez pas tant que ça. Par contre, si rien n’est marqué ça veut vraiment dire que vous ne foutez pas grand chose. Bande de nazes.

Ex n° 12, en lien direct avec les précédents : « Le patient est notre priorité ! » Oui, tout comme le but d’une usine à gaz est de produire du gaz. Il y a en effet une grande déperdition d’énergie à l’hôpital, et si la ménagère de moins de cinquante ans apprécie beaucoup les réunions à domicile où l’on vend des boites en plastique d’origine américaine, l’Administration recréée la même atmosphère douillette pour son encadrement. En certaines occasions, elle convie même quelques heureux élus des services de soins…

Ex n° 13 : « La présence d’un infirmier est obligatoire à la prochaine réunion. Il nous faut un(e) volontaire pour débattre du projet concernant l’agrandissement de l’hôpital ; l’avis du personnel est en effet primordial… » Le volontaire en question sera d’ailleurs bien inspiré de la fermer et de prendre exemple sur des modèles de discrétion éprouvés : palourde, quiche lorraine, potiche… Venir en blouse est par ailleurs conseillé, le blanc étant une couleur très harmonieuse qui s’accorde avec tous les styles de décos. Trop chou…

Ex n° 14, un peu dans la même veine : « Nous engageons une réflexion concernant l’accréditation de l’établissement. Voudriez-vous faire partie d’un groupe démarche-qualité ? » Facile, il suffit d’avoir un minimum de compétences en biologie marine : il faut noyer le poisson en établissant de jolis protocoles et en faisant de beaux dossiers pour l’ Agence Régionale de Santé (ARS). Et surtout, éviter de parler des choses qui fâchent. Ces réunions sont d’ailleurs cruciales pour aider nos instances dirigeantes à faire des choix éclairés concernant l’offre de soins au service de la population…

Ex n° 15 : « Les responsables de l’ARS doivent passer bientôt, ils veulent voir comment fonctionne l’hôpital au quotidien et tiennent absolument à venir à l’improviste… » Même qu’ils seront dans le service lundi prochain à 10 h 35, et que personne il est au courant. D’ailleurs, il faudra tout nettoyer auparavant, retirer ce qui encombre les couloirs et doubler les effectifs le jour en question. A l’improviste, on vous dit…

« Nous engageons une réflexion concernant l’accréditation de l’établissement. Voudriez-vous faire partie d’un groupe démarche-qualité ? » Facile, il suffit d’avoir un minimum de compétences en biologie marine..."

Du principe de réalité...

Le statut du personnel est également une grande source de perplexité pour les non initiés car il y a souvent un « décalage » entre les attentes des personnes et une réalité aussi rude qu’incontournable…

Ex n° 16 : « Je vais vous recevoir pour votre évaluation annuelle, nous allons passer en revue vos points forts et ceux qui sont perfectibles. Par ailleurs, nous discuterons de votre projet professionnel…» Bon, en fait c’est peut-être pas la peine d’y passer la journée, de toutes façons j’ai un quart de point à distribuer à tout le monde, et basta. Alors on cause cinq minutes gentiment, vous signez votre note et vous retournerez jouer avec vos petits camarades…

Ex n° 17, où la notion de temps nous rapproche encore une fois d’Einstein et de sa foutue théorie élastique : « En principe, nous titularisons le personnel après une courte période de stagiairisation… » Et la marmotte, elle met la titularisation dans le papier d’alu. Et elle la met au frigo pendant quelques années…

Ex n° 18, où en fait de frigo les crédits fondent comme un eskimo à la vanille sur un barbecue : « Notre politique de formation professionnelle est très dynamique, malgré certaines contraintes budgétaires… » Tiens, fume, c’est surtout la marmotte qui est dynamique, car elle emballe aussi les demandes de formation. Une pêche d’enfer, la bestiole…

Ex n° 19, plus subtil, réservé aux amateurs de sport extrême : « Nous sommes d’accord pour financer votre formation cadre, mais au préalable nous vous demandons de faire fonction de cadre de proximité dans un service de soins pendant deux ans. Nous pensons d’ailleurs à un service en particulier où l’équipe infirmière aurait besoin un peu d’être reprise en mains. » En fait, il s’agit de faire diversion et d’encaisser la grogne de vingt personnes afin qu’elles arrêtent de gonfler le corps médical et l’Administration ; si vous êtes toujours en vie après avoir servi de punching-ball pendant deux ans, promis, on reparle de votre formation…

De la compassion vous dis-je !

Malgré tout, nous sommes à l’ère de la communication et il faut reconnaître à l’hôpital une grande attention portée au mal-être de son personnel. Un sacré soulagement, les p’tits loups…

Ex n° 20 : « En cas de problème inattendu, nous sommes à votre écoute ; vous devez rédiger une fiche d’événement indésirable afin que nous puissions prendre toute mesure nécessaire afin de prévenir l’apparition d’un nouvel incident… » Oui, mais c’est sans compter avec notre amie la marmotte, prise de pulsions incoercibles ; elle emballe frénétiquement la fiche dans le papier d’alu et la refile à la vache qui appuie sur la pédale. Et le papier d’alu disparaît dans les oubliettes de l’hôpital. bbrrr…

Ex n° 21, où votre employeur plein de compassion vous aidera à faire le deuil de votre bronzage : «…nous avons des soucis budgétaires, le remplacement des congés d’été risque d’en être perturbé. » Un doux euphémisme. Vous devrez en effet apprendre à aimer les plages d’automne et les marées d’équinoxe. Ainsi que le petit crachin qui vous fouette le visage et les cirés jaunes imperméables. Une consolation cependant ; vous éviterez les coups de soleil.

Ex n° 22, où votre sécurité est un souci majeur de la hiérarchie : « La violence à l’hôpital est hélas une réalité, en cas de péril imminent vous pouvez exercer votre droit de retrait… » Mais tant qu’il ne s’est rien passé vous restez où vous êtes. Bref, le droit de retrait c’est comme la technique du même nom utilisée pour le devoir conjugal... on se retire en fait lorsque le coup est déjà parti. Trop tard ; c’est ballot, hein ?

Ex n° 23, où on croit un instant bosser dans une boulangerie, tellement on se fait rouler dans la farine : « Le droit de grève est fondamental et chaque employé est libre de participer au mouvement social de son choix. L’hôpital devant toutefois assurer la continuité du service public, vous pouvez éventuellement être réquisitionné à votre poste de travail. » Mais comme cette foutue continuité est de toutes façons assurée par un minimum de personnel, ça ne change rien : vous êtes réquisitionné, et basta. En contrepartie, vous bénéficiez d’autres droits ; celui de ne pas être d’accord et celui de faire la gueule. Et ceux-là on n’y touche pas, c’est promis…

"L’hôpital est un lieu magique où les marmottes emballent les papiers dans des feuilles d’alu resplendissantes, aidées en cela par de braves vaches qui appuient sur des grandes pédales en épicéa..."

De la douceur que diable...

Mais pour finir, un peu de douceur dans ce monde de brutes…

Ex n° 24 : « …la joie de Noël ; à cette occasion, l’hôpital se fait un devoir d’offrir à votre enfant un cadeau modeste mais de qualité, afin de lui apporter un moment de plaisir intense… » Sapin blanc et boules de neige, bonne année grand-mère… Opération réussie : votre gamin rit nerveusement lorsqu’il voit la tronche de son cadeau. Mais quand son cousin lui montre ce qu’il a reçu du Comité d’Entreprise de Total où son père travaille, là il se met à pleurer… Et le regard rempli d’un reproche silencieux, il semble vous demander quel est donc cet endroit bizarre où vous travaillez, ces gens capables d’offrir des jouets que l’on s’attend à trouver dans un baril de lessive ou une boite de céréales, mais sûrement pas dans une fête de Noël. Alors, vous essayez de le consolez… grisé par le mousseux premier prix généreusement offert par votre employeur, vous lui racontez que l’hôpital est un lieu magique où les marmottes emballent les papiers dans des feuilles d’alu resplendissantes, aidées en cela par de braves vaches qui appuient sur des grandes pédales en épicéa… vous lui dites aussi que depuis que vous êtes infirmier vous avez été initié au monde merveilleux de la physique quantique : Einstein, la Relativité, un univers fantastique où le temps s’écoule différemment… Et là, vous avez un éclair de lucidité, vous réalisez que le reproche silencieux de votre enfant se transforme en début d’inquiétude… Et puis après, vous ne vous souvenez plus. Ou si peu… ah oui, la gamelle en sortant de la salle des fêtes, le canapé sur lequel vous avez passé la nuit… et le pic-vert qui tambourine dans votre crâne à 5 h du matin. ppfff… heureusement, il vous reste du Doliprane, ou plutôt du Dafalgan pour calmer le marteau-piqueur… euh non, en fait c’est de l’Efferalgan. Mais peu importe, depuis que vous bossez en médecine, vous êtes au point côté génériques…

Par contre vous ne l’êtes pas avec la suite, vous ne l’avez jamais été… « Didier, il faut qu’on parle ». Aïe, aïe, aïe, la phrase de la mort qui tue… là aussi ça mérite une traduction : « Lexique conjugal, manuel de survie en terre inconnue. » Mort de rire. Promis, je vous fais ça dés que j’ai plus la migraine, les p’tits loups…

Didier MORISOT
Infirmier en Saône-et-Loire
didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com