Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

ETHIQUE

Hospitalier à Conques... mais pas à l'hôpital...

Publié le 11/12/2013
Saint-jacques de Compostelle

Saint-jacques de Compostelle

L'infirmier Morisot nous réveille régulièrement avec ses chroniques décalées... Aujourd'hui, s'il garde son ton habituel à la San Antonio, il nous livre une partie plus cachée de sa personne : hospitalier à Conques, étape des pèlerins des Chemins de Compostelle. L'infirmier n'y est jamais bien loin...

Les refuges-étapes : indispensables pour se ressourcer sur les Chemins de Compostelle, notamment grâce aux hospitaliers

A 7 heures, la journée commence par le petit-déjeuner. Chose très normale, finalement, le jour où on débutera par le dîner vous me ferez signe. Bref, les clients grattent déjà à la porte depuis dix minutes et l’hospitalier que je suis - on n’a pas des métiers faciles - (cf. encadré « La fonction d'hospitalier : ancêtre du métier infirmier ») ouvre le réfectoire en serrant la pince de chacun. La nuit a été courte et les cernes sous les yeux de certains veulent dire la même chose que ceux des troncs d’arbre : ils correspondent bien à l’âge des propriétaires ! Cela dit, le règlement est souple et la grasse matinée est possible, la cantine restant ouverte jusqu’à 9 heures. Une échéance qui permet de limiter les valises sous les paupières.

Chacun voit donc midi à sa porte (j’adore ces expressions à deux balles) et chacun fait donc comme il veut dans ce service où les pensionnaires ne restent qu’une journée, rarement plus.

Rappelons que le café est un excellent support à la relation. J’avise donc un gaillard dont j’ai soigné les pieds hier. Respect de l’espace vital, synchronisation gestuelle, rappel du cadre de l’entretien… je me pose face à lui, un peu en biais, un bol à la main.

- Je peux m’asseoir cinq minutes, pour prendre un jus avec toi ?

Question idiote qui ne mérite même pas de réponse verbale. Fabrice, puisque c’est son nom, me montre en souriant le pot de confiture. De rhubarbe. Afin d’évaluer l’impact de mon action thérapeutique de la veille, j’effectue un recueil de données sur l’évolution de sa pathologie dermique.

- Ça va, garçon, tu peux remuer les orteils sans grimper au plafond ?

Fabrice prend la tête du gars qui vient d’enterrer sa grand-mère.

- on va dire ça comme ça. En fait, je vais réduire le rythme, ce soir je vais m’arrêter à Livinhac ; une vingtaine de bornes, seulement…

La fonction d'hospitalier : ancêtre du métier infirmier...

Au cœur de la vallée du Lot, Conques est une étape incontournable des Chemins de Saint-Jacques de Compostelle. A L'abbaye Sainte-Foy, les pèlerins sont accueillis par des « hospitaliers ». Le rôle de l’hospitalier est de recevoir les pèlerins, les orienter vers les dortoirs, leur servir les repas - et parfois les préparer - et participer à certains travaux ménagers. En France, Conques, Estaing et Moissac sont les refuges qui demandent le plus souvent des hospitaliers pour une quinzaine de jours. Le refuge de Saint-Palais est aussi demandeur. Sur les chemins de Tours, Vézelay ou Arles, les hospitaliers peuvent également être utiles. Tout le monde peut ainsi se proposer en tant « qu'hospitalier ».  Il est cependant recommandé d'avoir marché au long cours, voire d'être allé jusqu'à Compostelle soi-même, histoire de comprendre ce que vivent les pèlerins et de mieux les accueillir. Toutes les classes sociales sont représentées : du docker du Havre au colonel d'infanterie. Un refuge sur ce chemin est donc un endroit très particulier où les gens se mélangent. Un peu comme à l'hôpital mais sans les contraintes qui y sont rattachées. L'accueil et l'écoute restent donc les premières vertus pratiquées par les hospitaliers dans les refuges-étapes. 

Une légère odeur de chien mouillé... et pourtant !

Petit débriefing post-traumatique autour d’une tartine de pain frais. Christian, assis en bout de la table, ne discute pas mais en profite pour taxer la confiture. L’expression « bouffer comme un chancre » a été créée pour lui, et la rhubarbe est bientôt en phase terminale. Les autres marcheurs profitent du moment pour recharger les batteries dans le calme et la bonne humeur… là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Et (légère) odeur de chien mouillé. Oui, il a plu hier. Nathalie, hospitalière également, débarque juste après la fin de la rhubarbe. Chacun a un champ d’action bien précis, défini par des protocoles rigoureux et ma collègue est responsable qualité de l’entreprise. Elle nous salue donc, tout en effectuant les contrôles inhérents à sa fonction.

- Alors, il est buvable ton café, ou t’as encore fait du jus de chaussette ? 

Nathalie avale en effet un clown tous les matins. D’ailleurs, c’est devenu un vrai problème ; les cirques de la région ne trouvent plus de personnel.

Bref, avant de partir, ceux qui le demandent peuvent emporter le casse-croûte de midi, au prix imbattable de cinq euros. L’argent récolté est aussitôt placé en lieu sûr, soigneusement mis en vrac dans une boite à gâteaux qui se promène sur la table de la cuisine. La comptabilité a beau être rigoureuse, elle autorise toutefois la bienveillance en cas de porte-monnaie anorexique.

Repérer la demande non formulée est également une qualité professionnelle indispensable de l’hospitalier. J’aperçois un gars qui tournicote, l’air un peu gêné. Diagnostic infirmier : tergiversation relationnelle liée à un manque de liquidités.

- Tiens, prends ce casse-croûte. Si tu veux, tu peux mettre une pièce dans le tronc « donativo » qui est vers l’accueil.

La notion de « porte de sortie » est ici essentielle afin de préserver la fierté ou le sentiment de sécurité de l’interlocuteur. L’hospitalier, et surtout l’infirmier qui l’ignore, risque bien de se faire tarter un jour ou l’autre… 

J’aperçois un gars qui tournicote, l’air un peu gêné. Diagnostic infirmier : tergiversation relationnelle liée à un manque de liquidités

Doucement le matin... pas trop vite le soir...

Le départ des marcheurs sonne l’heure de la vaisselle. Mais seulement après la pause syndicale qui dure un certain temps, en fonction des retardataires à qui l’on tient compagnie, de l’humeur de chacun et de la météo du jour. La pluie entraînant le besoin collectif de se réunir autour d’un café bien chaud. Programme à venir : réfection des lits, ménage, poubelles, temps libre, courses, discussions avec les uns ou les autres (mais surtout les autres)… tout cela nous entraînant vers un déjeuner très rapide dont la durée n’excède jamais une heure-et-demie !

Pendant qu’on y est, faites-moi penser de remplir une fiche d’événement indésirable : le canard aux morilles n’était pas aussi bon que la semaine dernière.

La sieste digestive fait ensuite partie du rituel incontournable. Impossible, en effet, de prendre soin des autres si on ne prend déjà pas soin de soi-même. Puis, ouverture de la boutique à 14 heures : une centaine de clients au mois de mai, un ou deux en hiver : « bonjour, bienvenue au club, je vais vous montrer vos appartements. Vous voulez boire quelque chose, auparavant ? »

Ici, l’administratif est réduit au minimum : deux minutes de papier avant dix minutes d’accueil. Ou plus si affinités. Ceux qui arrivent boivent un coup à l’ombre, le temps qu’un hospitalier se libère. Aucun toubib caractériel en vue, pas de brancard où l’on attend dessus 24 heures, sous les néons…   L’hôpital idéal, en fait, où le but est bien d’accueillir les gens et non pas de justifier de son activité en tapant deux ou trois heures sur un clavier. Ici, donc, pas de dossier infirmier (que personne ne lit mais qu’il faut bien remplir) : vous comprenez, un joli dossier informatique est indispensable pour l’accréditation. Et ta sœur, elle fait la soupe en recopiant des recettes de cuisine, sans toucher une seule casserole ?  

La sieste digestive fait ensuite partie du rituel incontournable. Impossible, en effet, de prendre soin des autres si on ne prend déjà pas soin de soi-même

Bien sûr, « travailler » de cette manière, accueillir le pèlerin bénévolement ne nourrit pas son homme. Par ailleurs, j’en sens quelques-uns au bord de la crise de nerfs : quoi ! bosser gratos ? Déjà qu’on est mal payé, on va pas nous refaire le coup des bonnes sœurs !On se calme, les p’tits loups, mon but n’est pas de proposer un nouveau modèle économique basé sur un esclavage joyeux et volontaire, mais de réfléchir à un simple mot sur lequel repose notre statut infirmier.

Hospitalier, ère - adj. 1. Relatif aux hospices, aux hôpitaux. Centre hospitalier. 2. Anc Ordres hospitaliers : ordres religieux qui soignaient les malades, hébergeaient les pèlerins.  -  Autre sens : qui exerce volontiers l’hospitalité.

Je ne sais pas vous, mais personnellement, à l’hôpital j’ai toujours galéré pour pratiquer mon job comme j’aurais aimé le faire. La charge de travail, la hiérarchie, les règlements lourdingues, les ambiances difficiles… Bref, il m’a fallu attendre d’être hospitalier bénévole, ici à Conques, pour toucher du doigt le cœur de mon métier d’infirmier. Car pourquoi faisons-nous ce boulot impossible si ce n’est pour nous frotter aux autres et leur apporter un peu de bienveillance dans un monde de sauvages ? En tout cas, je vois le machin comme ça. Le cœur de notre métier est bien dans la relation. Il n’est ni dans la paperasse, ni dans les jeux de pouvoir où la mienne est plus grosse que la tienne, et encore moins dans les soins techniques. Cela dit, la technique est vitale - nous sommes d’accord - mais elle n’est pas centrale. Dans ce cas, mieux vaut être réparateur d’horloges franc-comtoises ou programmeur sur machine numérique.

Bref, il m’a fallu attendre d’être hospitalier bénévole, ici à Conques, pour toucher du doigt le cœur de mon métier d’infirmier

Ne jamais conclure...

Pas sûr que notre profession sortira du cambouis avec ce qu’on nous fait miroiter, une vague équivalence universitaire… En fait, notre système de santé n’est que le reflet de tout le reste, le reflet de nos choix incohérents. Car nous voulons tout et son contraire, une société compétitive et procédurière, en l’occurrence. L’hôpital est donc devenu une grosse usine à gaz incontrôlable, un monstre que personne n’arrive plus à réformer…

Voilà, c’est tout. Juste un billet d’humeur, un petit constat personnel. En attendant d’accueillir à nouveau le pèlerin, je vais quand même aller chercher deux trois sous pour payer les factures. J’irai vendre mon corps dans une boite d’intérim, et je soignerai - entre autres - des gens malades du travail, malades de solitude, malades de ne pas manger de la confiture de rhubarbe dans une odeur de chien mouillé…  Dommage, non ?

Didier MORISOT Infirmier en Saône-et-Loire didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com