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GRANDS DOSSIERS

H1N1 : se vacciner ou pas ?

Publié le 15/10/2009

Toute stratégie thérapeutique ou vaccinale est soumise à l’évaluation de son rapport bénéfices/risques, selon des méthodes scientifiques rigoureuses, mais ne prémunissant pas contre l’absence de zones d’incertitude. C’est dans celles-ci que se nichent les polémiques. La vaccination contre le virus H1N1 n’y échappe évidemment pas.

Une mise au point utile a été donnée lors du point presse du 8 octobre 2009 par les directeurs ou présidents de 4 institutions chargées de conseiller le gouvernement sur la politique vaccinale d’un point de vue scientifique : la DGS (Direction générale de la santé), l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), le CTV (Comité technique des vaccinations) et enfin la commission « maladies transmissibles » du HCSP (Haut Conseil de la santé publique). Ce dernier a remis un avis le 2 octobre, dans lequel il précise que les critères qu’il retient pour définir des groupes à risque sont sanitaires : les autres ne relèvent pas de sa compétence.

Les critères d’une politique vaccinale ne sont pas que sanitaires

En effet, d’autres paramètres interviennent pour définir une politique vaccinale. Il y a eu ainsi un début bien timide de débat quand c’était la grippe H5N1 qui était redoutée : faut-il vacciner en priorité les professionnels dont le métier est jugé indispensable à la continuité du fonctionnement des administrations et des entreprises ou faut-il se préoccuper d’abord des populations défavorisées, les plus vulnérables en cas de pandémie ? Il ne faut surtout pas s’imaginer que la grippe H1N1 le rende obsolète : au train où vont les échanges internationaux, il est probable qu’un jour, peut-être pas si lointain, surgira une maladie inconnue ou jusqu’alors rare, mais redoutable, et pour laquelle il faudra fabriquer un vaccin en urgence.

La défiance envers les experts

Ces avis basés sur des critères sanitaires émanent-ils d’experts à la « solde des labos » ou prêts à tenter une « expérimentation de masse » en l’absence d’études cliniques suffisantes, comme cela a pu être écrit ? Il est indéniable que certains scientifiques sont peu recommandables et certaines institutions pas toujours à la hauteur de leur mandat. Mais c’est en rien connaître au fonctionnement de la science que s’imaginer qu’elle est un champ clos et serein dans lequel des spécialistes s’arrangent entre eux ou, comme des théologiens intégristes, façonnent le dogme.

Les discussions peuvent y être âpres et rudes. Comme tous leurs avis, ceux de la commissions du HCSP et du CTV relatifs à la vaccination contre H1N1 ont été précédés de débats d’experts, puis de votes auxquels n’ont pas pris part les quelques membres ayant déclaré un « conflit d’intérêt ». S’il y a un « complot » ou une inconscience coupable, il faut en apporter des éléments de preuve : dans toute société de droit, un prévenu est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire. C’est précisément le privilège de nos démocraties que nombre d’abus soient reconnus et dénoncés. La défiance envers les scientifiques s’alimente de quelques abus bien réels, mais elle traduit surtout la défiance généralisée propre aux Français.

Les experts ne sont pas des astrologues

Dernière précaution : les experts n’ayant pas la science infuse, comme nous tous ils ne savent pas de quoi demain sera fait. Aussi, leurs prévisions peuvent elles être incertaines et leurs avis sujets à changements. Pour la grippe H1N1 comme pour ses vaccins, c’est l’avenir qui tranchera sur un certain nombre de problèmes. Tant pis pour ceux qui ne peuvent pas se passer des certitudes astrologiques : les scientifiques ne sont pas des voyants. Quant au simple citoyen, il faut parfois qu’il pense par lui-même. Est-ce si terrible ? Il est vrai que l’éducation reçue à l’école ne l’aide pas beaucoup, mais c’est un autre (et gros) problème.

Vaccination publique : un essai « grandeur nature » ?

Revenons donc à celui qui est posé ici. Il est relativement simple. Contrairement à ce qui était attendu avec le virus H5N1, la grippe due au virus H1N1 est le plus souvent bénigne, mais elle est très contagieuse. Il est possible qu’au total 30 % de la population soit atteinte. Tout le monde ne le sera pas en même temps. La vaccination est incontestablement le meilleur moyen de limiter l’extension et la vitesse de l’épidémie, à deux conditions : que les produits soient prêts suffisamment tôt, avant le pic pandémique ; que leur innocuité soit garantie.
La première condition semble réalisable (à la surprise de beaucoup, y compris la mienne) : les procédures de sécurité ont été accélérées, ce qui ne veut pas dire bradées. Par ailleurs, la surveillance mise en place pour tout produit de santé mis sur le marché va évidemment s’appliquer aux vaccins, voire être renforcée.

Elle a pour but de détecter tout effet indésirable non prévu ou de fréquence anormalement élevée. Mais décider que tel phénomène est dû au vaccin n’est pas si simple, pour deux raisons. D’une part, aussi bizarre que cela puisse paraître aux juges pressés, il y aura forcément des personnes qui tomberont malades qu’elles aient été vaccinées ou pas. Il faudra du temps pour décider d’un éventuel lien de cause à effet, surtout si celui-ci est tardif. D’autre part, il faudra faire la part des effets dus au vaccin contre H1N1 de ceux dus à celui contre la grippe saisonnière. Les solutions simples sont les bienvenues, à condition qu’elles ne soient pas simplistes.
La seconde condition est l’objet d’une polémique, lancée en France notamment par un syndicat infirmier et relayée par les médias. Elle semble rencontrer un écho certain dans l’ensemble des professions de santé. Ainsi, un sondage récent (organisé par la Commission médicale hospitalière et le syndicat MG-France) montre que plus de 40 % des médecins généralistes envisagent de ne pas se faire vacciner.

Guillain-Barré : un risque dû à la grippe bien supérieur à celui dû aux vaccins

Les opposants à la vaccination avancent qu’elle comporte des risques bien supérieurs à ceux de la grippe H1N1, dans l’ensemble plutôt inoffensive. Ils invoquent volontiers le précédent fâcheux de la campagne de vaccination américaine de 1976 contre la grippe : lancée trop rapidement (et avec un vaccin sans adjuvant …), elle a été accusée de multiplier le risque d’apparition de syndromes de Guillain-Barré (ce syndrome provoque une paralysie générale et parfois fatale). Cela n’a jamais été prouvé. Depuis, ce risque est mieux documenté, même s’il manque encore d’études d’envergure pour l’apprécier précisément. En gros, les experts s’accordent pour estimer que le risque de Guillain-Barré dû à la grippe H1N1 est entre 4 et 7 fois supérieur à celui dû au vaccin, si celui-ci existe.

Le vaccin contre le virus H1N1 ne diffère pas fondamentalement des vaccins contre les grippes saisonnières, utilisés massivement depuis quelques décennies. Leur rapport bénéfice/risque est incontestablement positif. Le problème français serait plutôt celui de l’insuffisance de la couverture vaccinale… Il faut d’ailleurs rappeler ici que les deux vaccinations (grippe saisonnière, H1N1) sont complémentaires. L’étude montrant que le vaccin contre un type de grippe protège contre l’autre ou celle montrant une protection contre H1N1 chez les personnes ayant eu la grippe saisonnière sont des études de cas, les plus faibles scientifiquement, ne sont confirmées par aucune autre, ne correspondent à aucun mécanisme physiopathologique connu et sont probablement dues à des biais méthodologiques, contre lesquels les scientifiques passent une bonne partie de leur existence à se battre.

Adjuvants et conservateur : quelle incertitude ?

Second argument des opposants : certains des vaccins contre le virus H1N1 utilisent des adjuvants (squalène, par exemple) afin de diminuer la dose efficace ou un conservateur (thiomersal). L’innocuité de ces produits ne serait pas garantie, par insuffisance du nombre de patients recrutés dans les essais cliniques permettant leur évaluation.

Cependant, le danger est considéré comme très faible par la plupart des experts, parce que ces produits ne sont pas réellement nouveaux : ils ont déjà été utilisés sans problème majeur avec d’autres vaccins chez des milliers de personnes. Reste que l’imprévu est toujours possible : c’est pourquoi toute mise sur le marché est suivie de la surveillance d’une éventuelle apparition d’effets indésirables (dite pharmacovigilance).

Le cas des femmes enceintes (et de quelques autres)

Mais alors pourquoi le Haut Conseil de la santé publique conseille t’il l’usage de vaccins sans adjuvants dans certains groupes à risque, notamment les femmes enceintes, les nourrissons âgés de 6 à 23 mois et certaines personnes immuno-déprimées ?
Les données épidémiologiques actuelles montrent que les femmes ont un risque majoré de gravité en cas de grippe A (H1N1) et, parmi elles, surtout les femmes enceintes, à partir du 2ème trimestre de grossesse. Celles-ci font donc partie de la population à vacciner en priorité. En l’absence de données suffisantes, l'innocuité des vaccins avec adjuvants n’est pas prouvée chez elles. Il est donc préférable de leur administrer des vaccins sans adjuvant. Il s’agit d’une mesure classique de précaution justifiée par une incertitude d’ordre statistique, comme il en existe fréquemment pour les risques de faible fréquence dans les groupes relativement restreints de populations. De même, il n’est pas recommandé de leur administrer les vaccins cultivés sur cellules parce qu’étant fabriqués avec des virus entiers (alors que les autres le sont avec des fragments de virus), ils donnent des réactions immunitaires trop importantes chez elles.

Cependant, les vaccins sans adjuvants ne seront sans doute pas disponibles avant quelque temps. Le problème est majoré par le délai d’action du vaccin, trois semaines après deux injections séparées elles-mêmes de trois semaines (qui reste la règle malgré des données laissant penser qu’une seule dose suffirait). S’il n’existe pas de certitude statistique sur l'innocuité des vaccins adjuvantés chez ces femmes, il n’existe pas non plus de donnée montrant un danger majeur. Aussi, en attendant de nouveaux faits, le HCSP recommande l’administration de ces vaccins aux femmes enceintes de plus d’un trimestre « si les données épidémiologiques justifient une vaccination urgente ». Si ça n’est pas le cas, il est demandé aux médecins d’évaluer la prescription de la vaccination chez ces femmes au cas par cas. En somme, il leur demande de réfléchir. A lire les réactions de ceux qui n’aiment que les certitudes, ce serait au mieux embarrassant, au pire scandaleux.
Enfin, comme pour les nourrissons, il est de toute façon fortement conseillé que leur entourage soit vacciné : c’est une excellente mesure de protection.

Grippette, vaguelette, à quand le tsunami ?

Reste un argument de bon sens : même si les vaccins sont sans danger, pourquoi se faire vacciner contre une « grippette » ? D’abord parce que le virus H1N1 n’a pas disparu, loin de là ! Il demeure prépondérant parmi les virus grippaux en circulation : il y a bel et bien une pandémie. Va t’elle rester à un niveau modeste ? Le professeur Christian Perrone (président de la commission « maladies transmissibles » du HCSP) a qualifié de « vaguelette » la première phase épidémique. Il est probable que la météo inhabituellement clémente y soit pour quelque chose.

Mais il ajoute qu’une deuxième vague est très probable, sans doute fin décembre ou début janvier. Rien ne laisse penser pour l’instant que ce sera un tsunami. Mais si elle ne tue « que » comme la grippe saisonnière et si, comme il est probable, elle atteint une proportion bien plus importante de population, notamment parce que celle-ci ne sera pas suffisamment vaccinée, elle fera quelques milliers de morts, dont des jeunes. En outre pendant plusieurs semaines, il y aura beaucoup de gens malades, même si chacun ne l’est pas longtemps, avec un risque de perturbation importante du fonctionnement social par absentéisme (écoles, entreprises, administrations, transports, etc.) et par engorgement des structures de soins.

Un essai « grandeur nature » d’une épidémie sans vaccin a eu lieu en Australie, située dans l’hémisphère sud. Les mesures qui ont permis de contenir l’épidémie sont l’isolement des personnes atteintes (dans la mesure du possible), les mesures « barrières » préconisées en France et la prescription massive de Tamiflu®. Il faut noter au passage que cela donne raison à ceux qui font remarquer qu’il y a quelques incohérences à réserver ce médicament aux personnes qui font une grippe sévère, puisqu’il est efficace (relativement) en début de maladie et que la sévérité n’apparaît que 5 à 7 jours après celui-ci, et qu’il est surtout utile pour raccourcir la durée de contamination, donc ralentir la vitesse de l’épidémie. Il faut surtout remarquer qu’au sud, les hivers sont cléments, ce qui n’est pas garanti chez nous.

L’individualisme contre l’altruisme

En définitive, le vrai problème est ailleurs. Qu’il s’agisse des mesures barrières, du Tamiflu® ou de la vaccination, il s’agit non pas avant tout de se protéger soi, individuellement, mais de protéger son entourage le mieux possible et de limiter la propagation du virus. C’est pour cela que la ministre de la santé engage à une vaccination « altruiste ». Elle est manifestement peu entendue. Pour certains observateurs, dont votre serviteur, le problème principal posé par la grippe est aujourd’hui celui de la communication gouvernementale, alors même que les mesures prises sont tout-à-fait défendables : comment convaincre les gens en quelques semaines que le sort de chacun est lié à celui des autres alors que prévaut l’idéologie du bien-être individuel ?

Résumé : Le rapport bénéfices risques de la vaccination contre le virus H1N1 n’apparaît pas franchement positif à de nombreux commentateurs. Ils sont encouragés par le caractère jusque là relativement bénin de la pandémie. Il est possible que leur meilleur allié soit la météo : si l’hiver venait à être rude, l’insuffisance de la couverture vaccinale dans la population pourrait s’avérer un gros problème. Reste qu’il est difficile de convaincre pour un bénéfice qui n’est pas qu’individuel.

Serge Cannasse
Rédacteur Infirmiers.com
serge.cannasse@wanadoo.fr
http://www.carnetsdesante.fr

 


Source : infirmiers.com