La préparation est un vecteur de réussite, dont l’Institution militaire connaît bien la force. Ainsi, elle a placé au cœur de son quotidien l’importance première de la préparation opérationnelle, dite "prépa OPS", pour l’ensemble des professionnels des armes. Déployée à tous les niveaux hiérarchiques et spécifique à chaque composante militaire (la préparation diffère selon le domaine d'emploi), la préparation opérationnelle est non seulement un passage inaliénable de la formation initiale du soldat mais aussi une priorité de la formation continue. En conséquence de quoi, ce souci de l’aptitude fondamentale permet de respecter ce principe martial : Un militaire doit pouvoir servir en tout temps et en tout lieu, du première classe à l’officier. Fort de cela, à l’aune de la crise sanitaire, durant laquelle les professionnels de santé sont investis de la qualité de "combattant", en "première ligne", peut-on en dire autant sur la qualité de la préparation opérationnelle initiale et continue de nos forces soignantes ?
Les enseignements de la crise sanitaire sont évidemment multiples. Pour ainsi dire, polymorphe et relativement transversaux tant ils abordent la plupart des dimensions du soin. Or, dans le domaine de la gestion de crise, la préparation au "combat sanitaire", inhérente à la condition de soignant, est une notion assez peu exprimée de façon générale en dépit du fait que la majeure partie d’entre eux ont dû surseoir, quasi-individuellement, à cette insuffisance de façon presque autodidacte. Alors, à l’heure où les professions de santé font évoluer le champ d’action et leurs domaines d’activités, enrichis de l’expérience de la crise sanitaire, la profession infirmière doit-elle s’inspirer du modèle militaire afin d’intégrer la compétence de gestion de crise au travers de la préparation opérationnelle ?
46 heures sur 3 ans pour se préparer efficacement
Dans le cadre de leur formation initiale, les ESI reçoivent un premier enseignement obligatoire (arrêté du 3 mars 2006) de 21 heures leur permettant d’obtenir l’Attestation de Formation aux Gestes et Soins d’Urgences (AFGSU de niveau 1 et 2), elle-même soumise à une actualisation tous les quatre ans. En première ou deuxième année de formation, cette première approche fondamentale permet d’acquérir les basiques de la méthodologie de prise en soin, individuelle et en équipe, d’une situation d’urgence, cela dans les cas de figures les plus "emblématiques" (arrêt cardio-respiratoire, hémorragie…). Pour autant, bon nombre d’ESI - et c’est tant mieux - ne seront pas confrontés à la réelle gestion d’une urgence vitale ou relative jusqu’au semestre 4. L’unité d’enseignements "soins d’urgences" du 4ème semestre, qui comptabilise au total 25 heures (réparties en 3 heures de cours magistraux, 18 heures de travaux et 4 heures de travaux pratiques), permet quant à elle de mettre en application et de compléter les apports reçus durant la formation AFGSU. Allant de l’usage des thérapeutiques de l’urgence (ex. catécholamines, antiarythmique, sédatifs…) jusqu’aux principaux antidotes, tout en passant par l’appréciation d’un diagnostic hypothétique, en fonction de l’identification de mécanismes physiopathologiques, une semaine n’est-elle pas trop peu afin de garantir un socle clinique ainsi qu’une familiarité minime dans ce domaine ? En effet, une fois cette unité d’enseignements validée, peu d’ESI reviendront toucher du doigt la gestion de crise, appréhendée durant seulement un total de 46 heures sur les trois années de formation, soit environ à peine plus de 15 heures par an. Jusqu’au jour où la réalité vient frapper à la porte, avec toutes les conséquences (cliniques, psycho-sociales, juridiques) que cela peut entraîner pour un étudiant sous-entraîné, à son corps défendant…
Faisant acte de curiosité professionnelle tout à leur honneur, les IDE "de renfort" ont su se saisir de ces nouveaux enjeux professionnels en allant chercher seuls l’information et la formation
Polycompétence opérationnelle : levier d’efficience
Tous les quatre ans, les infirmiers professionnels doivent répondre à l’obligation d’actualisation de leur AFGSU. En l’état, c’est leur seule obligation de formation continue dans le domaine de la préparation opérationnelle ou de la gestion de crise. En effet, le développement professionnel continu est, tel qu’il encadré actuellement, individuel et donc libre de son orientation, laquelle est décidée en commun avec le management de proximité ou isolément dans son coin, selon que l’on soit salarié ou libéral. En ce qui concerne la préparation opérationnelle à la gestion du risque incendie, l’ensemble des professionnels exerçant au sein des établissements de santé médico-sociaux renouvellent obligatoirement la formation ad hoc en complément d’exercices annuels d’évacuation. Enfin, en ce qui concerne la mise en œuvre des plans de gestion du risque hospitalier (plan blanc), l’organisation d’un exercice de type "afflux massif de blessés" se réalise dans nombre d’établissement mais nécessite, par la même, la mobilisation conséquente de nombreux IDE en poste ce jour-là. Sur ce point, la crise sanitaire nous l’a prouvé, beaucoup d’IDE ont fait preuve de bonne volonté en souhaitant notamment renforcer les équipes des services de réanimation fortement assujetties en cette période. Pour autant, ils ont exprimé aussi vite un manque de formation continue dans le domaine des soins continus et de réanimation, voire même dans les soins d’urgences (thérapeutiques et gestes compris), faute d’avoir pu entretenir ou enrichir leur savoir sur le long terme… Faisant acte de curiosité professionnelle tout à leur honneur, les IDE "de renfort" ont su se saisir de ces nouveaux enjeux professionnels en allant chercher seuls l’information et la formation sur des plateformes proposant des MOOC de haute qualité (par exemple, Covid-19 et soins critiques", Université Paris-Est-Créteil). Mais derrière tous ces curieux volontaires, combien d’IDE n’osent ou ne peuvent pas, notamment par manque de temps, densifier leurs compétences ? Combien d’IDE ne s’estiment pas polycompétents devant la gestion de la crise ? Combien d’établissements n’insistent pas sur ce pendant important de la formation continue ? Tant de questions fonctionnelles, actuellement sans réponse, mais qui dressent les lignes d’une profonde réflexion professionnelle quant à la nécessité de la polycompétence opérationnelle des IDE comme levier d’efficience dans un système de santé, qui connaîtra certainement d’autres crises.
Etre prêt à vivre et à affronter une crise, quelle qu’elle soit, c’est d’abord réfléchir à préparer le professionnel de santé IDE à la vivre sur le temps long
Les enjeux de la compétence IDE dans la gestion de crise
Les différents contextes sanitaires et géopolitiques dans lesquels nous évoluons laissent à penser qu’il nous faut être prêts à vivre de nouvelles crises. D’ailleurs, celle que nous vivons n’est pas encore réellement terminée.
Aussi, être prêt à vivre et à affronter une crise, quelle qu’elle soit, c’est d’abord réfléchir à préparer le professionnel de santé IDE à la vivre sur le temps long. Se préparer, c’est d’abord et surtout se conditionner mentalement et physiquement. La Covid-19 nous l’a prouvé, une crise pèse un poids psychique conséquent et une force morale considérable sur n’importe quel organisme. S’y préparer, c’est en quelque sorte "ne pas subir", dixit nos camarades militaires. Et cela, trop rapidement, faute d’y être pleinement préparé. La préparation opérationnelle comporte par ailleurs un autre enjeu pour les IDE : celui de la flexibilité et du développement de l’intelligence situationnelle. Intrinsèquement adaptative, elle a été mise en lumière par les médias dès lors que les IDE ont démontré leurs savoir-faire et leur capacité d’innovation avec les moyens du terrain. Pour les ESI en outre, la simulation en santé commence à se déployer, quoi qu’encore un peu timidement, et permet de dynamiser et de contextualiser, au plus près de la réalité, les enseignements. Enfin, envisager la montée en puissance de la préparation opérationnelle des IDE, c’est se convaincre, par exemple, de l’utilité d’un parcours de formation et d’une évaluation de connaissance obligatoire en ce domaine, à l’échelle de la profession tout entière. C’est aussi proposer systématiquement un complément de formation qui existe déjà, comme l’attestation de "formation spécialisée aux gestes et soins d’urgence en situation sanitaire exceptionnelle"1, ainsi que le renforcement de la collaboration effective avec le Service de Santé des Armées, présent sur l’ensemble du territoire. Terminons simplement sur cette citation de Martin Luther King. Ceux qui aiment la paix doivent apprendre à s’organiser aussi efficacement que ceux qui aiment la guerre
. Puisse cette inspiration nous offrir l’occasion de réfléchir à l’importance cardinale de la compétence de gestion de crise et de la préparation opérationnelle des IDE tandis que le système de santé se convainc toujours plus de leur nécessité.
Notes
- L’Arrêté du 16 mars 20212 modifiant l’arrêté du 30 décembre 20143 relatif à l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence intègre un nouveau module intitulé "soins critiques en situation sanitaire exceptionnelle". D’une durée de 14 heures, ce dernier permettra de renforcer les connaissances des apprenants dans le domaine des soins critiques (modes de ventilation, intubation, SDRA...). Bien évidemment construit autour de la Covid-19, ce module propose néanmoins des acquis transversaux qui peuvent être transférables dans d’autres contextes sanitaires
- Arrêté du 16 mars 2021 modifiant l'arrêté du 30 décembre 2014 relatif à l'attestation de formation aux gestes et soins d'urgence
- Arrêté du 30 décembre 2014 relatif à l'attestation de formation aux gestes et soins d'urgence
Alexis Bataille
Etudiant en soins infirmiers (2019-2022)
Aide-soignant
@AlexisBtlle
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