Quels enseignements tirer de la crise sanitaire ? À quels modes d’organisation a-t-elle donné lieu et qu’il s’agirait désormais de pérenniser ? Ces préoccupations étaient au cœur du Forum Santé 2025 qui s’est tenu le 15 septembre, avec en ligne de mire la transformation de notre système de santé afin qu’il soit plus inclusif et efficace.
C’est au sein de son auditorium boulevard de Grenelle que le groupe Les Échos-le Parisien accueillait mercredi 15 septembre le Forum Santé 2025, à destination des professionnels de santé et des entrepreneurs porteurs d’innovations du secteur. Au programme, six tables rondes pour faire l’état des lieux des innovations et des modes d’organisation nés et/ou renforcés lors de la crise sanitaire sur lesquels capitaliser pour imaginer un système de santé plus pertinent et performant, portées par des intervenants aussi bien issus du domaine du soin que de l’industrie et des pouvoirs publics.
Pour un système de santé publique plus inclusif
Mal comprise aussi bien de la population générale que des professionnels de santé, la santé publique repose sur trois principes : la protection, la prévention et la réduction du risque, dès lors que celui-ci est identifié, rappelle Franck Chauvin, président du Haut Conseil de la Santé Publique en introduction de la table ronde dédiée à la santé publique. Elle se définit comme la régulation entre les décideurs, qui sont les politiques, les contributeurs, constitués par les experts, et la population
, où chacun joue son rôle et dans laquelle le chef d’orchestre
est le politique. Or la crise sanitaire a démontré les failles du système de la santé publique. Elle a surtout mis en exergue un de ses aspect essentiel telle qu’elle est pensée en France : le système de santé est un système de soins. Il a donc un intérêt à ce qu’il y ait de plus en plus de malades. Il a été construit afin de combattre les maladies aiguës
, déplore ainsi Franck Chauvin. Avec pour conséquence de sacrifier la prévention et de rendre le système inadapté à la prise en charge des pathologies chroniques, en constante augmentation (2,5 % par an). Un constat que partage Luc Duquesnel, médecin généraliste en Mayenne et président du syndicat Les généralistes-CSMF : Selon une étude de la DREES, seul un médecin sur cinq s’est engagé dans des actions collectives de prévention ces dernières années
, note-t-il.
Comment, alors, refonder le système de santé publique ? En trouvant un équilibre entre l’individuel et le collectif
, pour Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, qui rappelle que la majorité des Français se sont pliés à d’importantes contraintes pendant la crise sanitaire dans l’intérêt collectif ; en renforçant les dispositifs territoriaux de santé
et en redéveloppant une culture de la santé publique, qui n’est pas la somme de la santé des individus
, pour Franck Chauvin ; ou encore en le rendant plus participatif
et en permettant aux citoyens de contribuer à la construction d’un meilleur système de santé, martèle de son côté Aude Nyadanu, fondatrice de Lowpital, ce qui suppose de les informer et de développer des outils d’autodiagnostic pour les rendre plus compétents. Et les quatre intervenants d’insister également sur la nécessité de renforcer la formation, aussi bien initiale que continue, des professionnels sur le sujet, peu sensibilisés actuellement sur les enjeux de la santé publique. À noter toutefois que la crise a également prouvé que les acteurs de santé et du territoire étaient en mesure de collaborer localement pour proposer des prises en charge adaptées. Durant la crise, ce sont les professionnels libéraux qui ont monté les centres de vaccination, en lien avec les élus, les collectivités territoriales et les usagers
, souligne ainsi Luc Duquesnel.
Il nous faut conserver la complémentarité entre les autorités de santé et les acteurs locaux
Un besoin croissant de collaboration
Collaboration
, c’est d’ailleurs le maître mot de ce Forum Santé 2025. Entre les acteurs locaux et les autorités de santé, représentées par les Agences Régionales de Santé sur les territoires, d’abord. Si la crise a démontré l’intérêt des ARS, elles constituent d’énormes machines technocratiques régionales
et les maires et élus locaux ne se sentent pas suffisamment soutenus
par elles, juge Agnès Firmin Le Bodo, députée de la Seine-Maritime, qui estime notamment nécessaire de disposerd’un échelon départemental
renforcé pour favoriser la transversalité des deux parties. Le climat d’urgence a néanmoins permis de réunir autour de mêmes problématiques des acteurs aux intérêts différents, relève de son côté Benoît Elleboode, directeur général de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Il s’agirait de pérenniser les modes de coopération mis en place entre l’ensemble des acteurs, et pas uniquement ceux de la santé. La crise a mis en avant le concept de la responsabilité partagée
, défend Cédric Arcos, directeur général adjoint du Conseil régional d’Ile-de-France. La santé n’est pas qu’une affaire d’Etat. Les actions de prévention, par exemple, nécessitent certes une approche nationale, mais nous avons aussi besoin de repenser l’architecture des villes, l’offre des transports, travailler sur les déserts médicaux… Ce qu’il nous faut conserver, c’est la complémentarité des autorités et des acteurs locaux.
Et Benoît Elleboode d’insister sur l’importance pour les collectivités territoriales de s’emparer des sujets relatifs à la santé, sous réserve du contrôle des ARS chargées de faire appliquer les normes déterminées par l’Etat.
l’hôpital découvre la ville et la ville découvre les contraintes de l’hôpital
Autre chantier majeur : la collaboration entre l’hôpital et la ville, avec pour objectif saillant la nécessité de désengorger les urgences. La fréquentation des services d’urgences a doublé en 20 ans
, constate Jacques Battistoni, président de MG France, en introduction de la table ronde dédiée à la thématique. Dans ce contexte, il estime que le Service d’Accès aux Soins (SAS), service d’orientation de la population pour optimiser son parcours de soin proposé dans le Pacte pour la refondation des urgences, constitue une tentative de réponse à la problématique de la crise démographique médicale
. S’il permet aux patients sans médecin traitant de trouver les bons soins au moment où ils en ont besoin, le SAS participe aussi à la construction d’une réflexion complète sur leurs parcours de santé et propose des alternatives aux services d’urgences, précise Henri Delelis-Fanien, directeur médical du Samu 86 (Vienne) et par ailleurs artisan du projet pilote SAS 86. Surtout, par son biais, l’hôpital découvre la ville et la ville découvre les contraintes de l’hôpital
. 22 sites pilotes de SAS sont en cours d’expérimentation, portés par la plateforme de coordination du SAMU, le socle de décision reposant sur la régulation médicale assurée en collaboration par un généraliste et un médecin urgentiste afin de juger de l’urgence des soins à apporter aux patients qui les sollicitent. L’état d’esprit du SAS va au-delà de l’ambition de désengorger les urgences. Il associe la médecine d’urgence et la médecine générale afin de mieux prendre en charge les patients.
Le numérique comme condition de transformation
La transformation du système de santé va toutefois de pair avec sa digitalisation et l’accélération des partages et échanges dématérialisés des données de santé. Un changement porté par « Mon espace santé », dont Dominique Pon, responsable ministériel au numérique en santé, et ses quatre fonctionnalités (coffre-fort numérique, messagerie de santé sécurisée
, agenda de santé, et applications), a réaffirmé l’intérêt : une plateforme souveraine et citoyenne
qui redonne aux Français le contrôle sur leurs données de santé. Un outil que salue Gérard Raymond, le président de France Assos Santé, qui y voit un moyen d’améliorer les soins, à condition que les citoyens s’en emparent et participent ensuite à leur prise en charge : Il faut les convaincre que les outils numériques leur permettront d’être mieux soignés
, rapporte-t-il. Mais il faut générer de la confiance. Et celle-ci se gagne par la transparence, l’information, et la participation de l’ensemble des acteurs.
Côté professionnels de santé, on attend également beaucoup de cette plateforme, en particulier au sein des CPTS
. Les CPTS permettent de travailler ensemble, de développer la collaboration. Nous serons obligés de nous doter de ces outils numériques
, souligne Nicolas Homehr, médecin généraliste et président de la CPTS Sud Toulousain et qui perçoit d’un bon œil le changement de paradigme que « Mon espace santé » induit. Nous étions auparavant sur une dimension portée par les médecins et par le secret médical ; désormais, ce sera au patient de déterminer quelles données de santé il accepte de partager avec les professionnels de santé.
Autre force de la plateforme : son appui sur un travail de collaboration inédit entre l’Etat et les industriels du secteur, dont les applications, sécurisées, devront obligatoirement être labellisées pour pouvoir y être proposées. De nombreux critères sont à remplir sur la sécurité du traitement des données, l’éthique…, pour être partenaire du système
, précise Paul Louis Belletante, président de l’éditeur de logiciels Betterise Health Tech. L’Etat doit assurer aux citoyens que les services proposés sont sûrs.
En tout, la transformation numérique du système de santé bénéficie d’un budget de 2 milliards d’euros et s’inscrit dans une durée de trois ans. Nous avançons à petits pas mais à pas rapides
, conclut Dominique Pon.
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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