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ETHIQUE

Farid Benyettou, infirmier diplômé d’État... et maintenant ?

Publié le 07/04/2015

Une nouvelle vague d’étudiants en soins infirmiers a été admise au diplôme d’État le 25 mars dernier. Parmi eux, un homme : Farid Benyettou. Alors que les yeux se tournent, une nouvelle fois, vers l’ex "mentor" des frères Kouachi, l’Ordre des Infirmiers se prononce au sujet de son l’éventuel avenir professionnel. Ses "camarades" de promotion réagissent aussi...

Les professions réglementées comme infirmier  peuvent-elles s'ouvrir à des personnes avec de lourds casiers judiciaires ? Un débat complexe.

C’est une question qui taraude l’ensemble du corps paramédical. Avec son diplôme d’État d’infirmier, à quel avenir professionnel Farid Benyettou peut-il aspirer ?

Le jour des résultats, le 25 mars, à l'Ifsi de laPitié-Salpêtrière, interrogé par une journaliste du Point, ce dernier a affirmé s’être toujours inscrit dans ce chemin qu'est la réinsertion. Or, dans  cette quête de réhabilitation, cet ancien étudiant a gagné le soutien et la confiance de ses pairs. Je tiens à rappeler que Farid a été condamné par le passé et qu'il a purgé sa peine. Pourquoi revenir dessus ? Il a déjà été puni pour ses actes et il n'a jamais récidivé. Les personnes se plaignent continuellement du manque de réinsertion mais lorsque quelqu’un a réellement le désir de tourner la page, elles ne sont pas satisfaites. Faut-il devenir éboueur lorsqu’on sort de prison ?, s’insurge Christiane1, une ancienne étudiante de sa promotion.

Pour autant, face aux multiples réactions que suscite l’obtention de son diplôme, l’Ordre des Infirmiers se positionne de façon catégorique . Réinsertion, oui, mais... Déontologie, défend Thierry Amouroux, Président du Conseil de l’Ordre des Infirmiers de Paris. Et de poursuivre : Chacun a droit à la réinsertion. Une fois qu’on a purgé sa peine, on a le droit de reconstruire sa vie. Mais, sur les milliers de métiers qui existent en France, il y en a qui, par nature, peuvent poser problème. Il y a des professions réglementées.

Je tiens à rappeler que Farid a été condamné par le passé et qu'il a purgé sa peine. Pourquoi revenir dessus ?

Une question de moralité et de déontologie

Avons-nous le droit d’obtenir le diplôme d’infirmier, puis d’exercer ce métier, avec de tels antécédents ?, s’interroge Pascal Lambert, son vice-président. Or, ce droit a été accordé à Farid Benyettou. En effet, bien que connaissant sa condamnation à 6 ans de prison pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) lui a permis de poursuivre ses études en soins infirmiers . Même si la direction de l’Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) de la Pitié-Salpétrière a demandé un accord administratif de l’AP-HP, deux mois après le début de ses études, je pense que dans des formations comme la notre, on n’est pas simplement sur un accord administratif d’un « bureaucrate », aussi gradé soit-il. Nous devons nous poser des questions déontologiques, déclare Thierry Amouroux. Et de poursuivre :   Il faut faire une distinction entre « le légal » et « le juste ». La loi permet à M. Benyettou d’avoir un diplôme, mais ensuite l’Ordre est là pour contrôler l’aspect moral de cette situation et se prononcer en faveur de ce qui est juste ». 

La question au sujet de la façon dont les étudiants de la promotion de Farid Benyettou ont pu vivre la présence de Farid Benyettou à leurs côtés se pose également. « Ils l'ont su, eux aussi, très tôt. Imaginez-vous le paradoxe entre cette situation et l’enseignement qui leur a été donné sur les valeurs de la profession infirmière ?, s’interroge Thierry Amouroux. Effectivement, ses collègues ont été informés de façon quasi immédiate, mais certains ont su faire abstraction de ce passé. Nous l’avons appris quelques temps après le début de la formation, et cela nous a surpris. D’autant plus que son passé ne correspondait absolument pas au Farid que nous côtoyions tous les jours, témoigne Marcia1. Et d’ajouter : Il a le cœur sur la main. Il nous a toujours soutenus et il a été un étudiant efficace à tous ses stages. Christiane1, sa collègue se montre du même avis. Farid était apprécié dans l'école, il a même été élu délégué en 2ème année. Il était intégré, avait un groupe d'amis et s'intéressait aux autres. J'ai envie d'y croire. La présomption d'innocence prime jusqu'à preuve du contraire. Aurélien1 nous indique, de surcroît, que la majorité de leur promotion considère qu'il mérite son diplôme, bien plus que certains, d’ailleurs. En outre, selon lui, cette affaire appelle également à la réflexion. Plutôt que de juger les intentions d’une personne sans réellement la connaître, le débat devrait être plus profond, notamment au sujet des conditions d'accès à la formation. Un avis partagé par l’Ordre.

La loi permet à M. Benyettou d’avoir un diplôme, mais ensuite l’Ordre est là pour contrôler l’aspect moral  de cette situation et se prononcer en faveur de ce qui est juste

Le contrôle du casier judiciaire à l’entrée en formation : une mesure de protection tripartie

Dès qu’il a eu connaissance de cette affaire, le Conseil de l’Ordre des Infirmiers de Paris s’est rapidement prononcé en faveur d’un contrôle du casier judiciaire avant l’intégration d’un IFSI . Une façon de protéger les patients, les professionnels de santé, mais également les candidats concernés. Il y a une solution très simple, et qui était appliquée autrefois, c’est le contrôle du casier judiciaire à l’entrée en formation dans les IFSI.  Mettons-nous à la place de ces personnes qui vont suivre une formation pendant plusieurs années, et qui n’auront pas forcément le droit d’exercer à la fin de leurs études... C’est un gâchis humain inacceptable. Il ne faut pas laisser les personnes aller dans une impasse, juge son Président. Toutefois, ce dernier reste prudent au sujet de l’interdiction d’entrer en formation, ou d’exercer la profession, à toute personne ayant un casier judiciaire. Il y a des infractions qui figurent dans le casier mais qui n’auront pas d’influences directes sur l’exercice de la profession. Tout est dans la juste mesure par rapport aux motifs qui y figurent. Par contre, il y a des cas, comme celui-ci, qui sont beaucoup plus problématiques.

Un  exercice possible dans le secteur privé ou à l’Étranger

Devant  l’éventualité que Farid Benyettou puisse être admis au diplôme d’État d’Infirmier, l’Ordre aurait mené des actions anticipatrices, notamment en sollicitant les pouvoirs publics. Nous avions interpellé la Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale (DRJSCS), qui délivre le diplôme, ainsi que l’Agence Régionale de Santé (ARS). Or, la réponse qui nous a été donnée c’est qu’à partir du moment où Farid Beneyettou a achevé sa formation, ce dernier obtiendrait son diplôme. C’est un peu Ponce Pilate qui s’en lave les mains. La principale raison qui aurait été donnée, pour justifier cette admission, serait un délai de réflexion trop court pour pouvoir statuer en faveur d’un refus. Mais pour la promotion 2012-2015 de l’IFSI de la Pitié Salpétrière, la question d’admettre ou non Farid Benyettou au diplôme d’Etat en soins infirmiers ne se posait pas. Pourquoi n'aurait-il pas eu le droit d’être admis ? Il a validé toutes ses unités d’enseignement, ainsi que tous ses stages. Il a eu un comportement correct à l'IFSI. Sur quoi se serait-on basé pour lui refuser ce diplôme ? S'il devait y avoir une polémique ça aurait plutôt été au sujet de sa candidature au concours. Mais, à partir du moment où il a été reçu à ce dernier et qu'il a démarré ses études, il n'y a plus de débat à avoir, se prononce Christiane1.

Or à cette problématique, Pascal Lambert, infirmier libéral, diplômé en pratique avancée , évoque des solutions qui auraient pu être envisagées. Je pense qu’on aurait pu tout simplement retarder son admission, au moins jusqu’à la prochaine session, afin de pousser un peu plus loin la réflexion. Il y a la loi de santé qui arrive . Pourquoi ne pas avoir attendu d’y ajouter un amendement à ce sujet ?. Et d’ajouter : Mettre ce dossier en suspens, afin de mieux l’étudier, était probablement plus prudent que lui accorder le diplôme, en espérant qu’il n’y ait aucune conséquences par la suite. Ce dernier évoque notamment un scénario plausible. Il y a des risques qu’il puisse exercer, peut-être pas  en France, mais à l’Étranger. Or, on laisse dans la nature quelqu’un qui peut potentiellement être dangereux au niveau professionnel. Cependant, face à cette éventualité d’un exercice à l’Étranger, Farid Benyettou assure qu’il restera en France, selon le Point. Sa collègue Marcia1 le confirme. Farid est comme n’importe quel jeune diplômé. Il ne veut pas aller en Syrie, il souhaitait juste débuter sa carrière en chirurgie orthopédique à la Pitié-Salpêtrière, car cela s’était très bien passé avec l’équipe lors d’un stage. Celle-ci voulait qu’il vienne travailler dans ce service après son admission. Mais désormais, sa carrière est au point mort.

Mettre ce dossier en suspens, afin de mieux l’étudier, était probablement plus prudent que lui accorder le diplôme, en espérant qu’il n’y ait aucune conséquences par la suite

Actuellement, son parcours judiciaire lui interdirait un exercice dans le public. De ce fait, Farid Benyettou souhaiterait demander un effacement de son casier judiciaire, selon Libération. Toutefois, Pascal Lambert reste surpris du choix qu’a fait l’APHP, en lui permettant de finir sa formation tout en lui interdisant un exercice dans le public . L’Assistance Publique n’en veut pas en tant qu’infirmier, mais il aurait le droit d’exercer ailleurs ?! Soit il est jugé inapte à devenir infirmier, et, dans ce cas, il l’est pour tout le monde, soit il est considéré apte à le devenir, et, dans ce cas, il l’est également pour le secteur public.  Un avis tout à fait partagé par certains étudiants de sa promotion. Je trouve hypocrite l’attitude de l’AP-HP qui lui refuse le droit d’exercer dans le public après l’avoir formé et mené jusqu’au diplôme. Dans ce cas, pourquoi lui avoir ouvert la porte aux études ?!, s’insurge Christiane1.

Pour Farid Benyettou, il reste donc la possibilité d’exercer le métier d’infirmier dans le privé, une embauche qui reste malgré tout envisageable. En effet, il peut s’adresser à un employeur privé car ce dernier n’a pas la capacité de contrôler son casier judiciaire. Au contraire, l’employeur public en a le droit, mais ne le fera pas forcément, selon l’Ordre. Or, cette éventualité d’une embauche dans le privé est également inacceptable pour la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Dans un communiqué de presse datant du 15 janvier dernier, et, notamment après avoir appris le lien qui unissait Farid Benyettou, alors étudiant en soins infirmiers, aux frères Kouachi, auteurs des attentats contre Charlie Hebdo, la FHP demandait une révision des "conditions d’accès à la profession d’infirmier" . Aujourd’hui, elle réitère cet appel et réclame une entrée en vigueur immédiate du code de déontologie.

Les éventuels débouchés professionnels de Farid Benyettou demeurent donc une véritable problématique, non seulement d’un point de vue déontologique, mais également en termes de sécurité du patient. En effet, son importante capacité de conviction est un autre point à prendre en considération. Le fait qu’il se retrouve avec des personnes présentant une fragilité physique ou psychologique, cela peut avoir des incidences, en termes de recrutement ou d’endoctrinement..., selon Thierry Amouroux. Pour, l’Ordre il y a une mise en danger des patients et de la profession infirmière.

Je trouve hypocrite l’attitude de l’AP-HP qui lui refuse le droit d’exercer dans le public après l’avoir formé et mené jusqu’au diplôme.

Les étapes obligées pour Farid Benyettou avant un exercer du métier

Bien qu’une inscription à l’Ordre national des infirmiers soit indispensable à la pratique légale du métier (sur le principe car en réalité seuls 160 000 infirmiers sont inscrits…), pour l’heure, Farid Benyettou n’a pas encore déposé de demande, que ce soit au niveau régional ou départemental. En outre, concernant la possibilité pour lui d’effectuer cette démarche dans le futur, le Président du Conseil de l’Ordre des Infirmiers de Paris garantit une étude objective de sa demande. M. Beneyttou a la possibilité de déposer sa demande d’inscription à l’Ordre. Il sera invité à se présenter à l’une des réunions du Conseil, accompagné d’une tierce personne, afin d’exposer son point de vue et ses arguments. Ensuite, les membres du Conseil décideront  de valider ou non son inscription. Pour autant, cette inscription n’étant pas strictement obligatoire pour exercer la profession - dans le milieu libéral notons cependant qu'elle est beaucoup plus respectée… -, les possibilités d’emploi de Farid Benyettou restent multiples. Comme l’Ordre infirmier n’est pas systématiquement sollicité, malgré son rôle de « filtre », il peut être embauché par un employeur peu regardant. Et ça, c’est un vrai problème parce qu’après il y a un patient au milieu de tout ça, regrette Thierry Amouroux. Et d’ajouter : Vous êtes au fond de votre lit et vous voyez rentrer dans votre chambre quelqu’un en blouse blanche, après l’avoir vu dans un reportage ou dans un article de presse. Vous imaginez-vous la façon dont cela peut être ressenti ? Or, lorsqu’on est dans un lit d’hôpital, on se croit en sécurité.

Enfin, si Farid Benyettou désire exercer le métier d’infirmier, encore faut-il qu’il enregistre son diplôme à l’Agence Régionale de Santé (ARS), afin d’obtenir un numéro ADELI. Sur ce point, Thierry Amouroux se montre confiant. Le code de la santé publique précise que le diplôme d’État d’infirmier doit être enregistré au niveau du service ADELI et de l’Ordre. Moi, je serais fonctionnaire à l’ARS, le nom de Farid Benyettou me dirait quelque chose, et j’attendrais sagement d’avoir l’inscription ordinale avant d’enregistrer son diplôme. C’est une simple question de bon sens. Je pense que cet agent est aussi un être humain et qu’il doit raisonner comme tel. Cependant, son vice-président se montre moins optimiste. Il n’existe pas de fichier commun entre l’Ordre infirmier et l’ARS. Donc, si une délégation n’exige de lui aucune inscription à l’Ordre, ce numéro lui sera délivré plus facilement. Or, à partir du moment où vous l’obtenez, vous pouvez exercer. Interrogée à ce sujet, l’ARS répond avec une extrême prudence. En effet, lorsqu’il lui est demandé s’il est possible à un ancien détenu d’enregistrer son diplôme d’État d’Infirmier au sein d’un service ADELI, aucune réponse explicite n’est formulée. Seul un rappel de sa mission est mentionné, à savoir, l’enregistrement de tous les professionnels de santé sur le fichier ADELI uniquement sur vérification de l’identité et du diplôme.

Ainsi, entre droit à la réinsertion et principe de précaution, l’admission au diplôme d’État d’infirmier Farid Benyettou provoque, aujourd’hui, des réactions ainsi que des sentiments très mitigés.

Un véritable cas d'école en tout cas qui n'a même pas suscité de prise de position de la part de Marisol Touraine au ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes…  Etonnant autant qu'inquiétant, non ?

Note

  1. Les prénoms ont été modifiés à la demande des témoins.

Gwen HIGHT  Journaliste gwenahight@gmail.com


Source : infirmiers.com