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CADRE

Etre secure pour apprendre et faire apprendre le soin

Publié le 11/06/2012

Dans un contexte de réactivité, d’optimisation et de recherche de sens soignant, les étudiants en soins infirmiers se forment dans des conditions particulières. Malgré la bonne volonté des formateurs cliniciens, ils sont aussi soumis à certaines tensions et l’insécurité générée vient parfois parasiter les apprentissages. Cette analyse suivie de quelques questionnements indispensables vise à faire avancer la discipline des soins infirmiers.

Le constat

Depuis quelques semaines, et à quelques jours ou presque du premier jury de Diplôme d’Etat Infirmier nouvelle formule (réforme des études 2009), des étudiants qui souhaitent interrompre leur formation pour « raison personnelle » défilent dans mon bureau. Lors de leurs entretiens, ils mettent en avant leur manque de confiance en eux-mêmes, la peur de participer à une erreur médicale et leurs lacunes en termes de savoirs.

A l’image du cheval de jumping qui se cabre devant l’obstacle, on peut imaginer que bien cadrés et dirigés, ils peuvent encore faire face à l’échéance… Pourtant, les propos de réassurance ou les dispositifs d’aide proposés ne suffisent pas à infléchir leur décision. Ces étudiants finissent par exprimer un malaise qui semble plus important que la simple peur du changement de statut et la prise de responsabilité attenante. Ce que j’entends en atteste : « je suis mal », « je suis nul », « je n’y arriverai pas », « j’angoisse », « je suis mal formé », « de toute façon je suis sous antidépresseurs…», « je stresse trop… »...

Voici donc les étudiants de semestre 6 en « break », alors qu’ils sont déjà moins nombreux que les années antérieures à pouvoir « boucler » leur cursus en temps et en heure.

Ne pas faire l’économie du questionnement

Selon l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail de Bilbao, « un état de stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Bien que le processus d’évaluation des contraintes et des ressources soit d’ordre psychologique, les effets du stress ne sont pas, eux, uniquement de même nature. Ils affectent également la santé physique, le bien-être et la productivité ».

Posons-nous quelques questions :

  • que se passe-t-il donc pour que nous ne sachions pas prendre assez soin de nos futurs soignants ? ;
  • comment nous, professionnels de santé, ne sommes-nous pas en mesure de préserver celle de nos collègues ? ;
  • en quoi nos dispositifs de formation alternés (Ifsi/stages) arrivent- ils à créer de la fuite plutôt que de la confiance en soi et de la motivation supplémentaire ? ;
  • quel est donc cet environnement générateur de souffrance ici ? Un exemple, Un épiphénomène ?

La motivation est, chez l’apprenant, la composante ou le processus qui règle son engagement de formation.

Une sensation d’échec douloureux

Il y a deux mois, un étudiant en fin de cursus fait le choix d’un stage en « BUR » (bloc-urgences-réanimation). Il sait que cela va le confronter clairement à son niveau de connaissances, de compétences et va l’obliger à développer fiabilité et rigueur. Face à cette demande, la démarche est encouragée par l’équipe pédagogique, le stage programmé et les objectifs formalisés. A l’issue des deux premières semaines, l’étudiant vient demander un changement de terrain de stage : « C’est trop dur, je n’y retournerai pas ». Les formateurs pointent pourtant une évolution des compétences, se rendent en stage, objectivent ce constat avec l’équipe encadrante et décide de maintenir le stage. Il atterrit quelques heures plus tard dans mon bureau et pleure : « Elle a appelé toute l’équipe pour leur dire que je me fichais de ce qu’elle me disait (infirmière tutrice), elle ne voulait pas me donner la clé du vestiaire pour me laisser partir, elle a dit que je m’en foutais et que j’étais nul comme tous les étudiants de ce nouveau référentiel (…) j’étais trop mal je devais partir… ».

Au-delà de la souffrance et des dispositions urgentes à prendre pour garantir la sécurité même de l’étudiant (et des patients), l’échec pédagogique est ici plus que cuisant ! Pourtant un nombre important d’éléments étaient présents : objectifs, travail personnel de recherche et de révisions, évolution du projet professionnel … Il ne reste ici plus que fuite, flamme de motivation vacillante… et frustration vraisemblable des tuteurs.
Bien sûr, nous ne « lâchons pas l’affaire », bien sûr, nous engageons une démarche de reconstruction et de suivi, mais je garde le sentiment d’un terrible gâchis et d’avoir failli ! Sans compter qu’il n’est pas aisé de repositiver une telle expérience...

Apprendre et sécurité : le lien

La sécurité n’est pas seulement la situation dans laquelle on n'est pas exposé au danger (bloc - urgences – réanimation). C’est surtout une tranquillité d'esprit inspirée par la confiance, par le sentiment de n'être pas menacé.

Cette « disponibilité cognitive » est un préalable à tout apprentissage et toute évolution professionnelle. Maslow estime que les besoins élémentaires (physiologiques et de sécurité) étant satisfaits, la personne cherche ensuite à satisfaire les autres besoins d'ordre supérieur de façon à alimenter sans cesse ses motivations. Elle en détermine le déclenchement avec l'intensité souhaitée et en assure la prolongation jusqu'à l'aboutissement ou l'interruption

Prendre soin de l’apprenant

Pour les formateurs d’alternance, il ne s’agit donc pas de materner, de paterner, de cocooner, mais bien de créer des conditions propices aux apprentissages et aux acquisitions.
Avant de partager ses savoirs (plus que d’en faire état et démonstration), il faut les rendre accessibles et créer un contexte de sécurité et de confiance. Parfois même, il s’agit d’identifier les peurs réelles qui entravent l’apprentissage : le dénigrement, la non-reconnaissance des capacités, l’évaluation systématique, la traque de l’erreur… « L’élan cognitif » peut alors être maintenu et développé, l’étudiant peut alors identifier son potentiel, le mobiliser et progresser.

En effet, il n’y a pas d’autonomie et de créativité sans sécurité et sans préservation du désir d’apprendre. Lorsqu’on « brise » la motivation d’un étudiant, c’est toute une profession qui perd une chance supplémentaire d’évolution.

Les conditions d’un dispositif sécure

On connaît l’importance du lien et des éléments transférentiels dans la relation pédagogique. Nous, soignants, connaissons bien les mécanismes de transmission de l’angoisse et les schèmes de relations pathologiques. Alors je souhaite rendre hommages aux étudiants, soignants et formateurs et simplement revenir aux fondamentaux :

  • former un infirmier, c’est faire se croiser le désir d’apprendre et celui de former. Il n’y a pas d’apprentissage possible sans mains tendues ;.
  • former un étudiant, c’est accepter d’entendre et de partager ses questionnements, y compris lorsqu’ils concernent nos propres pratiques. Il n’y a pas d’apprentissage possible sans acceptation de la remise en question ;
  • former un étudiant, c’est aussi accepter qu’un jour l’élève dépassera peut-être le maître et que nous y aurons contribué. Il n’y a pas d’apprentissage possible sans partage d’ambition et de projet professionnel ; et moi formateur, clinicien, je suis riche et ai beaucoup à partager.

Cependant pour accepter les conditions de maître d’apprentissage, je dois moi-même être en sécurité et pouvoir parler mes craintes et mes ambitions. Pour moi-même, pour les personnes que je soigne et celles que je forme et que j’encadre…

Erik SEFFER
Cadre supérieur de santé, chargé de formation, adjoint de direction en Ifsi, Ile de France.
erik.seffer@wanadoo.fr


Source : infirmiers.com