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SCOLAIRE

Être infirmière à l’école : un autre métier ?

Publié le 07/05/2013

Selon la sociologue Sophie Divay, le petit segment des infirmières de l’Éducation nationale apporte un éclairage particulier sur plusieurs problématiques propres au groupe professionnel des infirmières. Explications.

L’opposition dimension technique/dimension relationnelle du travail infirmier

Le cas de figure des infirmières de l’Éducation nationale permet de s’interroger sur une ligne de clivage traditionnelle et récurrente propre au groupe professionnel des infirmières, celle qui sépare la dimension relationnelle de la dimension technique :

  • les infirmières à l’école ont un travail d’écoute, d’accueil, qui relève plus du social que du sanitaire ;
  • depuis longtemps, c’est une question de fond que se posent autant les professionnelles que les chercheurs : qu’est qu’une vraie infirmière ? une infirmière qui fait peu de technique, estelle une vraie infirmière ? n’a-t-elle pas perdu sa technicité ? peut-elle être reconnue dans un monde médical qui donne une place centrale à la technique ?
  • cette question donne lieu à de nombreux débats et tensions non résolus aujourd’hui.

A l’Éducation nationale, les infirmières disent souffrir d’un étiquetage stigmatisant, et une image péjorative très répandue est souvent citée par les infirmières : celle de l’infirmière « qui tricote au fond de l’infirmerie ».

Qu’est-ce que mes investigations de terrain révèlent sur les infirmières scolaires ?

La plupart des infirmières arrivent à l’Éducation nationale en milieu de carrière, elles y commencent une autre vie professionnelle, elles s’engagent dans un « autre métier ». Le profil type des infirmières de l’Éducation nationale est le suivant : après un première période à l’hôpital, parfois dans des services très techniques et intensifs (urgences, bloc opératoire, réanimation...), elles éprouvent une usure physique et mentale due à la dégradation des conditions de travail hospitalières, à la charge de travail et aux horaires. Elles ont eu la volonté de changer de mode de vie, en général pour mieux s’occuper de leurs enfants qui arrivés au seuil de l’adolescence requièrent une plus grande présence de leur mère (aide aux devoirs, soutien de l’assiduité scolaire, accès à des activités de loisirs ou sportives...).

Être infirmière à l’école apparaît donc comme une solution adaptée qui permet d’avoir des horaires, des congés compatibles avec la vie de familiale. Nous manquons à ce jour de données chiffrées sur ce personnel de l’Éducation nationale, le ministère ne pouvant malheureusement fournir que très peu d’informations.

Rapports professionnels et frontières entre médecins et infirmières de l’Éducation nationale

Pour aborder cette question, je me réfère à mes données de terrain, mais aussi à la thèse d’Agnès Gindt Ducros, « Les médecins de l’éducation nationale : une professionnalité originale au cœur des pratiques collectives de la santé à l’école », Université Paris 8, soutenue le 17 décembre 2012.

Les infirmières de l’EN travaillent en grande partie sans présence médicale du fait de la baisse démographique du nombre de médecins de l’Éducation nationale. En 2010, on comptait environ 1200 médecins en activité, c’est-à-dire 6 fois moins que les effectifs des infirmières. Les médecins ne sont pas leurs supérieures hiérarchiques (voir plus bas). L’institution tend petit-à-petit à déléguer officieusement et officiellement aux infirmières des tâches médicales. Mais ce qui est intéressant, et ce qui contredit certaines théories de la sociologie de professions, c’est que les infirmières ne se jettent pas sur l’occasion, voire refusent de faire bouger les frontières, pour élargir leur champ de compétences. Par ailleurs, la valeur symbolique des deux catégories professionnelles s’inverse à l’école : les infirmières sont en position moins dévalorisée à l’école que les médecins.

Représentation salariale des infirmières de l’Éducation nationale

Les infirmières sont connues pour être une profession peu syndiquée : pourquoi ?

Selon une réponse habituelle, ce faible engagement serait dû au fait que le groupe des infirmières est majoritairement composé de femmes, qui seraient moins portées que les hommes à se syndiquer. Mais il s’agit peut-être là d’une vision simpliste, car si on regarde le taux de syndicalisation des infirmières de l’Éducation nationale, il n’est pas négligeable. Or, le SNICS et le SNIES sont des syndicats professionnels que certains acteurs jugent corporatistes, mais qui sont peut-être plus fédérateurs que les grands syndicats interprofessionnels des hôpitaux.

Filière infirmière à l’hôpital versus filière hiérarchique à l’Éducation nationale

A l’hôpital, il existe depuis 1975 une filière infirmière qui a été marquée par la création de la fonction d’infirmière générale. L’organisation hiérarchique a connu des évolutions, mais elle perdure. C’est ainsi que Madame Simone Veil, ministre de la santé, fit la suggestion de remplacer, sans le dire clairement, les supérieures des anciennes communautés religieuses par des laïques issues de la promotion d’infirmiers : ce furent les « Infirmiers Généraux ». Le premier décret statutaire est signé le 11 avril 1975 avec une circulaire d’application le 31 juillet 1975. L'infirmier général, sous l’autorité du chef d’établissement, est responsable de la coordination des activités des personnels infirmiers, aides-soignants et agents des services hospitaliers.

A l’Éducation nationale, on observe une répartition institutionnelle des infirmières à des niveaux différents, mais leur positionnement n’est pas hiérarchique : les infirmières sont en poste dans les établissements, dans les inspections académiques, au rectorat et au ministère. En dehors des écoles, les infirmières ont une fonction de conseillère technique auprès de l’autorité administrative (inspecteur d’académie, recteur, ministre). Jusque récemment, avant la reconnaissance de la catégorie A pour les infirmières hospitalières, toutes les infirmières de l’Éducation nationale appartenaient à la catégorie B . L’équivalent de la fonction de cadre de santé n’existait pas à l’Éducation nationale pour les conseillères techniques. Le responsable hiérarchique des infirmières de terrain n’est donc pas la conseillère technique départementale ou académique, pas plus que le médecin, mais le chef d’établissement auquel elles sont rattachées.

Des conditions d’exercice atypiques

L’infirmière de l’Éducation nationale est consultée par des patients non malades. La plupart des élèves souffrent de petites pathologies relevant de la « bobologie ». Elles exercent hors du lieu naturel de travail des soignants, c’est-à-dire à l’école, là où la catégorie majoritaire de personnel est composée d’enseignants qui ne soignent pas mais éduquent les élèves. Elles sont les salariées d’un employeur chez lequel elles sont marginales, hors du cœur du métier de l’éducation, de l’enseignement. Les infirmières disent souvent qu’elle ne font pas partie à part entière du personnel de leur ministère. Elles travaillent souvent seules, sans autres collègues infirmières, sans médecin, seules représentantes du domaine de la santé dans un monde scolaire, avec un équipement matériel, technique et pharmaceutique minimal.

  • Cet article est le fruit de l’intervention de l’auteur lors de la journée d’études du 21 janvier 2013 organisée par le RT 1 « Savoirs, Travail, Professions » de l’AFS et la revue Sociologie Santé et dont le thème était : « Le groupe professionnel des infirmières aujourd’hui ».

Sophie DIVAY Sociologue sophie.divay@univ-paris1.fr


Source : infirmiers.com