Présents dans toutes les religions, l’aide et le secours portés à son prochain – voire le fait de lui éviter la mort – sont un commandement qui ne fait pas débat. Dans cette perspective, sauver une vie en donnant son sang3, ou même l’un de ses organes4, devrait aller de soi. En réalité, la démarche est plus complexe et se heurte à des réticences plus ou moins vives selon les croyances. Face à cela, la parole de l’infirmier doit rester professionnelle et neutre. En revanche, il peut être conseillé au patient ou à ses proches à rechercher l’avis d’un religieux (ministre du culte de référence, aumônier de leur religion de l’établissement de soins) sans nécessairement s’en remettre préalablement à sa hiérarchie, puisque cela relève du droit des patients.
Donner son sang : compatibles avec toutes les croyances ?
Selon l’Ancien Testament, le sang contiendrait l’âme de toute créature vivante. Aussi le judaïsme comme de nombreuses Eglises chrétiennes5 proscrivent de se nourrir de sang d’où les prescriptions liées à l’égorgement des animaux et aux modes préparatoires avant cuisson. Quant à l’islam, il défend la consommation de sang6 sans que le Coran n’en précise les raisons. Si les chrétiens ne s’interdisent pas la transfusion sanguine, les juifs se l’autorisent en cas de force majeure, se refusant de décliner tout traitement si cette attitude risquait d’entraîner décès ou atteinte à l’intégrité physique ou mentale, quitte à enfreindre le commandement divin de commettre un meurtre. De même pour les musulmans : lorsqu’il y a besoin urgent ; c’est-à-dire lorsqu’un médecin compétent craint pour la vie de son patient et qu’il n’existe pas d’autres moyens pour sauver la vie du patient en dehors de la transfusion sanguine. La transfusion sanguine est également permise lorsque la vie du patient n’est pas en danger mais que, à l’avis du médecin, le patient ne peut guérir sans la transfusion. Il est préférable de ne pas faire appel à la transfusion quand on a des doutes sur l’efficacité de la transfusion dans la guérison du patient. La transfusion sanguine n’est pas permise lorsque le but est uniquement d’améliorer sa santé ou lorsque c’est pour des raisons d’esthétique
(Mohsin Ibrahim, 7).
Quand on a besoin de recevoir du sang, ça ne peut venir que de sa famille
Pour l’animisme8, le sang des ancêtres est le siège de la spiritualité, le lien d’une même communauté sur plusieurs générations, permettant à tout individu d’entrer en relation avec les divinités. Il est si précieux qu’il doit toujours rester caché des yeux et qu’il ne faut jamais le verser (blessure, meurtre) Sa perte, même partielle (prise de sang), pourrait fermer l’accès au monde des ancêtres après le décès de l’individu et lui interdire sa renaissance dans le monde des vivants. Quelques gouttes suffisent pour posséder l’âme de l’individu et lui jeter des malédictions. On peut aisément comprendre pourquoi la transfusion a rarement les faveurs des Africains : quand on a besoin de recevoir du sang, ça ne peut venir que de sa famille
. Pour le patient guinéen qui a prononcé ces paroles, une simple prise de sang le mettrait en péril, une véritable angoisse de mort l’anime malgré les propos se voulant rassurants de l’IDE. Se référant aux termes bibliques selon lesquels le sang contiendrait l’âme de tout individu, les Témoins de Jéhovah proscrivent la transfusion sanguine et ses composés majeurs (concentrés érythrocytaires, leucocytaires, plaquettaires, plasma) comme les transfusions autologues, les considérant comme une consommation parentérale de sang. Les produits de fractionnement du plasma sont susceptibles d’être admis par certains d’entre eux comme l’hémodilution normovolémique aiguë, la dialyse, la circulation extracorporelle ou la récupération du sang épanché. Pour la grande majorité, ils maintiennent leur refus de soins en toute situation, même critique. C’est la seule communauté ayant une opposition aussi formelle à la transfusion sanguine. A noter, pour le mineur, que l'on peut passer outre l’interdiction parentale et la faire pratiquer en faisant appel à l’administrateur de garde sur avis médical.
L’intégrité physique, un frein au don d’organe
Tout don d’organes pose le problème du droit à la vie ou à une meilleure vie pour le receveur potentiel mais se heurte à d’autres principes préservant la dignité du donneur. […]. Le don d’organes n’est pas un don comme les autres. L’organe n’étant pas un objet, son don pose des questions inédites. […] En donnant un organe, on a le sentiment de donner sa propre personne. Face au choix de consentir ou pas au don d’organes d’un proche, la famille peut également se sentir dépossédée de ce qui reste de sa personne une fois que sa vie l’a quittée9
.
Les problématiques et enjeux liés au don d’organe rejoignent parfois ceux rencontrés avec le don de sang. Les dons des organes et tissus10 qui se régénèrent ou dont l’absence ne met pas en danger la vie ou l’état de santé du donneur sont autorisés par la législation française sous certaines conditions. Elles sont en tous points conformes à l’éthique des religions, comme le confirme le rabbin Michaël Azoulay : l’opération du prélèvement ne doit pas présenter de danger particulier pour le donneur de même que pour le receveur lors de la transplantation. La vie du donneur doit pouvoir continuer après l’opération sans que l’absence de l’organe soit ressentie. Ainsi, il ne doit pas être contraint à des soins particuliers ou à un suivi médical prolongé. Les chances de réussite de la greffe doivent être raisonnables et celle-ci doit constituer la meilleure solution thérapeutique pour le patient. Enfin, le consentement exprès du donneur est toujours requis11
. Quant aux dons d’organes post-mortem, la loi du 1er juillet 2017 a renforcé le principe de consentement présumé de chaque citoyen qui n’a pas fait connaître de son vivant son refus de donner ses organes. Trop souvent patients et proches invoquent leur religion pour exprimer leur refus face au don d’organes alors que ni la Bible, ni le Coran ne l’approuve ni ne le condamne du fait que cette question ne pouvait être soulevée à l’époque des révélations successives du message divin. Néanmoins, le don d’organes (comme le fait de recevoir un organe) est compatible avec les religions monothéistes, conformément au commandement biblique tu choisiras la vie12
et à cette citation commune au judaïsme14 et à l’islam15 : qui sauve une seule vie, sauve le monde entier
.
Pour l’Eglise orthodoxe, la mort étant synonyme de naissance dans la vie spirituelle, le défunt doit y parvenir avec un corps non mutilé
Pour le catholicisme, le don d’organe est l'une des formes les plus éloquentes de la fraternité humaine selon les Evêques de France et n’apparaît pas comme une profanation s’il respecte la volonté exprimée (ou présumée) du défunt, la sauvegarde de la dignité du corps du défunt et par déférence des droits et des sentiments de ceux auxquels revient le soin du cadavre, en premier lieu de la famille14
. Si le protestantisme, fidèle à l’enseignement du Christ pour le don de soi, n’oppose aucune objection au don d’organes, l’Eglise orthodoxe préfère s’en écarter : la mort étant synonyme de naissance dans la vie spirituelle, le défunt doit y parvenir avec un corps non mutilé. La transplantation de moelle osseuse peut être tolérée par des Témoins de Jéhovah, le greffon étant considéré comme un tissu. Le recours quasi systématique à une transfusion postopératoire rend hésitante la majorité des fidèles à recourir à tout autre don d’organe. Parce que l’hindou a le devoir de conserver son corps tel qu’à sa naissance, l’hindouisme s’oppose au don d’organes, considérant déjà comme une véritable punition toute ablation chirurgicale, transfusion sanguine ou pose de prothèse interne au cours de l’existence : seul un corps indemne peut s’offrir aux divinités au moment de la crémation funéraire et prévaloir à la meilleure réincarnation possible. Pour le bouddhisme, toute intervention sur le corps pendant les trois jours suivants la mort clinique peut interférer sur la réincarnation de l’être car l’âme du défunt n’a pas forcément quitté le corps physique lors du dernier souffle de vie. Ce point explique pourquoi la majeure partie des bouddhistes se prononce contre le prélèvement d’organes. Dans le cas d’un patient donneur potentiel, l’équipe doit accepter qu’un proche, avant l’acte chirurgical, pose sa main sur le haut du crâne pour engager l’esprit à quitter le corps par sa partie supérieure. En Afrique, le don d’organes n’est pas ou peu développé en raison des moyens nécessités et des croyances locales, qui ne l’encouragent aucunement.
Notes
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- Lévitique 19, 18. Marc 12, 31…
- Lévitique 19, 16
- 14 juin, journée nationale en faveur du don du sang
- 22 juin, journée nationale consacrée à la réflexion sur le don d’organe et la greffe et de reconnaissance aux donneurs au don d’organes
- Témoins de Jéhovah ; Adventistes ; Eglises chaldéenne, grecque et éthiopienne...
- Coran 5, 3
- Greffe d’organes, euthanasie et clonage. Le point de vue de l’islam, éd. Tawhid, 2004. A noter, l’auteur y déclare qu’un patient peut réclamer d’être transfusé avec un sang provenant d’un donneur musulman. Ceci est impossible dans les faits et proscrit par notre législation
- Croyance en un esprit animant être vivant, objet ou élément naturel (pierre, eau…) et aux génies protecteurs
- Ethiques du judaïsme, Rabbin Michaël Azoulay, La Maison d’Edition, 2019
- Moelle osseuse, rein, lobe hépatique, sang
- Ethiques du judaïsme, La Maison d’Edition, 2019
- Deutéronome 30, 19
- Talmud de Babylone, traité de Sanhédrin, p. 37, folio a
- Coran 5, 32
- Pape Pie XII, discours Greffe chirurgicale et morale religieuse, 13 mai 1956
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Pour en savoir plus
. Guide des rites, cultures et croyances à l’usage des soignants, Vuibert/Estem, 2013
. Connaître et comprendre le judaïsme, le christianisme et l’islam, Le Passeur Editeur, 2021
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