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Éducation thérapeutique : une mise en cause du rôle propre infirmier ?

Publié le 28/10/2010
© ktylerconk - Flickr

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Encadrée par la loi HPST (Hôpital Patients Santé Territoires), l’éducation thérapeutique est un enjeu majeur pour la profession infirmière.

Voici le point de vue de Sidéral Santé, union d’associations d’infirmiers libéraux de la Haute Garonne et du Gers.

Toulouse, le 18 octobre 2010

Ce que prévoient les textes

L’Article 84 de la Loi N°879-2009 du 21 Juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite « Loi HPST ») a inséré au Code de la Santé Publique des dispositions définissant l’Education Thérapeutique du Patient (ETP) et les conditions de sa mise en œuvre.

  • L’article L.1161-1 du CSP définit l’éducation thérapeutique.
  • Les articles L.1161-2, L.1161-3 et L 1161-5 en précisent les modalités opérationnelles successives: programmes d’éducation thérapeutique proprement dits, actions d’accompagnement, et programmes d’apprentissage.
  • L’article L.1161-4 établit des règles prudentielles en cas de financement des programmes de l’article L.1161-2 (programme) et des actions de l’article L.1161-3 (accompagnement) par des entreprises.

Le Décret N°2010-904 du 02 Août 2010 précise les conditions d’autorisation de ces programmes. Le Décret N°2010-906 du 02 Août 2010 précise les compétences requises pour dispenser ces programmes. Enfin, deux Arrêtés du 02 Août 2010 précisent le Cahier des Charge d’un programme d’ETP, la composition de la demande d’autorisation d’un tel programme, et le référentiel des compétences requises pour pouvoir pratiquer l’ETP.

Les approches théoriques de l’éducation thérapeutique du patient, les pratiques en France et dans le monde, et les conclusions de l’OMS Europe en 1998 concourent à faire de l’ETP un ensemble d’actions structurées au sein de programmes reposant sur l’approche globale du patient. Avec la Loi HPST, la France a fait le choix de décomposer l’ETP selon trois modalités opérationnelles distinctes dont la somme équivaut, peu ou prou, à ce que l’on appelle « Education Thérapeutique du Patient » au plan international :

  • Programmes d’Education Thérapeutique du patient (Art. L .1161-2) dont l’approche est médicalisée,
  • Actions d’Accompagnement (Art. L.1161-3) qui ont pour objet d’apporter une assistance et un soutien aux malades ou à leur entourage dans la prise en charge de la maladie,
  • Programmes d’Apprentissage (Art. L.1161-5) qui ont pour objet l’appropriation par les patients des gestes techniques permettant l’utilisation d’un médicament.

Une remise en question des règles de droit issues du « Décret de Compétences » des infirmiers

Cette nouvelle réglementation cible l’éducation thérapeutique, donc les individus malades, là où les interventions infirmières visent potentiellement l’ensemble de la population par le biais d’actions de promotion de la santé et d’éducation pour la santé, c’est-à-dire des actions qui prennent en compte les individus dès le niveau de la prévention primaire.

En effet, le Code de la Santé Publique parle d’éducation « pour la santé » (Articles L.4311-1, R.4311-1, R.4311-2), et à aucun moment d’éducation « thérapeutique ».

De même, l’article R.4311-15 de ce même Code liste l’ensemble des actions de promotion de la santé, de prévention et/ou d’éducation que les infirmières sont habilitées à organiser de leur propre initiative :

Selon le secteur d'activité où il exerce, y compris dans le cadre des réseaux de soins, et en fonction des besoins de santé identifiés, l'infirmier ou l'infirmière propose des actions, les organise ou y participe dans les domaines suivants :
(…)
3 Formation, éducation, prévention et dépistage, notamment dans le domaine des soins de santé primaires et communautaires ;
4 Dépistage, prévention et éducation en matière d'hygiène, de santé individuelle et collective et de sécurité ;
5 Dépistage des maladies sexuellement transmissibles, des maladies professionnelles, des maladies endémiques, des pratiques addictives ;
6 Education à la sexualité ;
7 Participation à des actions de santé publique ;
(…)
Il participe également (…) à toute action coordonnée des professions de santé et des professions sociales conduisant à une prise en charge globale des personnes.

Ces dispositions sont clairement remises en question par la nouvelle réglementation puisque l’infirmière n’est plus celle qui « propose ». Elle sera donc désormais limitée à mettre en œuvre des « Actions d’Accompagnement », telles que décrites par l’article L.1161-3 du Code de la Santé Publique, ce qui représente une régression en regard de la législation.

Une remise en question du fonctionnement quotidien des infirmières dans la prise en charge des patients chroniques

Les infirmières libérales accompagnent à domicile de nombreux patients porteurs de pathologies chroniques et les éduquent au quotidien à gérer leur insuline, leur anti-vitamine K, leurs sprays contre l’asthme, etc… Ces actes sont aujourd’hui réalisés de manière transparente, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas facturés, soit parce qu’absent de la Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP), soit parce qu’inclus dans des actes forfaitisés de type AIS 3 ou AIS 4.

Peut-on imaginer un seul instant que ces actes puissent faire l’objet d’une procédure aussi complexe qu’une déclaration auprès de l’AFSSAPS ?

Par ailleurs, les actions d’apprentissage prévues par l’article L.1161-5 ne concernent que l’éducation aux gestes liés à l’utilisation d’un médicament, et n’envisagent à aucun moment les perturbations psychosociales liées à la pathologie chronique, lesquelles peuvent avoir pour conséquence au mieux une non observance médicamenteuse, au pire des accidents iatrogènes.

Avec pour corollaire les coûts induits que les économistes de la santé se plaisent à rappeler à chaque publication d’un nouveau rapport sur les maladies chroniques.

Au final, cette procédure déshumanise la prise en soins de nos patients et les prive d’un accès à des soins éducatifs et préventifs, étant entendu qu’aucune infirmière n’aura le temps ni l’envie de procéder à cette déclaration face à des actes non facturables.

Une remise en question du droit a la formation des infirmières libérales

Que la formation continue relève de la filière conventionnelle (Santé Formation 2) ou de nos cotisations obligatoires auprès de l’URSSAF (FIFPL), il va falloir désormais expliquer aux infirmières que les deux jours de stage (soit 14 heures de formation) auxquels elles vont assister ne les autoriserons pas à pratiquer des actions d’éducation puisque l’arrêté du 02 Août 2010 relatif aux compétences requises (NOR SASH1017893A) impose 40 heures de formation au minimum.

Cette disposition valide de fait la co-existence de deux Diplômes d’Etat : le premier donne la compétence à agir en éducation thérapeutique, l’autre impose une formation supplémentaire de type D.U., seul garant de la durée minimale exigée par les textes. On peut se demander dans ces conditions s’il ne faudra pas bientôt un D.U. « plaie et Cicatrisation » pour pouvoir réaliser un pansement, voire comme cela est le cas aux Etats-Unis, un diplôme de « perfusionniste » pour être habilité à poser une perfusion.

Un silence inquiétant de la part des instances représentatives de notre profession

À l’exception d’un seul qui a réagi en Septembre dernier contre le rapport Jacquat publié avant l’été, les syndicats libéraux restent silencieux, occupés à mobiliser leur énergie aux élections URPS qui auront lieu en Décembre. L’Ordre est en cours d’installation avec tous les problèmes que l’on connaît. Les syndicats de salariés négocient quant à eux leur retraite et ne se préoccupent pas, on ne saurait les en blâmer, des enjeux de la médecine libérale.

En fait, vu d’en bas, la voix des acteurs de terrain que nous sommes parait bien inaudible face aux enjeux politiques nationaux qui font l’actualité de notre profession.

Et pourtant, si l’on n’y prend garde, c’est notre rôle autonome qui va être démantelé, au profit d’un exercice infirmier médico-recentré. Tout se passe en effet comme si l’on cherchait à nous recoller l’étiquette « Auxiliaire Médical » dont nous avons eu tant de mal à nous débarrasser. Mais tout se passe aussi au détriment des actions que les acteurs de terrain en général, et pas seulement les infirmiers, mènent avec succès depuis de nombreuses années.

Une association comme ASTERIA par exemple, membre de SIDERAL-Santé, mène depuis trois ans un programme innovant d’accompagnement à leur domicile d’aidants naturels d’une personne dépendante âgée ou handicapée. Les résultats positifs révélés par l’évaluation du programme sont le fruit d’une prise en charge globale de ces personnes, mêlant de l’éducation pour la santé, de l’éducation thérapeutique, de l’éducation nutritionnelle, des actions de soutien psychologique, etc… le tout intégré dans un accompagnement individuel adapté en temps réel aux besoins, aux difficultés, aux souffrances de ces personnes.

Un tel programme n’est tout simplement pas possible si à la minute où l’on aborde le traitement, on doit se soumettre à une procédure de déclaration à l’AFSSAPS.

Dans le même ordre d‘idée, le communiqué du CISS daté du 14 Octobre interroge le contexte actuel :

«  … les agences régionales de santé qui procèdent au recensement des programmes déjà existants se sont abstenues de solliciter les associations qui en disposent d’ores et déjà.
Elles se sont également abstenues de faire connaître aux associations qui souhaitent développer à l’avenir de tels projets de faire remonter leurs propositions afin d’autorisation et de financement.
Drôle de climat sur l’éducation thérapeutique du patient : en l’absence de textes sur les actions d’accompagnement, devons-nous comprendre que l’éducation thérapeutique échappera aussi aux associations ? »

Non assistance à Rôle Propre en danger

A l’heure où l’Assurance maladie, qui n’a toujours pas harmonisé au niveau national ses interprétations du dispositif DSI, forme et salarie ses propres personnels infirmiers aux techniques du Disease Management pour accompagner à distance des patients chroniques dans des plateformes « Sophia », nous nous interrogeons sur l’inclusion possible des actes de prévention et d’éducation dans notre Nomenclature, et plus généralement sur l’avenir de notre rôle propre.

La pénurie médicale annoncée et les expérimentations de transferts de compétences en cours d’évaluation nous conduisent à penser que l’avenir des infirmières libérales et la possibilité qui leur est offerte aujourd’hui de prendre en charge leurs patients dans leur globalité sont fortement compromis. Dans ce contexte, la formation LMD qui se met en place n’a d’intérêt que si les infirmières alimentent leur propre discipline, et ne sont pas instrumentalisées par une filière médicale qui fera d’elles des « tâcheronnes » pour pallier aux déficits démographiques. En guise de conclusion, nous laissons à la méditation de nos lecteurs le texte suivant :

« Si aux notes nécessairement brèves et incomplètes que nous avons données sur chaque maladie, elles joignent leurs remarques personnelles et les observations des savants docteurs dont elles sont les dévouées collaboratrices, elles possèderont bientôt un ensemble remarquable de connaissances précieuses – et nous aurons atteint notre but qui est de leur fournir un instrument de travail et de progrès. » (Vincq Ch. Manuel des hospitalières et des garde-malades. Editions J. de Gigord, Paris, 1919).

C’était il y a un siècle, ce pourrait être demain…

Note de la rédaction : La publication de ce texte par Infirmiers.com ne vaut pas comme approbation de son contenu, mais comme contribution à un débat que nous espérons fructueux. Nous nous engageons à examiner toute autre contribution sur le même sujet.

Sidéral Santé
http://www.sideralsante.fr/


Source : infirmiers.com