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Ebola : une infirmière raconte les soins en Guinée

Publié le 26/02/2015
Ebola soins à des enfants

Ebola soins à des enfants

Lucile, infirmière et réserviste sanitaire, raconte son dernier jour de travail au Centre de Traitement Ebola de Guinée et montre à quel point sa mission s'est avérée délicate...

Dernier jour en Guinée pour une infirmière et réserviste sanitaire.

Je me réveille naturellement avec le soleil. Aujourd’hui sera ma dernière journée de travail au Centre de Traitement Ebola (CTE). J’ai l’impression que je viens d’arriver en Guinée et il est déjà temps de repartir. Je repense aux dernières semaines. Cela fait maintenant deux mois que j’ai quitté mon domicile, trois semaines que je suis à Macenta et presque autant que le nouveau CTE, piloté par la Croix-Rouge française, a ouvert en collaboration avec Médecins sans frontières (MSF).

En tant qu’infirmière expatriée, j’ai la charge de superviser une équipe de huit infirmiers guinéens dont un chef d’équipe. Pour la plupart, ils travaillaient déjà dans le centre de triage que MSF gérait avant l’ouverture du CTE. Ils luttent depuis de nombreux mois contre Ebola. Plusieurs personnes ont perdu des membres de leurs familles. Mais ils sont toujours présents, volontaires et souriants. Ils forcent le respect.

L’équipe peut travailler du matin, d’après-midi ou de nuit selon le planning. J’ai calé mon planning au leur. Aujourd’hui nous sommes d’après-midi. Après avoir passé la matinée à travailler sur l’organisation du CTE, je mange à la base vie avec mes collègues expatriés. Nous sommes plus d’une vingtaine issus de la Croix-Rouge française ou de l’Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires (EPRUS) : logisticiens, « Water and Sanitation » (eau et assainissement - WATSAN), agent communautaire, psychologue, épidémiologiste, pharmacien, médecins, cadre de santé, infirmiers… À 13h40, notre chauffeur m’emmène au CTE, à cinq minutes de là. À l’entrée de la zone « low risk »1, le gardien m'asperge les semelles avec du chlore 0,5%, me demande de me laver les mains au chlore 0,05% et vérifie ma température avec le thermoflash. Je me change ensuite dans le vestiaire et endosse une tenue scrub2 et des bottes. J’avance vers la tente médicale pour assister à la passation3 de 14h. Les médecins de l’équipe descendante nous font part du relevé des plaintes, des températures et des traitements des patients qu’ils ont vus lors de la visite du matin. Nous échangeons sur la nécessité de perfuser certains patients. C’est un geste qui peut paraître anodin pour les soignants français mais qui devient, en contexte Ebola, un des gestes les plus à risque de contamination. Une fois la passation terminée, le chef d’équipe, avec qui je travaille, élabore la planification de l’après midi. Sur un tableau blanc, il note les différents tours nécessaires en fonction du nombre de patients, de leurs besoins et du nombre de sorties prévues.

Nous échangeons sur la nécessité de perfuser certains patients. C’est un geste qui peut paraître anodin pour les soignants français mais qui devient, en contexte Ebola, un des gestes les plus à risque de contamination.

Les soins infirmiers aux malades d'Ebola

Aujourd’hui il y aura un premier tour de nursing, la sortie de deux patients non-cas4 puis le tour médical et enfin le tour repas. Chaque soignant ne peut rentrer qu’au maximum deux fois par shift5. Nous ne pouvons rester en « personal protective equipment » (PPE) plus d’une heure (déshabillage compris). Il faut aussi laisser au moins une heure de repos entre deux tours en « high risk »6 pour être bien reposé et capable d’y retourner sans risque. Le chef d’équipe répartit les infirmiers sur les tours. Je suis intégrée au tour de nursing. Ma présence y est particulièrement importante puisque nous avons initié cette semaine la mise en place d’ateliers pratiques pour le personnel guinéen et le premier thème est la toilette au lit. En Guinée, habituellement, quand une personne est gravement malade, elle se rend à l’hôpital accompagnée par une personne de la famille qui jouera le rôle de garde-malade et paiera les frais médicaux. Le garde-malade s’occupe de donner à manger et de laver le patient. Le nursing n’est culturellement pas associé aux soins infirmiers. Tous ont cependant compris la nécessité de s’investir dans cette tâche durant cette situation hors norme qui ne permet pas aux patients d’avoir de garde-malade. C’est la première fois que nous allons faire des toilettes au lit avec cette équipe. Après un petit rappel du matériel nécessaire, le chef d’équipe nous indique nos binômes et les patients que nous allons voir. Il y a actuellement trente patients dans le CTE. Nous avons donc 45 minutes pour faire le nursing de 10 patients à deux.

Je suis en binôme avec le chef d’équipe aujourd’hui. Après nous être habillés en PPE et checkés7, nous nous dirigeons directement vers la tente des patients confirmés8. Nous faisons un rapide tour, sur les vingt patients confirmés, il y a au moins huit patients qui nécessitent une toilette complète. Un deuxième binôme est là pour s’occuper d’une moitié des patients confirmés. Nous distribuons à la demande des jus de fruits et des biscuits à ceux qui sont autonomes. Nous préparons ensuite le matériel pour notre première toilette. C’est une femme d’une cinquantaine d’années. Ce n’est pas fréquent de voir des personnes aussi âgées ici quand on sait que l’espérance de vie est de 56 ans. Nous rapportons deux seaux d’eau et un “kit toilette pour femme”. Elle est très faible, réagit à peine à notre présence et répond par des monosyllabes. Nous effectuons sa toilette le plus doucement possible pour ne pas lui faire mal. Le lit est très bas et nous souffrons de la chaleur. Nous l’habillons avec une tenue propre. Nous la soutenons ensuite en position assise le temps de l’aider à boire. Nous regardons l’heure, cela fait déjà quarante minutes que nous sommes entrés. Le temps d’éliminer les linges souillés et les seaux d’eau, et nous devrons sortir. Je suis épuisée. Le deuxième binôme qui est avec nous dans la tente des patients confirmés a pu faire deux toilettes, aidé par le binôme qui était dans la tente des patients suspects/probables9 qui l'a rejoint après avoir fini son travail. Il y avait moins de nursing à faire dans sa tente. Nous sortons, frustrés de n’avoir pu faire que trois toilettes chez les patients confirmés alors que cinq autres le nécessitaient.

Pendant notre tour, deux infirmiers expatriés ont fait sortir les deux patients non-cas et trois infirmiers guinéens se sont préparés à rentrer, chacun en binôme avec un médecin pour le tour médical. A notre sortie, le tour médical a déjà commencé. Ils relèvent les plaintes des patients, administrent des traitements symptomatiques à ceux qui en ont besoin et prennent les températures. C’est le seul paramètre que nous pouvons prendre.

Des biscuits et de l’eau nous sont distribués à la sortie de la zone « high risk ». Porter une PPE pendant une heure peut nous faire perdre jusqu’à trois litres d’eau, surtout l’après-midi quand la température atteint les 35°C à l’ombre. L’hydratation est une chose à ne pas négliger dans ces circonstances. Nous changeons de tenues scrub, les nôtres étant complètement trempées de sueur. Nous prenons un repos nécessaire. Nous notons ensuite les transmissions de l’équipe qui fait le tour médical. Ils ne peuvent pas sortir leurs feuilles de transmission de la zone « high risk ». Ils nous dictent les plaintes, traitements et températures, qu’ils reporteront ensuite dans les dossiers patients une fois sortis de la zone « high risk ».

Porter une PPE pendant une heure peut nous faire perdre jusqu’à trois litres d’eau, surtout l’après-midi quand la température atteint les 35°C à l’ombre.

Le temps des « au revoir »

Je prends un peu de temps avec l’équipe pour leur dire combien j’ai été heureuse et fière de travailler avec eux. Nous prenons de nombreuses photos et échangeons nos coordonnées. Ce sont des moments pleins d’émotions qui démontrent la force de cohésion de l’équipe, nécessaire pour affronter les nombreux moments difficiles et renforcée par les moments très joyeux comme les sorties de patients guéris.

La fin de journée approchant, l’équipe se prépare à aller distribuer les repas que le Programme Alimentaire Mondial (PAM) vient de nous livrer. Je reste en « low risk » cette fois. Je suis « volante » et reste disponible pour mes collègues s’il leur manque quelque chose en zone « high risk ». Pendant leur tour, ils constatent un décès. C’est la femme à qui nous avons fait la toilette en début d’après-midi. Je suis triste pour elle et en même temps rassurée qu’elle ait pu avoir un peu de dignité avant son décès.

La passation du soir approche. L’équipe montante arrive. Les médecins commencent leurs transmissions pour l’équipe de nuit. Ce sera la dernière passation pour moi. C’est le coeur gros que je leur dis définitivement au revoir à tous. Je les félicite pour leur courage. Peut-être reverrais-je un jour ces « combattants d’Ebola »10.

Lucile, infirmière et réserviste sanitaire

Lucile, infirmière diplômée en 2009, est devenue réserviste sanitaire auprès de l'EPRUS en 2013.  En octobre 2014, elle part pour la première fois avec la réserve sanitaire pour participer à l'ouverture d'un centre de traitement Ebola en Guinée forestière, coordonné par la Croix-Rouge. J'ai eu des formations théoriques et pratiques à Paris, Genève et Conakry, que j'ai ensuite mises en pratique dans le village de Macenta, raconte-t-elle. Nous étions plusieurs professionnels de la santé et de la logistique à partir. La complémentarité de nos métiers, notre sens partagé de la solidarité et de l’humanisme, nous ont liés les uns aux autres pour nous permettre de répondre aux objectifs qui nous étaient fixés mais aussi de dépasser ensemble les difficultés auxquelles nous étions confrontés. Nous avons traversé des moments douloureux et pris en charge de nombreux décès. Mais nous avons aussi fêté ensemble la sortie de patients guéris. Nous avons fait la connaissance de nombreux soignants guinéens qui luttaient contre cette épidémie depuis plusieurs mois déjà avant notre arrivée. Leur courage, leur endurance et leur gentillesse forcent le respect. Et de conclure que cette expérience a été très enrichissante pour moi, tant sur le plan professionnel que humain. J’espère pouvoir m’engager un jour pour une nouvelle mission.

À lire : En direct du Centre de traitement Ebola de Macenta en Guinée Conakry .

Notes

  1. Low risk : zone du CTE où sont réunis les bureaux, stocks, pharmacie…
  2. Scrub : tunique d’infirmier/pyjama de bloc
  3. Passation : terme courant en Guinée pour transmission
  4. Patient non-cas : personne qui n’est pas atteinte par le virus Ebola : RT-PCR (test Ebola) négative 3 jours après le début des symptômes.
  5. Shift : mot anglais pour équipe
  6. High risk : zone ou sont isolés les patients qui est elle-même divisée en zone suspects, zone probables et zone confirmés
  7. Check : l’habillage se fait en binôme afin d’être toujours sûr de l’intégrité de la PPE
  8. Patient confirmé : personne qui a eu une RT-PCR positive (test Ebola)
  9. Patient suspect/probable : personne malade qui n’a pas de confirmation biologique du diagnostique Ebola
  10. Combattants d’Ebola : référence au titre de personnalité de l’année 2014 décerné par le Times.

Lucile PLOUNEVEZ  Infirmière aux Urgences du CHIMM  Réserviste Sanitaire EPRUS


Source : infirmiers.com