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AU COEUR DU METIER

Dysfonction érectile : quid d'une consultation infirmière dédiée

Publié le 11/12/2014
consultation infirmier

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Le service d'Urologie du CHU - Hôpitaux de Rouen, constatant un nombre croissant de demandes de prises en charge des dysfonctions érectiles, a créé en 2008 une consultation infirmière d’information et d'éducation spécifique à cette prise en charge. Deux infirmières consultent à cette fin et nous en expliquent la valeur-ajoutée.

En guise d'introduction...

La prévalence de la dysfonction érectile chez des patients consultants en urologie est de 68%.

Avec un taux de prévalence supérieur à 20% chez les hommes de plus de 60 ans, la dysfonction érectile (DE) est extrêmement fréquente1. Elle est définie comme l’incapacité persistante d’obtenir et/ou de maintenir un degré d’érection suffisant pour permettre une activité sexuelle. Cette pathologie impacte significativement la qualité de vie : 68% des patients atteints déclarent en souffrir dans leur vie quotidienne et 55% d'entre eux souhaiteraient une prise en charge médicale. La prévalence de la dysfonction érectile chez des patients consultants en urologie est de 68%. Les troubles sexuels et la dysfonction érectile représentent le premier motif de consultation en urologie juste après les maladies prostatiques2.

Le service d'Urologie, du CHU - Hôpitaux de Rouen, constate une demande constante des prescriptions de prises en charge des dysfonctions érectiles (environ 250 par an). Jusqu’en 2008, la prise en charge de la dysfonction érectile était réalisée par les urologues de manière hétérogène, non standardisée, au cours d’une consultation médicale. La prise en charge spécifique des troubles de l'érection n'était proposée ni dans les autres services du CHU et ni dans les autres établissements de santé de la région. Devant ce constat, il était urgent de répondre à la demande, il a alors été décidé de créer une consultation infirmière d’information et d'éducation dédiée aux dysfonctions érectiles. Cette consultation est complémentaire de la consultation de l’urologue ou de l'andrologue.

La prévalence de la dysfonction érectile chez des patients consultants en urologie est de 68%.

Une consultation infirmière : pour quoi faire ?

L’objectif de cette consultation est de permettre aux patients d’acquérir et de conserver une autonomie dans la gestion de sa sexualité. Le rôle de l’infirmière est d'évaluer cliniquement la dysfonction érectile,  d'informer le patient sur les traitements, leurs modalités d’administration (l’utilisation précoce des injections intra caverneuses de prostaglandine post opératoire étant le traitement de référence3 et d'apporter un soutien au patient et à son partenaire.

La mise en place de la consultation infirmière a nécessité de dédier : deux jours par semaine de temps infirmier (1 jour par infirmière spécialisée), une salle de consultation et de créer des outils basés sur les recommandations professionnelles du Comité d’Andrologie de l’Association Française d’Urologie (AFU)4.

Dans un premier temps, cette consultation infirmière s’adressait aux patients du service d'urologie ayant bénéficié d'une chirurgie pelvienne : prostatectomie radicale, cysto-prostatectomie. Puis elle s’est ouverte aux patients souffrant de dysfonction érectile de toutes étiologies.     

Les outils élaborés par l'infirmière référente et validés par l'urologue/andrologue sont les suivants :

  • à l'usage du patient : une fiche de conseils pratiques  pré et post injection, une procédure du schéma thérapeutique concernant l'augmentation progressive des doses de prostaglandine intra-caverneuses et une fiche de conduite à tenir devant une érection prolongée ;
  • à l'usage de l'infirmière : une fiche d’évaluation et de traçabilité des résultats physiologiques de l'acte réalisé par le médecin, puis de l’acte réalisé par le patient (acquisition des gestes, hygiène, sécurité…). Cette grille d’évaluation permet également d’identifier les aptitudes et les objectifs individuels d'apprentissage du patient ;
  • à l'usage du médecin : un protocole de prise en charge du priapisme aigu.

Une consultation ouverte aux patients souffrant de dysfonction érectile de toutes étiologies.

Une consultation infirmière : comment ?

La  consultation infirmière d’information et d’éducation à l’apprentissage des injections intra-caverneuses, prescrite par l'urologue, se déroule en trois temps.

Premier temps

Le premier temps est un temps d'information, de reformulation et d'écoute. La physiologie de l’érection et l’étiologie de la dysfonction érectile sont réexpliquées au patient afin de permettre une meilleure compréhension du problème. Les indications, le mécanisme d’action, et les propriétés des injections intra-caverneuses de Prostaglandine E1 dans le cadre des dysfonctions érectiles sont exposés. Les alternatives thérapeutiques (vacuum, inhibiteurs de la phosphodiestérase de type V -IPDE5-, prothèses péniennes) sont également présentées au patient ; elles sont utilisées en cas de refus du patient des injections intra-caverneuses (IIC), d'effet indésirable ou d'échec. Ce premier temps est l'occasion pour le patient et/ou son partenaire d'aborder des questions intimes ou personnelles auxquelles l’infirmière répond. Le recours au psychologue ou au sexologue du service se révèle parfois nécessaire. En présence de l’infirmière, un film d’apprentissage aux injections de prostaglandine E1 est  projeté  au patient, il décrit la préparation des seringues et la réalisation de l’injection.

Deuxième temps

Le deuxième temps est un temps d'éducation. Les mesures d’hygiène (lavage des mains, asepsie de la peau) ainsi que les mesures de sécurité (gestion des déchets) sont enseignées au patient pour limiter les risques infectieux. Le matériel d'injection est présenté au patient qui apprend à préparer la seringue et à réaliser sa première injection intra-caverneuse. Des supports anatomiques pédagogiques permettent de réaliser un atelier de pratiques. L'IIC doit être effectuée par le patient (ou par son partenaire) sous contrôle infirmier. Si le patient ne se sent pas capable de faire seul son IIC, l’infirmière fait appel au médecin pour réaliser l’injection (acte médical). Des conseils pratiques pré et post-injection sont donnés au patient. Une fiche reprenant ces conseils lui est remise, ainsi qu’un livret d’information, une fiche "Conduite à tenir devant une érection prolongée" et une fiche "Schéma thérapeutique". Le schéma thérapeutique propose de réaliser 2 à 3 injections par semaine espacées d’au moins 48 heures (même sans rapport sexuel) et d’augmenter si nécessaire les doses de 2,5 μg par injection toutes les 4 injections jusqu'à l’obtention d’une érection complète.

Troisième temps

Le troisième temps est un temps d'évaluation. L'acte technique réalisé est évalué par l'infirmière et corrigé si nécessaire. La tolérance de la première injection (absence de priapisme, de douleur…) et la qualité de l’érection sont également évaluées suivant l’échelle de rigidité EHS (Erection Hardness Score) d'évaluation simplifiée de la fonction érectile. Le déroulement de la consultation d’éducation est consigné sur la fiche d’évaluation et de traçabilité et, est reprise lors de chaque consultation infirmière. Celle-ci permet de noter l'évolution de l'apprentissage et l'acquisition des compétences.

En journée, en cas de difficultés ou de mauvaise tolérance (douleur, érection prolongée, crainte d'augmenter les doses, incapacité à avoir un rapport sexuel), les deux infirmières référentes sont joignables par téléphone. Après 18h, le patient peut s'adresser au Service d'Accueil et d'Urgences le plus proche de son domicile. Une consultation infirmière d’évaluation à trois mois puis à six mois est réalisée. Elle permet d’évaluer l’atteinte des objectifs définis avec le patient lors de la première consultation infirmière. Elle est un moment d’écoute et d’échange très important pour une bonne adhésion au traitement.

Consultation infirmière : quels bénéfices ?

Cette consultation infirmière concrétise une collaboration tripartite entre le patient et/ou son partenaire, l'infirmière et le médecin, où chacun trouve un bénéfice à la prise en charge d'un sujet  encore trop souvent tabou dans notre société.

Pour le patient :

  • sécurisation, accompagnement et encouragement dans la réalisation d'un acte technique ;
  • écoute et informations personnalisées sur un sujet intime ;
  • implication du partenaire dans le prise en charge soignante ;
  • identification et qualification du  parcours de soin, autonomisation comme acteur de sa santé.

Pour l’infirmière :    

  • responsabilisation et  opportunité d'évolution du métier (attractivité et fidélisation) ; 
  • développement de la collaboration médico-soignante (confiance réciproque) ;
  • rédaction d'un compte rendu de soins infirmiers ;
  • reconnaissance d'une plus-value par les patients et l'encadrement ;
  • opportunité de formation continue.

Pour le médecin :

  • développement de la collaboration médico-soignante (confiance réciproque) ;
  • dégagement de temps, pour d’autres activités clinique et/ou universitaire.

L'indispensable évaluation

Fortes de l’expertise des infirmières, générant une excellente adhésion des patients au traitement par injection intra caverneuse et un haut taux de satisfaction des patients, mais aussi des équipes médicales et paramédicales, les consultations infirmière ont doublé en 5 ans (224 en 2013  200 au 30/04/2014). Deux infirmières consultent afin d'assurer une continuité de prise en charge.

Une enquête de satisfaction a été menée dans le service d'Urologie du CHU-Hôpitaux de Rouen en 2010, auprès de 40 patients ayant bénéficié d'une prostatectomie radicale ou d'une cysto-prostatectomie pour un cancer de la prostate. L’objectif était d’évaluer :

  • l'importance des troubles de l'érection postopératoires ;
  • le retentissement sur la qualité de vie sexuelle et générale (et éventuellement sur celle de leur partenaire) ;
  • la qualité de l'érection après injection intra-caverneuse de Prostaglandine ;
  • les effets indésirables et les bénéfices apportés par cette prise en charge.

Les patients traités par hormonothérapie étaient exclus de l'étude. Pour chaque patient, les données recueillies étaient : l'âge, la situation maritale, l'orientation sexuelle, le type d'intervention chirurgicale (prostatectomie radicale ou cysto-prostatectomie, préservation ou non des bandelettes, uni ou bilatérale) et l'indice International Index of Erectile Function à 15 items (IIEF 15).

L’IIEF 15 est un auto-questionnaire validé pour étudier les troubles de la sexualité, dont le score maximal est de 75, il regroupe 15 questions dans la version complète que nous avons utilisé (5, dans sa version abrégée). Pour le partenaire l’auto-questionnaire Index of Sexual Life (ISL) a été utilisé, il évalue l’impact de la dysfonction érectile sur la sexualité de la partenaire. Cet index est composé de 11 questions (score total noté sur 50) qui, de la même manière que l'IIEF, recouvre 3 domaines différents de la sexualité féminine. L'évaluation des patients et de leurs partenaires par les indices IIEF et ISL à été réalisée avant et après l'intervention chirurgicale, puis trois mois après le début des injections intra-caverneuses. Les indices IIEF et ISL avant l'intervention étaient recueillis de manière rétrospective lors de la première consultation infirmière.

Des résultats significatifs

Tous les patients étaient mariés (sauf un divorcé) et hétérosexuels. Leur âge moyen était de 59,5 ± 9 ans. Le plus jeune avait 25 ans, le plus âgé 71 ans. Près de la moitié des patients (45 %) étaient accompagnés de leur partenaire au moment de la première consultation.

L'évaluation de la fonction sexuelle chez l'homme, par l'indice IIEF, montre une altération significative de tous les domaines explorés en post-opératoire. Les fonctions érectiles, orgasmiques et la satisfaction du rapport sexuel sont les fonctions les plus altérées alors que le désir sexuel est le mieux préservé. Les injections intra-caverneuses permettent une nette amélioration des paramètres de qualité de vie sexuelle, améliorant en particulier la fonction érectile et la pénétration.

La qualité de vie sexuelle des femmes, partenaires de patients souffrant de dysfonction érectile, a également été évaluée. 18 femmes ont accepté de répondre au questionnaire au moment de la prise en charge initiale, 10 ont à nouveau répondu à ce questionnaire lors de la réévaluation à trois mois. Chez la femme, partenaire de patient ayant une dysfonction sexuelle, l'analyse du score ISL montre également une altération des trois domaines explorés mais on remarque que le score de libido était déjà altéré avant l'apparition de la dysfonction sexuelle. De même, l'évaluation par les femmes de leur satisfaction de vie sexuelle est inférieure à celle des hommes avant l'intervention, contrastant avec une satisfaction de vie globale excellente (critère non évalué chez l'homme). Si l'intervention a un retentissement important sur la satisfaction de vie sexuelle et la libido de leur partenaire, les injections intra-caverneuses ne semblent pas avoir le même bénéfice chez les femmes que chez les hommes, ne permettant pas une récupération de la qualité de vie sexuelle aussi importante.

La pratique des injections intra-caverneuses ne permet pas de retrouver les scores préopératoires chez l'homme comme chez sa partenaire, et restent 20 à 30 % inférieurs. Néanmoins, elles permettent une augmentation très significative des scores chez l'homme (augmentation de la fonction érectile de 303 %, de la satisfaction du rapport sexuel de 148 %, de la fonction orgasmique de 142 %, de la satisfaction globale de vie sexuelle de 71 %, du désir sexuel de 48%), moins importante chez sa partenaire (augmentation de la libido de 36 %, de la satisfaction de vie sexuelle de 31 % et la satisfaction de vie globale de 13 %).

La consultation infirmière d'éducation, d'information et d'apprentissage aux injections intra-caverneuses est très appréciée par les patients : 73 % se déclarent très satisfaits ou la jugent indispensable.

Vers une évolution de la pratique infirmière ?

Forts de l'impact très positif de la mise en place d'une consultation infirmière IIC, et, nous appuyant sur la loi HPST du 21 juillet 2009, Article 51 permettant la mise en place, à titre dérogatoire et à l’initiative des professionnels, un transfert d’actes ou d’activités de soins et de réorganisations des modes d’intervention auprès des patients, nous envisageons un projet de coopération interprofessionnelle concernant :

  • la réalisation des injections intra caverneuse (IIC) de prostaglandine E1, par l'infirmière experte en lieu et place d'un médecin ;
  • l’interprétation du résultat de l'IIC ;
  • la validation ou invalidation du traitement par IIC.

Actuellement, le Décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 Code de la Santé Publique aux articles R 4311-1 à R 4311 n’autorise pas l’infirmière à réaliser une injection intra caverneuse (IIC), ce qui génère des interrogations chez les patients qui ne comprennent pas pourquoi l’infirmière qui leur apprend à pratiquer seuls leurs IIC ne peut pas elle même réaliser cet acte médical. En effet, l'infirmière sollicite systématiquement le médecin pour la première injection.

La perspective d'évolutions, du champ de compétences de l'infirmière, par reconnaissance d'actes dérogatoires, permet d'envisager une évolution favorable de la profession vers la valorisation d'un métier en pleine mutation.

Notes

  1. Giuliano F, Droupy S, Dysfonction érectile Progrès en urologie 2013:23,629-637.
  2. Giuliano F, Chevret-Measson M, Tsataris A. et al. Prevalence of Erectile Dysfonction in France: Results of an epidemiological survey of a representative sample of 1004 men. Eur Urol 2002;42:382-389.
  3. Montorsi F, Guazzoni G et al. Recovery of spontaneous erectile function after nerve-sparing radical retropubic prostatectomy with and without early intracavernous injections of alprostadil: results of a prospective, randomized trial. J Urol 1997;158(4):1408-10.    
  4. Droupy S, Giuliano F, Costa P et les membres du comité d’andrologie de l’AFU. Rééducation érectile après prostatectomie totale. Prog Urol 2009; 19 :S193-S197.

Carine JEGO Infirmière DE Pôle Viscéral, service d’Urologie CHU-Hôpitaux de Rouen

Dominique WOINET Cadre supérieur de Santé Pôle Viscéral, service d’Urologie CHU-Hôpitaux de Rouen


Source : infirmiers.com