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IADE

Douleurs chroniques et relaxation : l'expérience d'une IADE

Publié le 12/09/2014
soignante patiente

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training autogène

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CD training autogene

CD training autogene

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composantes de la douleur

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training autogène

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Infirmière anesthésiste, référente douleur, Florence Limouni oeuvre au coeur de la consultation douleur du centre hospitalier de Compiègne. Forte de son expertise en technique de relaxation, véritable outil efficace pour les douleurs chroniques, elle "travaille" avec les patients et a réalisé pour eux - et avec eux - un CD, support d'aide à l'utilisation d'une technique de relaxation basée sur le training autogène de Schultz. Elle nous explique sa démarche.

Le Training Autogène correspond parfaitement à l'objectif d'autonomisation du patient, dans son nom se trouve la notion d'entraînement et de « par soi même ».

Diplômée en 1985, j'ai travaillé ensuite cinq années en réanimation, validé la formation IADE (1992), exercé comme infirmière anesthésiste au bloc opératoire et en SSPI. En 1996, j'entreprends un DU douleur à Saint-Antoine (Paris). Riche de cette expertise, j'intègre la consultation douleur du centre hospitalier de Compiègne en 2005. C'est là qu'est né mon projet.

Travailler en consultation douleur est en effet un virage professionnel. Si toute la technicité acquise en réanimation et en anesthésie me seront fort utiles, il me manque cependant quelques « outils ». Proposer aux patients de consultation « douleur » l’apprentissage d’une technique de relaxation est courant, le médecin responsable de l’unité, le Dr Autret, m’a proposé de m’y intéresser. Ce fut une opportunité pour moi car je connaissais déjà la sophrologie pour l’avoir pratiquée lors d’un stage de « sourcement  soignants » réalisé au sein du CH Compiègne.

Dans le cadre de la formation continue et de l'adaptation au poste, j’ai donc suivi une formation en Relaxation à l'Institut de Relaxation Thérapeutique (dirigé par Mr Koskas) :

  • 2006 « Relaxation chez l'adulte » (Apprentissage du Training Autogène de Schultz) ;
  • 2007 « Relaxation et inductions corporelles » (par le massage, que j'utilise plus pour les patients hospitalisés) ;
  • 2008 « Relaxation et symbolique » (donne du sens aux ressentis rendus par le patient) ;
  • 2009 « Supervision collective » (chaque stagiaire mène à son tour les séances, présente des dossiers, permet d'évaluer et d'améliorer ses pratiques). Cette formation nous fait vivre la relaxation, comprendre ce que l'on peut y ressentir et en attendre.

Qu’est ce que la douleur chronique ?

Selon l’ANAES – 1999, à partir de la définition de la douleur de l’International Association for the Study of Pain (IASP), la douleur chronique est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en termes évoquant une telle lésion, évoluant depuis plus de 3 à 6 mois et/ou susceptible d’affecter de façon péjorative le comportement ou le bien-être du patient…

La douleur comprend quatre composantes. Si l’on souhaite évaluer correctement une personne qui souffre de douleurs chroniques, il nous faudra les explorer toutes, d’où la nécessité d’une prise en charge pluridisciplinaire.

Quel intérêt de proposer une technique de relaxation au patient douloureux chronique ?

Comme nous venons de le voir, la douleur est un « tout », elle comprend une part physique mais aussi émotionnelle. L’envahissement quotidien par la douleur a donc des conséquences sur la vie du patient qui, petit à petit, s’enferme. L’anxiété est également fréquente qu’est-ce qui m’arrive, je ne me reconnaît plus ! ; Comment vais-je finir ma vie ? ; J’ai peut-être quelque chose de très grave et les docteurs ne savent pas ! (Souvent avec les douleurs fonctionnelles). Les relations avec l’entourage peuvent ainsi se détériorer. L’apprentissage de la relaxation va permettre de se poser, ressentir son corps différemment, prendre du recul. Dans l’accompagnement de certaines personnes, la relation bienveillante lors des séances va permettre de revoir le « verre à moitié plein » plutôt que toujours à demi vide. Positiver ! Pour d’autres, le soutien de la psychologue se fera petit à petit ressentir comme une évidence. 

Chaque personne que j'ai pu accompagner à représenté pour moi une rencontre unique, ce « petit bout de chemin » parcouru ensemble est toujours très enrichissant.

Pourquoi le Training Autogène ?

La relaxation est basée sur deux techniques essentielles, le Training Autogène et le « Jakobson » basé sur l'alternance « contraction - relâchement » contrôlée des muscles.

Le training autogène a été créé vers 1930 par Johannes Heinrich Schultz (1884-1970), neurologue et psychiatre allemand. Il s’est inspiré, notamment, des travaux d’Oscar Vogt sur l’hypnose, d’Émile Coué sur l’autosuggestion consciente et de Freud qu’il a rencontré à quelques reprises. Il s’agit d’une méthode de relaxation par auto décontraction concentrative visant à procurer un apaisement du stress et de l’anxiété.

Le Training Autogène correspond parfaitement à notre objectif qui est d'autonomiser le patient, dans son nom se trouve la notion d'entraînement et de « par soi même ». Si le patient veut obtenir des bénéfices, il va devoir « investir » en pratiquant. Il a également l'avantage de réunifier le corps et l'esprit souvent morcelés dans nos pratiques spécialisées de la médecine. Ainsi, même si ma voix « emmène » le patient, c'est bien son cerveau qui demande à son corps de se relâcher. Cette attention bienveillante donnée au corps, si peu fréquente dans notre culture, va permettre à la personne qui habituellement souffre de ce corps, de se « réconcilier » avec lui. L'autre point positif est que ce corps relâché va permettre à l'esprit, lui aussi, de se relâcher, et pour une personne qui vit au quotidien avec le cercle vicieux « douleur - fatigue - retentissement émotionnel plutôt négatif » ces petites pauses sont précieuses.

Petites phrases des patients en cours de séance... 

Nombre d'entre eux « m'avoueront » leur scepticisme, soit dès la 1ère rencontre, soit à distance. Puis ce sera la surprise « je n'aurai pas pensé … je n'ai jamais ressenti çà ! » ; Les plus classiques : « j'étais bien » ; « j'étais partie » ; « j'étais loin ».

  • Mme D, 55 ans : « c'est incroyable … trop bien … je suis sans mots ! » ; « je suis comme dans un cocon … mieux que dans l'eau … on est porté, léger, c'est doux » ; « c'est le vide, la liberté, je retrouve mon cocon, je volerai » ;
  • Mme L, 42 ans : « ça fait drôle … c'est comme si je n'avais plus de corps » ;
  • Mme D, 70 ans : « je sens un châle de chaleur se placer sur mes épaules … il me protège » ;
  • Mme C, 60 ans : « je suis molle, ratatinée » « je suis dans ma bulle » « ça regonfle mes accus … je fais le plein d'énergie » « je me débarrasse des mauvaises choses » ;
  • Mme D, 57 ans : « je suis dans du coton, lourde et légère à la fois ».

Quel circuit pour le patient ?

Le patient est adressé par le médecin traitant ou par un spécialiste à la consultation « douleur chronique » => consultation médicale avec médecin algologue + ou – psychologue => évaluation => propositions thérapeutiques.

La relaxation est un des outils non médicamenteux proposés, le patient m’est donc adressé par le médecin algologue. Il ne s’agit pas d'une « alternative quand plus aucun traitement ne marche » mais plutôt d'un adjuvant aux traitements médicamenteux. Cette proposition doit arriver « au bon moment » pour le patient sinon elle sera vouée à l'échec. Le patient est suivi individuellement, je peux ainsi aller à son rythme et les retours (verbalisation post séance) sont parfois très personnels.

Toutes les consultations douleur proposent des séances de relaxation, de sophrologie ou d’auto hypnose.

Lire l'Apprentissage d’une technique de relaxation (PDF) qui reprend le déroulé de séance

Pourquoi et comment ce CD ?

Lors des séances, les patients parlent de la « voix » qui aide à se relâcher, qui guide. Ils m’interrogent sur la possibilité d'obtenir un support audio, et certains le réalisent eux-mêmes en cours de séance. Tout ceci nous a amené vers cette réalisation.

Restait à trouver le « comment ? » C'est une patiente qui nous donnera le chemin : la ville de Compiègne possède un studio, pourquoi ne pas demander au Maire l'autorisation d'y enregistrer ce support ! J'ai donc évoqué cette possibilité avec le Dr Autret, médecin responsable de l'unité, qui m'a donné immédiatement son accord.  Ma collègue du service Communication m'a aidée à obtenir l'accord de la Direction. J'ai adressé un courrier au Maire qui a répondu favorablement,  encore quelques personnes intermédiaires et j'ai pu rencontrer Mr Gutman qui a réalisé avec moi l'enregistrement, entre deux jeunes rappeurs, le studio « Les Picantins » s'est mis en phase « relaxation » ! Ce fut une expérience très intéressante et assez inattendue pour une infirmière. Les CD vierges me sont fournis par le Centre Hospitalier, la copie est réalisée sur l'ordinateur de mon bureau, le service de Communication réalise les jaquettes avec la reprographie.

Le support est ensuite remis gracieusement aux patients en fin d'apprentissage, si cela leur est nécessaire pour pérenniser leur pratique.

Les CD vierges ont été  fournis par le Centre Hospitalier, la copie réalisée sur l'ordinateur de mon bureau, le service de Communication a réalisé les jaquettes avec la reprographie", explique Florence Limouni.

Les bénéfices rapportés par les patients

La plupart du temps, voici ce qu'ils en disent 

  • "Je suis plus calme, j'ai moins de réactions impulsives, ça améliore mes relations aux autres, je prends plus de recul, je relativise plus, je gère mieux mes angoisses." ;
  • "On voit que, plus que sur la douleur dans sa dimension sensitive, c'est son retentissement émotionnel qui est diminué et améliore donc le vécu." ;
  • "Dans le cadre des céphalées - migraines, le nombre d'épisodes et leur intensité diminuent." ;

Les « douloureux chroniques » souffrent également souvent de troubles du sommeil, le gain est net sur la capacité à s'endormir (ou se ré endormir) et sur le nombre de réveils nocturnes.

Voici cependant les témoignages qui m'ont le plus « marqué ». Chaque personne que j'ai pu accompagner à représenté pour moi une rencontre unique, ce « petit bout de chemin » parcouru ensemble est toujours très enrichissant.

  • Maxime, 20 ans, m'est adressé pour des migraines et céphalées de tension. Il est en prépa grandes écoles. En 2 séances les maux de tête ont disparu ! C'est presque incroyable, nous poursuivrons les rendez vous jusqu'à ses examens, et il obtiendra l'entrée dans l'école de son choix.
  • Mr L, 53 ans, en soins palliatifs, s’est approprié tout ce qu’on a pu lui proposer en « soins de support », pour au final, gérer son temps de vie comme il le souhaitait. Ça a été une rencontre formidable, épuisante, mais inoubliable.
  • Avec Mme D, 57 ans, souffrant d’une pathologie génétique depuis toujours, dans un contexte professionnel devenu trop « différent » très stressant (enseignante en CEFPA), nous avons poursuivi les séances jusqu’à son départ en retraite. Son histoire m’a montré à quel point la douleur dépendait aussi du contexte de vie.

Et maintenant…

J’ai remis une vingtaine de CD aux patients suivis antérieurement et qui avaient demandé ce support et à « mes » nouveaux. Pour le moment, tous les retours sont très positifs, chacun a aménagé sa façon d’utiliser le support. Utilisation régulière ou plus ponctuelle lorsque le chemin se perd un peu, une séquence différente ou toujours la même, une ou plusieurs, avec un fond musical associé... J’ai pu aussi « gagner » un peu de temps, en diminuant le nombre de séances, et donc en pouvant offrir cet outil à plus de personnes.

Mon expérience de 8 années de pratique en relaxation

  • La relaxation représente environ 15% de mon temps de travail.
  • Patientèle - 138 patients : 128 femmes – 10 hommes
  • Âges : la plus jeune a 13 ans, la plus âgée, 74 ans.
  • Quelles indications :
    • 35 souffrant d’un syndrome fibromyalgique
    • 28 souffrant de dorsolombalgies
    • 27 souffrant de céphalées /migraines
    • 15 souffrant de douleurs diffuses
    • 7 souffrant d’un syndrome douloureux complexe
    • 4 d’un cancer, 3 d’algoneurodystrophie, 3 d’une névralgie faciale, 2 de douleurs cervico brachiales, 2 de sclérose en plaques, 2 de lupus, 10 autre.

On retrouve pour nombre d’entre eux une notion d’anxiété, nombre d’entre eux ont un suivi psychologique en parallèle, certains accepteront ce suivi proposé en cours d’apprentissage.

Nombres de séances et niveau d’apprentissage

Nombre de séances

28 patients ont arrêté avant la globalisation en détente – pesanteur, l’analyse des arrêts retrouve : l’absence de ressenti empêchant la progression (3), la douleur ne permettant pas le maintien d’une position suffisamment confortable (3), les difficultés dans la prise des rdvs (2) ou la distance domicile – hôpital (2), personne souhaitant arrêter car elle va « mieux » (2), problème psychiatrique (1 personne, ré orientée vers l’algologue puis vers le psychiatre), « ne se sent pas prête » (1).

Pour les 110 autres, nous sommes allés jusque :

Nouveaux consultants / an

Sur les 6 derniers mois de 2014, 12 patients en fin de prise en soin, 4 en cours. La moyenne de 10 séances / patient, grâce au CD, est maintenant descendue à 6 - 7 séances. Cela peut me permettre de me projeter sur une augmentation de 30% de patients supplémentaires/an soit entre 30 et 32 patients pris en charge par an.

Florence LIMOUNI  Infirmière anesthésiste diplômée d'EtatRéférente DouleurConsultation douleurCHU de Compiègnef.limouni@ch-compiegnenoyon.fr


Source : infirmiers.com