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PSYCHIATRIE

Dolopsy : la douleur au cœur des préoccupations d’un infirmier en psychiatrie

Publié le 24/11/2020
Dolopsy

Dolopsy

Le point de départ face à la plainte d’un patient pour une douleur n’est autre que "l’étonnement" selon Matthieu Eschbach, diplômé d’Etat en soins infirmiers de pratique avancée sur la mention psychiatrie santé mentale, qui exerce également au GHU psychiatrie et neurosciences à Paris, où il participe à mettre en place une "consultation douleur" spécifique...

"Les équipes soignantes de psychiatrie doivent être sensibilisées à la question de la douleur, afin que chacun puisse se questionner face à un patient", Matthieu Eschbach.

L’étonnement est "le point de départ incontournable face à la plainte - ou à la non plainte d’un patient en psychiatrie, pour procéder à l’évaluation de la douleur", souligne l’infirmier, intervenu mercredi 18 novembre lors du Congrès national de la Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur (SFETD). Ses observations et ses travaux de recherche au cours de son master l’ont amené à s’interroger sur les modalités de prise en charge de la douleur en psychiatrie, et notamment à constater qu’elle était insuffisamment dépistée.

Plaintes (ou non plaintes) complexes en psychiatrie

L’IPA distingue deux catégories de patients (en psychiatrie) quand il s’agit d’évoquer cette question : les patients qui ne semblent pas ressentir de douleur (apparente hypoalgésie, c’est-à-dire une diminution de la perception et de la réactivité à la douleur), et ceux, au contraire, qui expriment des plaintes multiples et polymorphes. Face à ces plaintes complexes, parfois exprimées (ou non) dans un contexte d’agitation : que faire ? s’interroge le professionnel.

J’ai vu passer dans mon service, en tant que jeune infirmier, plusieurs patients avec des histoires douloureuses qui m’ont vraiment appelé à m’interroger, raconte-t-il. Pour illustrer son propos, les exemples ne manquent pas, comme celui de Victor (le prénom a été modifié), patient schizophrène d’une vingtaine d’années, qui, dans un contexte délirant de persécution intense, a sauté par la fenêtre du 3e étage, et s’est cassé la jambe, avec une fracture importante du tibia et du genou. Une fois la jambe soignée et un fixateur externe posé, le jeune homme fugue sans antalgie et sans dispositif de marche. Ramené au service de psychiatrie, et malgré sa blessure, il n’exprime aucune douleur ou presque. Et il faudra plusieurs semaines pour que les troubles s’apaisent et que l’équipe soignante puisse commencer à recueillir une plainte douloureuse – avec un fort besoin d’aide et d’antalgie, raconte Matthieu Eschbach.

L’infirmier décrit ainsi plusieurs situations dans lesquelles le patient souffre soit d’une fracture, soit d’une occlusion intestinale, ou encore d’une embolie pulmonaire (donc des situations objectivement éminemment douloureuses), sans toutefois que ces patients ne se plaignent d’une quelconque douleur – signal d’alarme d’un problème organique important et potentiellement très grave.

Quant aux patients qui expriment des plaintes multiples et polymorphes, ce sont souvent des patients qui vont présenter une majoration des troubles psychiatriques et notamment de l’agitation, qui parfois masquent justement une douleur, souligne l’infirmier. Comme c’est la façon qu’ils vont avoir de l’exprimer – et ce même si la réponse au questionnement de la douleur peut être difficilement déchiffrable, il faut avoir en tête que cette majoration des troubles psychiatriques peut être due à une douleur», précise-t-il, prenant là encore un exemple : un jeune garçon polytoxicomane arrivé dans son service de psychiatrie, demande régulièrement des gélules de doliprane pour des céphalées mais l’équipe se rend rapidement compte qu’ils les ouvre pour s’en faire des rails comme s’il s’agissait d’une drogue. L’équipe alors, s’interroge : On ne peut quand même pas ne pas répondre à une plainte douloureuse, mais comment est-ce qu’on objective cette plainte ? Est-ce qu’il faut, même, l’objectiver ? C’est toute la difficulté. L’équipe choisit alors d’administrer le doliprane par voie orale mais se trouve confrontée au refus du garçon. Là encore source d’interrogation :  Que doit-on entendre ? Et permettre ?

Dans la mesure où la réponse est moins spontanée, et moins déchiffrable en psychiatrie qu’ailleurs, il y a vraiment cette nécessité d’une attention à porter au patient. D’où l’importance d’une sensibilisation spécifique à la douleur.

"Dolopsy" : pour amener les équipes à se poser la question de la douleur

Pour Matthieu Eschbach l’infirmier qui veut savoir repérer une douleur dans ce contexte particulier doit être capable (en première intention) d’une bonne écoute mais aussi d’une connaissance de son patient, parce que les modifications d’attitude, de comportement, peuvent trahir des perturbations psychiques et/ou organiques. Il lui est donc tout aussi nécessaire, toujours dans cette optique d’évaluer une douleur, de connaître les maladies qui l’affectent. Quand un patient arrive en urgence bien sûr, cette connaissance fine est impossible... Je me suis rendu compte qu’en tant qu’infirmier, j’avais l’écoute, j’étais plutôt bons sur les pathologies psychiatriques…, par contre sur les processus douloureux, ce n’était pas bon du tout – et même chose pour mes collègues. C’est pourquoi, en discussion concertée avec la direction des soins et les médecins du GHU, il créé Dolopsy, une consultation dédiée à la douleur au sein de son service de psychiatrieLe projet « Dolopsy », une consultation dédiée à la douleur au sein de son service de psychiatrie, a débuté à partir de ce besoin. Il a donné lieu à un travail pluridisciplinaire, mené par la direction des soins et les médecins du GHU et s’appuyant sur l’expertise infirmière en pratique avancée de Matthieu.

Le but de cette consultation spécifique répond à plusieurs objectifs :

  • Mieux comprendre la douleur des patients de santé mentale et y répondre de manière le plus adéquate possible
  • Prendre en charge de manière globale la santé des patients (pour en finir avec cette dichotomie :  plan psychique d’un côté et physiologique de l’autre)
  • Améliorer les pratiques soignantes (notamment sur le plan somatique, encore trop laissé de côté en psychiatrie)
  • Acquérir finalement une double expertise : psychiatrie et douleur

Aujourd’hui, on commence à comprendre les spécificités de la douleur en santé mentale – et notamment chez le patient schizophrène, explique l’IPA, mais c’est encore très balbutiant. Parfois, en psychiatrie, la question n’est même pas posée, ou trop rapidement posée, de savoir si le patient est douloureux ou non, assure Matthieu Eschbach. A travers cette consultation spécifique, il espère donc d’abord, sensibiliser les équipes soignantes à la question.

Les dimensions émotionnelle et cognitive de la douleur sont essentielles pour le professionnel qui travaille en psychiatrie. En effet, dans la représentation et la compréhension que le patient va avoir de sa douleur, l’activité délirante par exemple peut être très importante, c’est donc une composante qu’il va falloir savoir déchiffrer et intégrer à la prise en charge, explique l’IPA, qui a réalisé son mémoire de recherche sur le thème : Quelle place est donnée à la douleur dans la relation de soin ?

Lors d’une enquête qualitative dans plusieurs services du GHU, il a été amené à interviewer des soignants et des patients. Il ressort de son enquête de terrain que pendant l’hospitalisation, la douleur n’est pas prioritaire, ni pour les soignants ni pour les patients (la priorité des patients en psychiatrie, souvent, c’est d’avoir plus de liberté, c’est de pouvoir sortir, d’avoir accès à leur cigarette…), relève-t-il. Quand est-ce que je vais mieux, comment ça se passe, quand est-ce que je sors ? Ces questions en général supplantent beaucoup les attentes des patients sur la douleur.

Autre constat qu’il fait lors de ce travail de recherche : l’institution est souvent très peu flexible car très normative (de ce fait, la plainte qui n’est pas normée est bizarre, donc pas toujours entendue). Même chose pour les traitements que les patients utilisent pour se soulager : là aussi on attend quelque chose de très normé. Une fille qui met (comme ça a été le cas dans mon service) ses capsules de paracétamol contre une dent douloureuse pour la laisser fondre, ce n’était pas envisageable pour l’équipe, explique-t-il. C’est sur ces constats que l’IPA s’est appuyé pour mettre en place sa consultation spécifique. Approcher la douleur implique un vrai travail de fond en psychiatrie. Il est très important de pouvoir faire confiance à son regard mais aussi de faire confiance au patient dans sa plainte – essayer de comprendre ce qu’il dit. Autrement dit, même lorsque les images sont très étranges (monsieur, j’ai l’impression d’avoir une bombe dans le corps, a ainsi affirmé une patiente, qui a souffert quelques jours plus tard d’une embolie pulmonaire), le professionnel à l’écoute et sensibilisé sera mieux à même de la recueillir. Il faut arriver à faire en sorte que les patients aient confiance en leurs soignants pour recueillir leur plainte douloureuse et y répondre. Si la plainte reste sans réponse, il y a fort à parier qu’il n’y aura plus de plainte par la suite...

Justement, Dolopsy prévoit un atelier douleur, mené avec un psychologue, qui devrait permettre de mettre en mots et en images des ressentis qui vont être très intéressants à utiliser pour interroger le patient sur cette dimension cognitive et émotionnelle de la douleur – et ce, en complément de l’évaluation qui sera faite dans le service de manière plus classique explique l’infirmier.

Approcher la douleur implique un vrai travail de fond en psychiatrie. "Il est très important de pouvoir faire confiance à son regard mais aussi de faire confiance au patient dans sa plainte – essayer de comprendre ce qu’il dit" - Matthieu Eschbach.

Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin


Source : infirmiers.com