La campagne de sensibilisation nationale parle d’une maladie silencieuse
. La dénutrition concerne 3 millions de personnes chaque année parmi lesquelles au moins un tiers a plus de 70 ans : 10% des plus de 70 ans vivant à domicile sont concernés, 25% quand ils ont une aide à domicile, 40% des malades du cancer, 30% des personnes hospitalisées et 30% des résidents d’Ehpad*. Pour prévenir cette maladie, la dépister et la prendre en charge, la semaine nationale de la dénutrition** espère sensibiliser professionnels et familles à ce thème de santé publique.
Le tableau de la dénutrition est particulièrement préoccupant dans la mesure où il s'accompagne d'un accroissement de la morbidité (chutes, fractures, hospitalisations, infections nosocomiales), de la perte d'autonomie et de la mortalité, quelle que soit la cause de la dénutrition
, note la Haute Autorité de Santé dans ses dernières recommandations sur la question. Qui plus est, ces complications sont elles-mêmes des facteurs de dénutrition, installant les personnes âgées dans un cercle vicieux qui peut accélérer la fin de vie. Les données épidémiologiques montrent en effet que le risque de dénutrition s'accroît avec la perte d'autonomie : près d'une personne âgée dénutrie sur 7 vit à domicile et près d'une sur 4 dans une unité de soins de longue durée
. Eric Fontaine, médecin nutritionniste au CHU de Grenoble et président du Collectif de lutte contre la dénutrition, ne cache pas son agacement. C’est un constat : les gens sont assez rarement réellement pesés, y compris à l’hôpital. On remplit des documents en demandant le poids et la taille du patient, mais dans les faits, c’est rarement vérifié. C’est vraiment quelque chose qui m’échappe : c’est intolérable de ne pas peser les gens lorsqu’ils sont malades. On ne risque pas de traiter une maladie dont on n’a pas fait le diagnostic. Je n’arrive pas à concevoir que ce ne soit pas systématique
. Pour ce professeur de nutrition à l’Université de Grenoble, il faut commencer par nommer le mal pour pouvoir le traiter
et donc, connaître et reconnaître la dénutrition en tant que maladie, une maladie qu’il faut prévenir, qu’il faut dépister et traiter. Aujourd’hui, le constat fait par les professionnels, c’est que l’amaigrissement est souvent considéré comme un symptôme et n’est pas pris en charge en tant que tel
.
Nous échangeons beaucoup au sujet de l’alimentation des personnes âgées avec le médecin coordinateur, les aides-soignants, le cuisinier, le cadre de santé et même avec la directrice de l’établissement - Une infirmière dans un Ehpad.
Diagnostiquer plus précocement la dénutrition chez les plus de 70 ans
La HAS vient justement de publier, ce 10 novembre, des recommandations en la matière qui visent les plus de 70 ans (cf notre encadré ci-dessous). Des recommandations que Tassadit, infirmière depuis 12 ans à l’Ehpad Lumières d’Automne (à Saint-Ouen, dans le 93) suit scrupuleusement. Nous pesons les résidents une fois par mois. Ils ont également des analyses à faire une fois tous les trois mois pour contrôler l’albumine. En fonction des résultats et si l’on constate un amaigrissement, nous faisons en sorte, en lien avec le médecin, de complémenter l’alimentation des personnes concernées : soit par l’apport de fromage ou de produits laitiers, ou encore avec des compléments alimentaires achetés en pharmacie
. L’infirmière évoque un travail de surveillance en équipe. Les aides-soignants nous signalent les personnes qui refusent de s’alimenter plusieurs fois dans la semaine. Nous, infirmiers, nous essayons alors de parler avec la personne, nous informons également le médecin de la situation et nous renforçons la surveillance au niveau de son poids. Nous tentons aussi de privilégier les aliments qui plaisent au résident. J’ai le souvenir d’un monsieur d’origine africaine qui n’aimait pas beaucoup la cuisine traditionnelle française. Nous lui avons servi des repas de son pays d’origine. Ça a bien marché
. Le sujet, qui ne fait pas l’objet d’une formation spécifique infirmière, reste néanmoins très important dans les Ehpad. Nous échangeons beaucoup au sujet de l’alimentation des personnes âgées avec le médecin coordinateur, les aides-soignants, le cuisinier, le cadre de santé et même avec la directrice de l’établissement. En 12 ans, je peux dire que nous faisons davantage attention à cette question
, assure Tassadit.
Si les récentes recommandations de la HAS vont « dans le bon sens », concède Eric Fontaine, encore faut-il que celles-ci soit appliquées. Pour des raisons d’organisation, ce n’est pas forcément mis en pratique
, tempête-t-il.
De cette semaine consacrée à la dénutrition, il n’attend rien moins qu’une révolution des mentalités, tant chez les soignants que chez les soignés : que les malades (et leurs familles) revendiquent le droit à être nourris correctement, et donc à être dépistés
. Quant aux soignants : il est primordial de leur rappeler que quelle que soit leur spécialité, ne pas peser un malade est criminel. Il faut corriger cela
.
Dénutrition des personnes âgées : de nouvelles recommandations de la HAS
La Haute Autorité de Santé vient de compléter les recommandations sur le diagnostic de la dénutrition de l'enfant et de l'adulte publiées en 2019 en y intégrant des éléments spécifiques à la population des personnes de 70 ans et plus. Elle préconise d’abord d’établir un diagnostic à partir d’un examen exclusivement clinique
qui doit permettre de repérer l’association d’au moins deux critères, au minimum 1 critère phénotypique, relatif à l’état physique de la personne, et au minimum 1 critère étiologique, c’est-à-dire lié à une cause possible de la dénutrition
. La HAS précise également que c’est seulement lorsque les deux critères sont améliorés que l’état de dénutrition est résolu.
Par ailleurs, une dénutrition est considérée comme sévère chez une personne de 70 ans et plus lorsqu’au moins un des trois critères suivants est présent :
- Un IMC inférieur à 20 kg/m2;
- Une perte de poids supérieure ou égale à 10% en 1 mois, supérieure ou égale à 15% en 6 mois ou par rapport au poids habituel avant le début d’une maladie ;
- Un dosage pondéral de l’albuminémie avec un résultat inférieur à 30 g/L, mesuré soit par immunonéphélémétrie soit par immunoturbidimétrie qui sont les seules méthodes fiables.
La HAS préconise également d’installer une surveillance régulière
de l’état nutritionnel : Elle requiert de peser le patient, de calculer son IMC, d’évaluer son appétit et sa consommation alimentaire (en utilisant une échelle visuelle, une échelle semi-quantitative, ou en faisant appel à un diététicien), et enfin de déterminer sa force musculaire en s’appuyant sur la mesure de la force de préhension ou sur le test de lever de chaise. La fréquence sera différente à domicile, en Ehpad ou à l’hôpital.
Enfin, la Haute Autorité de Santé rappelle que l’obésité n’exclut pas la dénutrition chez une même personne. Le cas échéant, le diagnostic repose sur l’association d’un critère étiologique et d’un critère phénotypique - à l’exclusion de l’IMC, qui ne fait pas partie des critères de définition de la dénutrition dans une population obèse, prcéise-t-elle.
*Chiffres du Collectif de lutte contre la dénutrition, qui s'est vu confier l'organisation de cette semaine consacrée à la dénutrition par le ministère des solidarités et la santé.
**La semaine nationale de la dénutrition s’inscrit dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS) 2019-2023.
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?
RISQUES PROFESSIONNELS
Accidents avec exposition au sang : s'informer, prévenir, réagir