Entre autres joyeusetés, l'épidémie de coronavirus a épuisé les professionnels de santé ainsi que tous les acteurs du soin , amputé le cursus des étudiants infirmiers , réveillé les complotistes et elle a mis sous tension le système de santé en général... Elle a également frappé plus durement certaines populations comme les personnes âgées ou encore celles en grande précarité ... C'est justement là que le bât blesse : à force de centrer le discours et les actes sur les (nécessaires) aspects biomédicaux de la crise sanitaire, on en a oublié l'un des facteurs essentiels : celui du contexte social (conditions de vie, profession...), communément désigné sous le terme de "déterminants de santé". Deux chercheurs de l'Inserm analysent la question dans les colonnes de notre confrère The Conversation, que nous remercions de ce partage.
La crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a révélé de façon brutale la réalité des inégalités sociales de santé. À l’instar de la stratégie nationale de santé ou du plan national de santé publique, les grands textes d’orientation de la santé publique française affichent pour objectif de réduire au maximum ces inégalités. Par ailleurs, l’accès à la santé, et pas seulement aux soins est un enjeu de cohésion sociale largement partagé dans notre pays. On constate pourtant que dans le milieu scientifique, cette préoccupation reste très marginale.
Un éclairage avant tout biomédical
Depuis les débuts de la pandémie, les avis des différents comités, agences et conseils n’ont en effet pas abordé cette question. L’éclairage du conseil scientifique, en mars 2020, était essentiellement de nature biomédicale, malgré une référence à l’équité et aux effets socialement différenciés du confinement. Et ce, alors même que les enjeux sociaux étaient soulignés dès cette époque dans la littérature internationale, en montrant que les inégalités étaient probablement majeures. À titre d’exemple, aux États-Unis, l’incidence était trois fois plus élevée dans les comtés dont la population est à prédominance noire que dans ceux où elle est blanche et les taux de décès y étaient six fois plus fréquents. Et des données concordantes étaient publiées par l’ONU à cette même période. En France, la répartition sociale de l’épidémie de Covid-19 a été connue tardivement. Les premières données sont issues de l’Observatoire régional de Santé Île-de-France. Elles ont révélé que la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de métropole, était particulièrement touchée par l’épidémie : en Île-de-France, c’est dans ce département que la mortalité, comparée à celle de l’année précédente, a le plus augmenté (+ 118 % entre le 1er mars et le 10 avril). Ces données attestaient de l’amplitude des inégalités territoriales en termes d’urbanisation, de conditions de logements, de caractéristiques démographiques et sociales des ménages, d’état de santé des populations et aussi d’exposition professionnelle. Elles soulignaient aussi le besoin d’analyses sur le contexte de vie, menées à des échelles géographiques plus fines. Le rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, publié en juillet, a fait une revue très complète des informations disponibles et des hypothèses suggérant que la crise de la Covid-19 s’accompagnerait d’inégalités majeures. Et ce, tout en pointant le manque de données sur le sujet en France. Enfin, les travaux de diverses équipes de recherche, et notamment l’enquête EpiCov, ont confirmé en octobre la force des conditions socio-économiques que l’on pouvait anticiper.
Rôle majeur du contexte social dans la survenue des maladies
Les recherches menées depuis plusieurs décennies sur les inégalités sociales de santé dans tous ses aspects nous l’ont appris : les conditions sociales et territoriales de vie jouent un rôle majeur dans la survenue des maladies. Elles ont donc nécessairement un impact sur l’incidence de la Covid-19, sur sa gravité, sur le risque de décès, mais aussi sur l’efficacité des mesures de prévention, et notamment la distance physique. Et les méconnaître empêche de mettre au point des politiques de santé publique équitables et efficaces. Imagine-t-on élaborer des politiques publiques contre le virus du sida (ou infection à VIH), sans inclure dans les réflexions les comportements sexuels ? À l’évidence, la réponse est non. Pourtant, c’est précisément ce qui est fait avec l’actuelle crise sanitaire. Elle est centrée sur les soins d’hospitalisation et de réanimation, les vaccins et la mise au point de traitements. Les inégalités sociales dans lesquelles elle s’inscrit n’ont pas été considérées dans les avis scientifiques soumis aux autorités politiques. Soulever ces questions dans le milieu scientifique et médical fait encore flotter un parfum de militantisme ou de « médecine sociale » de nature à ternir la rigueur de la science. Les modèles mathématiques ont été largement utilisés pour prédire l’évolution de la pandémie. Or, les spécialistes soulignent la sensibilité de ces modèles aux paramètres initialement inclus. Ignorer les conditions de vie revient donc dans le meilleur des cas à les appauvrir, et dans tous les cas à s’éloigner de la réalité.
Prendre en compte le contexte social : une démarche scientifique
La répartition sociale et territoriale d’une épidémie n’a-t-elle pas d’influence sur l’incidence de la maladie, sur les possibilités de prévention ou sur les difficultés à respecter les gestes barrières ? De même, s’agissant de la dynamique de diffusion de l’épidémie, comment ne pas tenir compte des différentes populations qui vont être en capacité de travailler à distance ou au contraire de prendre les transports pour un travail les exposant à être contaminés ? L’épidémie et surtout sa gravité vont évoluer en fonction de la répartition des facteurs de risques (obésité, diabète…), et celle-ci dépend des milieux sociaux. Enfin, comment évaluer et prévoir les conséquences non infectieuses de la crise sanitaire, sans intégrer dans les modèles de paramètres sociaux
? Par exemple l’isolement social provoqué par le confinement est un facteur majeur de souffrance, de problèmes de santé mentale et in fine de mortalité. Souffrances psychiques, violences intrafamiliales, sédentarité, exposition aux écrans, troubles du sommeil ou insécurité alimentaire ne frappent pas au hasard. Prendre une décision, en matière de politique sanitaire, impose de considérer la multiplicité des conséquences de l’épidémie, dont la répartition dépend des conditions de vie. Cela suppose aussi de réfléchir sur le long terme, l’exemple des enfants en témoigne. La fermeture des écoles a en effet des conséquences immédiates sur leur socialisation et leur santé mentale. Mais elle joue aussi à plus long terme sur les inégalités scolaires et sur la santé des écoliers.
Du milieu intérieur à l’exposome
D’aucuns suggèrent que la participation de chercheurs en sciences humaines et sociales aux différents comités chargés d’éclairer les décisions politiques permettrait de remédier à l’absence de réflexion sociale dans les expertises de santé publique. Ce serait incontestablement un progrès. Mais ce ne serait sans doute pas suffisant. En effet, il ne peut y avoir d’un côté une approche biologique et médicale, et de l’autre un « supplément social ». L’approche sanitaire, les modèles épidémiologiques et biologiques eux-mêmes doivent intégrer la force des facteurs sociaux dans le comportement d’une épidémie. Le contexte social est une composante à part entière de l’exposome, c’est-à-dire l’ensemble des éléments auxquels est exposée une personne tout au long de sa vie. Il en va de l’amélioration des connaissances, qui ne peuvent ignorer l’omniprésence des facteurs sociaux dès lors qu’on est en population humaine, c’est-à-dire dans la vraie vie
, que ce soit avant, pendant ou après la contamination, de la prévention primaire à la mortalité. Et il est de la responsabilité des scientifiques de ne pas occulter cette complexité. L’ignorer, c’est construire une expérience dans un environnement artificiel qui n’est pas généralisable à la population. Il en va de la justice et de la cohésion sociales. C’est aussi un enjeu scientifique. Souvenons-nous : dans ses "Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux", le physiologiste français Claude Bernard insistait sur la nécessité de prise en considération pour tout animal du milieu intérieur formé par le liquide organique circulant qui entoure et où baignent tous les éléments anatomiques des tissus
, en précisant au préalable son importance dans l’existence de l’être, par rapport au milieu extérieur. C’est le rôle social des scientifiques d’affronter la complexité et de l’expliciter. Le social
s’incorpore, "pénètre sous la peau" et modifie les mécanismes biologiques. Il s’agit désormais de situer le milieu intérieur dans sa réalité sociale et territoriale.
Accéder à l'article original sur le site de The Conversation
Thierry Lang
Médecin épidémiologiste, professeur émérite de l'université de Toulouse, Equipe "Equity" de l'UMR Inserm 1027, Inserm
Marie-Joséphe Saurel-Cubizolles
Epidémiologiste INSERM, Inserm
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