Augmentation du taux de positivité, des hospitalisations, des décès à l’hôpital… Depuis quelque temps, les indicateurs clés de suivi de l’épidémie de Covid-19 se dégradent. Directrice de recherche Inserm au sein de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm / Sorbonne Université), Vittoria Colizza analyse la situation pour The Conversation.
The Conversation : Le confinement s’est terminé officiellement le 11 mai, mais le virus n’a pas disparu. Qu’a-t-on appris depuis cette date ?
Vittoria Colizza : En brisant les chaînes de transmission, le confinement avait en quelque sorte remis les compteurs à zéro
: à sa levée, nous étions dans des conditions semblables à celles du début de l’épidémie, avec une faible circulation du virus. Il était alors compliqué de prévoir l’évolution de la situation, car de nombreuses inconnues existaient, notamment concernant les effets des restrictions encore en vigueur après le 11 mai et la façon dont allait se comporter la population.
Un point essentiel pour déconfiner était de pouvoir tester à grande échelle, pour être en mesure de détecter le maximum d’individus infectés, dans la perspective de les isoler et de retracer leurs contacts, afin de dépister aussi ces derniers et les mettre en quarantaine si nécessaire.
Cette approche test and trace
n’est pas nouvelle : c’est une méthode efficace de contrôle des épidémies, qui a fait ses preuves depuis très longtemps. Elle permet de casser les chaînes de transmission.
TC : Avec le recul, comment se sont passées les semaines post-déconfinement ?
VC : Nous avons analysé la sortie du confinement en nous appuyant sur les données collectées par Santé publique France concernant les cas symptomatiques confirmés.
Nos résultats montrent que, pendant les mois de mai et de juin, nous n’avons été capables d’identifier qu’un seul cas sur dix en moyenne (avec une grande disparité entre les régions) ! Autant dire que c’est un taux de détection plutôt faible pour un système qui a vocation à être utilisé comme moyen de contrôle.
Deux raisons expliquent cette situation. Tout d’abord, le système de dépistage n’avait pas encore atteint ses performances maximales : jusqu’à fin juin, on n’a pu faire que 200 à 300 000 tests par semaine, soit moins de la moitié de l’objectif annoncé (ndlr : le ministre de la Santé Olivier Véran avait annoncé jusqu’à 700 000 tests par semaine). Ensuite, le dépistage n’était pas assez rapide : nos travaux ont montré que le délai moyen entre l’apparition des symptômes et le test était de 20 jours la première semaine de déconfinement. Fin juin et courant juillet, le délai était encore de 7 jours dans certains endroits, comme à Paris. Il pouvait être encore plus long dans certaines régions. Or si on laisse une personne symptomatique être en contact de la communauté pendant ne serait-ce que trois jours, elle risque d’infecter d’autres individus.
TC : Durée d’incubation, porteurs asymptomatiques… Que sait-on aujourd’hui de la façon dont se passent les contaminations ?
VC : On estime que la durée d’incubation du virus est, en moyenne, de 5 jours. Pendant les trois premiers jours de cette période, la personne n’est pas encore contagieuse. Elle le devient dans un second temps, durant les deux derniers jours, qui constituent la phase pré-symptomatique. Comme son nom l’indique, celle-ci précède l’apparition des symptômes. Durant ce dernier laps de temps, la personne infectée diffuse le virus autour d’elle.
Les données recueillies jusqu’à présent indiquent qu’environ un tiers des transmissions se feraient pendant cette phase pré-symptomatique, d’où l’importance de retracer les contacts des personnes symptomatiques au plus vite, pour les tester et les isoler avant qu’ils ne soient eux-mêmes en phase pré-symptomatique.
Un point reste à éclaircir : la durée de la contagiosité une fois les symptômes apparus. On sait qu’une personne malade peut demeurer positive à un test plusieurs semaines après le début des symptômes, mais on a désormais tendance à penser qu’elle n’est pas contagieuse aussi longtemps. Les tests RT-PCR, très sensibles, détecteraient des restes du virus encore présents dans l’organisme, mais il ne serait plus infectieux. C’est pourquoi l’OMS estime qu’on peut autoriser les malades confirmés à quitter l’isolement à peu près 2 semaines après le démarrage des symptômes.
Le problème est beaucoup plus complexe en ce qui concerne les personnes qui développent des formes asymptomatiques ou peu symptomatiques, qui sont infectées mais n’auront jamais aucun symptôme marqué. Leur capacité à transmettre le virus et la durée de leur contagiosité demeure floue. L’hypothèse la plus plausible est qu’ils transmettraient moins le virus que les personnes symptomatiques, tout bonnement parce qu’ils n’ont pas de symptômes. Ils ne toussent pas, par exemple, ce qui limite l’émission de gouttelettes… Toutefois, on sait aussi que ce virus est très contagieux : on peut le transmettre simplement en parlant.
TC : Est-on plus à même de repérer les malades symptomatiques aujourd’hui ?
VC : Tout à fait. Nos travaux montrent que la performance du système a augmenté au fil du temps. Si durant la première semaine de déconfinement on ne repérait en moyenne que 7 % des cas symptomatiques, ce taux avait atteint 30 % fin juin. À cette période, on détectait donc environ un cas sur trois.
Nos résultats montrent qu’il est essentiel de tester au maximum, et le plus rapidement possible. Il faut faciliter l’accès au dépistage, et maintenir en parallèle les mesures de distanciation sociale : rester loin les uns des autres et éviter les contacts physiques, porter un masque, se laver les mains, etc.
TC : Malheureusement les choses se sont compliquées avec les vacances d’été…
VC : Oui, et pas seulement en raison des déplacements touristiques, même s’ils ont favorisé le brassage des populations de différentes régions. Un certain relâchement a aussi été observé. Les données recueillies montrent clairement que le respect des gestes barrières a été en net recul cet été. L’attitude consistant à éviter les contacts physiques a diminué de près de 30 %, alors qu’il est aujourd’hui encore très important de la maintenir ! Cette situation s’explique probablement par l’impression que le risque avait disparu, et par l’adoption de nouvelles habitudes liées aux vacances : on abandonne les réflexes pris pendant les deux mois de confinement, on se retrouve à l’hôtel, dans le village, au camping, entre amis, en famille…
Le problème est que l’on sait aujourd’hui que ce sont les événements, plutôt que les gens, qui sont super-propagateurs. Or, de nombreuses situations estivales ont favorisé la dissémination du virus. Difficile de respecter les mesures de protection quand on prend l’apéritif dans un lieu peuplé, où la musique est forte : on enlève son masque pour boire, tout le monde parle plus fort ou se rapproche des autres pour se faire entendre… Sans parler des rassemblements massifs où la foule chante, crie…
TC : On craignait que nos comportements estivaux n’augmentent la diffusion du virus, et c’est ce qu’on observe.
VC : Effectivement, cela se confirme semaine après semaine. Et pas seulement sur les cas dépistés : les hospitalisations et les admissions en réanimation augmentent également, en particulier à Marseille, Paris et leurs régions. Tous les indicateurs épidémiologiques montrent une importante reprise de l’épidémie. Nos réponses ne sont plus suffisantes.
Pourtant, il est possible de garder l’épidémie sous contrôle, comme elle l’était à peu près en juin, grâce au dépistage et aux mesures de distanciation sociale. Si le dépistage monte encore en puissance et devient beaucoup plus rapide, on peut même espérer faire diminuer l’activité épidémique, ou au moins trouver un équilibre entre circulation du virus et mesures d’intervention qui permettrait de faire en sorte que l’activité épidémique demeure plus ou moins stable dans le temps.
Certains pays ont même pour objectif l’élimination du virus. La Nouvelle-Zélande a par exemple réussi à l’éradiquer de son territoire pendant quelques mois, en imposant d’importants contrôles aux frontières, couplés avec un gros effort de dépistage et de suivi des contacts. Évidemment, la situation néo-zélandaise est très différente de celle des pays européens, où les conditions géographiques, économiques, sociales sont complètement différentes. Mais elle montre que l’épidémie peut être endiguée, et que son évolution dépend des mesures de prévention et de contrôle mises en place.
TC : On a beaucoup parlé des jeunes ces dernières semaines, notamment parce que le taux de contamination de ces tranches d’âge a fortement augmenté. Faut-il s’en inquiéter ?
VC : De façon assez inévitable, une augmentation dans une tranche d’âge provoque une augmentation dans le reste de la population, même si cette dernière est plus tardive. Ceux qui pensent que si les jeunes se relâchent, c’est moins grave (car le virus resterait dans leurs cercles, par exemple) se trompent. La preuve, c’est que si on constate effectivement une croissance des taux d’incidence dans les tranches d’âge plus jeunes, celle-ci est aussi bien visible dans les autres tranches d’âge, notamment chez les plus de 45 ans et les plus de 60 ans. Et on voit déjà des augmentations significatives des hospitalisations dans les régions où la circulation est plus importante (par exemple en Île-de-France ou en Provence-Alpes-Côte d’Azur).
Toute épidémie est un problème collectif : penser que l’on peut isoler complètement des tranches entières de la population est illusoire.
TC : Que va-t-il se passer à l’automne ? Le fait d’avoir une partie de la population qui se protège sera-t-il suffisant ? Bref, y aura-t-il une seconde vague ?
VC : Le problème est très complexe. Il est difficile de prévoir l’évolution de la situation, car la grande inconnue de l’équation, c’est l’humain… Ce qui va se passer à l’automne dépendra grandement de ce que l’on fait aujourd’hui.
Ce qu’on peut dire à l’heure actuelle, c’est qu’une évolution négative de l’épidémie n’est pas encore inévitable. Cela va dépendre à la fois des mesures de santé publique prises par les autorités et des comportements individuels. Pour l’instant, l’augmentation du nombre de cas est plus lente qu’en mars. Va-t-on réussir à empêcher la pente de cette courbe de devenir plus raide ?
Une chose est sûre : les conditions seront plus propices à la circulation du virus. On sait qu’être en extérieur réduit la propagation du virus, or avec la venue de la mauvaise saison, on passera plus de temps dans des lieux clos. Qui plus est, les conditions de température et d’humidité de l’automne et de l’hiver sont favorables à la transmission des virus respiratoires. Enfin, si en juillet-août, le relâchement a favorisé la propagation du virus, les bureaux et les transports publics étaient peu fréquentés à cette période. Les écoles, les universités étaient fermées… Avec la rentrée, les interactions sociales vont se multiplier. C’est un risque supplémentaire.
Par ailleurs, le consensus actuel est que le virus peut aussi se propager par aérosol, en plus des grosses gouttelettes. On le soupçonnait dès février/mars (des investigations épidémiologiques menées sur des clusters avaient notamment révélé que, dans des lieux fermés, le risque de propagation est 20 fois plus élevé qu’en milieu ouvert). Cela change complètement la donne en matière de stratégie de protection : il devient très important de garder le masque dans les lieux clos tels que les bureaux. D’autant qu’on aérera moins les locaux lorsque le mauvais temps s’installera.
Ces divers constats rendent assez probable la survenue d’une seconde vague cet hiver…
TC : Ce qui se passe ailleurs, chez nos voisins européens, ou dans des pays plus lointains, va aussi jouer un rôle ?
VC : Oui, le risque d’avoir un nombre important de cas importés est élevé : la première phase de l’épidémie nous a appris que la détection des personnes infectées qui viennent de l’étranger est extrêmement difficile. Elles peuvent en effet arriver en France durant la phase d’incubation, ou durant la phase pré-symptomatique. Par ailleurs, leurs symptômes peuvent être très faibles et donc difficilement reconnaissables y compris par eux-mêmes. Si on veut contrôler l’épidémie, la perspective ne doit pas être uniquement nationale.
TC : Que va-t-il se passer si l’épidémie de Covid-19 se double à l’automne d’une sévère épidémie de grippe ?
VC : C’est une question importante, à laquelle nous n’avons pas encore de réponse mais sur laquelle nous travaillons. Avec la recrudescence des virus hivernaux, le suivi de l’épidémie risque de se compliquer. La recommandation est de se faire vacciner, pour avoir le moins de cas de grippe possible, car ceux-ci pourraient compliquer la surveillance et le dépistage de la Covid-19. Il s’agit aussi d’alléger la pression potentielle sur le système de santé.
À ce propos, l’exemple de l’Australie est intéressant. Actuellement, le pays est en hiver, et les deux épidémies y sont en cours. Cependant, la grippe semble se propager de façon beaucoup plus faible que les années précédentes. C’est probablement dû au fait que les mesures barrières utilisées pour limiter la propagation du SARS-CoV-2 (lavage des mains, gel hydroalcoolique, distanciation physique…) empêchent aussi la propagation des autres virus. Les infectiologues ont remarqué la même chose concernant les virus de gastro-entérites, ce qui a été attribué à une amélioration de l’hygiène des mains.
TC : Peut-on espérer atteindre un jour l’immunité collective ?
VC : Il est encore beaucoup trop tôt pour le savoir. Théoriquement, quand une population se mélange de façon homogène, il faut qu’environ les 2/3 des individus aient été infectés pour qu’une immunité collective se développe. Ce taux peut diminuer si la population est plus structurée, c’est-à-dire si des niches
existent. Concernant le SARS-CoV-2, certains ont émis l’hypothèse que la limite pour atteindre l’immunité collective pourrait être un peu plus basse que prévu. On a en effet observé des événements super-propagateurs (ndlr : comme le rassemblement évangélique de Mulhouse, en février), ce qui confirme que les gens ne se mélangent pas de façon homogène. Cependant, aujourd’hui, rien ne permet de trancher.
Ce qui est clair, c’est que les investigations épidémiologiques nous montrent qu’il est essentiel d’éviter les rassemblements, pour éviter ces potentiels événements de super-propagation.
Surtout, quoi qu’il en soit, le taux d’infection dans les populations qui ont été exposées au coronavirus reste très éloigné de l’hypothèse la plus basse en matière de taux conférant une immunité collective. En effet, le taux d’infection actuel se situe aux alentours de 2-3 %, avec de fortes variations régionales dans les zones les plus touchées par la première vague. Ces chiffres concernent l’Italie et l’Espagne, ceux de la France ne sont pas encore disponibles.
Une question à mon sens plus intéressante est celle de l’immunité croisée : une exposition à d’autres coronavirus par le passé procure-t-elle une immunité, même partielle, contre le SARS-CoV-2 ? Si tel est le cas, sa propagation pourrait être ralentie. Il s’agit là d’une composante supplémentaire à prendre en compte pour évaluer la probabilité de survenue d’une deuxième vague.
Des études de cohortes menées dans divers pays (États-Unis, Allemagne, Singapour, Royaume-Uni, Pays-Bas) ont démontré que les lymphocytes T de personnes qui n’avaient pas été exposées au SARS-CoV-2 réagissaient néanmoins à des morceaux de ce coronavirus. Mais l’interprétation de ces observations, en termes de réponse immunitaire protectrice reste assez débattue, du domaine de la spéculation. Il s’agit d’une des plus importantes inconnues concernant ce virus : quel niveau de protection demeure après l’infection ? Combien de temps dure-t-il ? Nous sommes encore loin de comprendre tous les détails de la réponse immunitaire liée au SARS-CoV-2.
Ces travaux pourraient toutefois constituer une piste pour expliquer, au moins partiellement, la forte hétérogénéité observée dans l’évolution de la maladie. Il s’agit d’un pas supplémentaire vers une meilleure compréhension de la réponse immunitaire contre le SARS-CoV-2, qui sera fondamentale pour la gestion de l’épidémie dans les mois et années à venir.
Vittoria Colizza, Directrice de recherche - Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm/Sorbonne Université), Inserm
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?
RISQUES PROFESSIONNELS
Accidents avec exposition au sang : s'informer, prévenir, réagir