Ces dernières années, le monde de la santé a vu émerger plus largement un sujet jusque-là cantonné aux échanges à ses professionnels, qu’ils soient médicaux, paramédicaux, du social ou administratifs : celui de la médiation en santé.
« C’est une démarche qui s’incarne par des personnes ayant pour mission de créer un lien de confiance avec les personnes éloignées du système de santé, puis de créer ce même type de lien entre elles et les professionnels de santé », répond Houda Merimi, médecin de santé publique et responsable du pôle Qualité des pratiques en santé au sein de l’association Médecins du monde, à l’occasion de la présentation du bilan de la Fondation Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH, voir encadré) sur 5 ans d’actions engagées sur la question. Elle retrace la naissance du concept au moment de l’apparition du VIH, qui a contraint les professionnels de santé à prêter une plus grande attention aux spécificités des personnes atteintes par le virus.
Depuis 2005, cette activité particulière tend à « se professionnaliser », tandis que la « thématique est devenue fortement actuelle » du fait du nombre croissant de personnes éloignées du soin. « Le Covid a pu jouer un rôle d’accélérateur, car il a impliqué une démarche "d’aller-vers ", qui est le fondement même de la médiation en santé », juge-t-elle. Un glissement que la Fondation MNH a pu clairement pu observer de près. Au gré de ses appels à projet, elle a ainsi vu cette démarche émerger parmi les initiatives de terrain et projets menés par les associations et services hospitaliers, a expliqué Philippe Denormandie*, son délégué général et par ailleurs parmi les 3 personnalités désignées par Agnès Firmin-Le Bodo pour chapeauter les grands travaux sur la santé des professionnels de santé.
Un certain nombre de patients ne suivent pas leur parcours de soins ; pire, beaucoup ne vont même pas jusqu’au médecin.
Une multitude d’impacts positifs
Les personnes éloignées du soin sont d’ailleurs le public cible de la médiation en santé. « Un certain nombre de patients ne suivent pas leur parcours de soins ; pire, beaucoup ne vont même pas jusqu’au médecin », constate Olivier Bouchaud, infectiologue chef de service à l’Hôpital Avicenne et par ailleurs Président de l’association La Plage. « Ces patients, on ne les connait pas, et la médiation est là pour les aider à faire leur parcours de soin. » En gériatrie, « il existe un boulevard » pour la médiation, du fait de la complexité du système de santé, des difficultés posées, pour certains publics, par les évolutions technologiques, donne-t-il en exemple. Ayant vocation aussi vocation à faire remonter les dysfonctionnements que rencontrent les usagers dans leur parcours de santé, elle a enfin un autre avantage : faire gagner du temps aux professionnels de santé.
Autant dire, donc, que dans un contexte marqué par des difficultés croissantes d’accès aux soins, la médiation en santé représente « un vrai sujet de santé publique », appuie Olivier Bouchaud. Et ses impacts positifs, aussi bien chez les professionnels que chez les patients, sont déjà largement documentés dans la littérature scientifique internationale. Elle entraîne ainsi une « évolution positive des pratiques des professionnels de santé », une « amélioration de l’accompagnement des bénéficiaires », un « mieux-vivre » pour ces derniers et « un renforcement des pratiques de prévention », et renforce « la défense des publics les plus vulnérables » car ils deviennent de facto plus visibles, liste ainsi François Cathelineau, co-fondateur de l’Agence Phare.
Les médiateurs en santé sont à l’interface de tous les métiers de la santé et « doivent avoir des connaissances sur chacun d’entre eux.
Une diversité de pratiques
Une des caractéristiques de la médiation en santé, c’est son hétérogénéité, poursuit François Cathelineau. Diversité des pratiques, diversité des individus (professions de santé, bénéficiaires), diversités des contextes auxquels répondre (augmentation de la précarité sociale, pandémie…) et diversités des objectifs (générer du lien, lutte contre les inégalités sociales…), liste-t-il en effet. « Cette diversité des pratiques et des manières de faire est extrêmement riche. Et plus c’est riche, plus les choses circulent », défend-il. Le profil même des médiateurs est complexe à définir, car ils sont « à l’interface de tous les métiers [du sanitaire, du social et du médico-social] et ils doivent avoir des connaissances sur chacun d’entre eux : assistance sociale, psychologues, médecins… », complète Olivier Bouchaud.
Créée en janvier 2019, la Fondation MNH (anciennement Fondation nehs Dominique Bénéteau) est une fondation de la Mutuelle nationale des hospitaliers (à laquelle appartient Groupe Profession Santé, dont fait partie Infirmiers.com). Elle s’est donnée pour mission d’accompagner usagers et professionnels de la santé dans la mise en place d’initiatives favorisant l’accès aux soins et la prévention, en mettant l’accent sur l’humain. Elle a identifié deux champs d’action principaux : la médiation en santé, et la santé des professionnels de santé. En 5 ans, ce sont 35 projets qui ont été soutenus, pour un budget alloué de 2,6 millions d’euros, a indiqué Maurice Mouhet, son président, lors de l’événement.
Un champ du soin encore très mal connu
Problème : si cette diversité est une force, elle peut également constituer un frein. Si la Haute autorité de santé (HAS) a bien établi un cadre déontologique à la médiation en santé, et si celle-ci est encadrée depuis 2016 par une loi, elle pâtit encore d’une réelle « méconnaissance » chez les professionnels de santé, déplore Houda Merimi. Une situation qui s’explique aussi par l’absence « d’une case administrative spécifique » à l’activité, renchérit Olivier Bouchaud. « Nous sommes obligés de bricoler avec des appellations différentes. Des métiers sont créés de manière parcellaire, comme les infirmiers de coordination qui font de la médiation » mais dont l’activité n’est pas reconnue. En résulte également une difficulté à tout simplement dénombrer le nombre de médiateurs en santé existant, même « s’il y en a trop peu », juge l’infectiologue.
C’est un vrai métier qui doit s’imposer à côté des métiers de la santé.
Or, compte tenu de l’importance du rôle de la médiation en santé, « il faut que les professionnels de santé en aient une meilleure connaissance », martèle Houda Merimi, qui milite pour l’établissement d’une réelle définition du métier. « C’est un vrai métier qui doit s’imposer à côté des métiers de la santé », pour lequel il faut également prévoir une formation, abonde Olivier Bouchaud, encourageant le champ de la médiation et ses acteurs à « présenter quelque chose de commun », au risque que sa diversité ne le « fasse éclater ». Se pose enfin la question de son financement. Trop souvent, déplore Erwan Autès-Treand, chargé de mission du pôle Prévention et promotion de la santé de l’Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine, « Le financement s’effectue par les subventions du Fonds d’intervention régional (FIR) ou, principalement, grâce à des associations ». Soit un modèle économique non-pérenne qui constitue un frein au développement du métier, et ce malgré l’implication des ARS, qui ont le sujet de la médiation en santé « en tête ». Alors qu’elle « valorise les autres soignants et aide la collectivité », il y a encore tout un chantier à engager pour mieux la définir et, surtout, étendre son action à l’ensemble des champs du soin, achève Olivier Bouchaud.
*Evénement qui s’est tenu le 11 avril, à la Cité Universitaire, à Paris.
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